Hydrogène, nucléaire, marché du carbone… Les dossiers s’amoncellent sur les bureaux des ministres démissionnaires. Sans constitution rapide d’un nouveau gouvernement, les investissements privés et publics pourraient manquer et la France ne pas atteindre ses objectifs en matière d’énergie et de climat.
« Il y aura une planification, il n’y a pas de doute », disait en janvier Bruno Le Maire, ministre de l’Énergie non démissionnaire à l’époque. Neuf mois plus tard, la France n’a toujours pas de loi de programmation énergie et climat (LPEC), ce texte « parapluie » qui chapeaute l’ensemble des objectifs énergétiques et climatiques français.
Bien que la France ait rendu début juillet à la Commission européenne son plan national intégré énergie-climat (PNIEC), qui reprend les objectifs que se fixe l’Hexagone, un texte législatif national, comme la LPEC, est essentiel. Il permet en effet d’engager la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), définissant la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui détaille la transition énergétique, filière par filière.
Toujours sans exécutif, la France entame donc une rentrée compliquée, alors que de nombreux dossiers, textes, et stratégies, sur le feu depuis des mois, sont au point mort.
Des textes sectoriels
Des textes programmatiques découlent des objectifs et stratégies sectoriels, notamment pour des technologies couvertes par le règlement européen sur l’industrie nette-zéro (Net-zero Industry act, NZIA), qui vise à développer, au sein de l’UE, une industrie des technologies propres.
Ainsi de l’hydrogène par exemple, dont la mise à jour de la stratégie nationale de 2020 se fait attendre. Actée en novembre 2023, la publication fut d’abord retardée par le gouvernement, puis enterrée avec la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024.
La fédération nationale France Hydrogène tire la sonnette d’alarme : « les conditions ne sont pas encore réunies pour sécuriser investisseurs et industriels », a-t-elle écrit dans une tribune fin juillet.
Concernant les énergies renouvelables, aucun texte stratégique n’est attendu. Il faut cependant « rester vigilant » sur le déploiement du calendrier d’appels d’offres, les exigences du NZIA et le maintien de l’annonce prévue fin septembre des sites d’extension de l’éolien en mer, prévient Jules Nyssen, président du syndicat des énergies renouvelables (SER), dans une interview pour GreenUnivers.
Côté entreprise, l’absence de gouvernement fait également craindre un retard sur la définition du nouveau périmètre et de la nouvelle période de comptage des certificats d’économie d’énergie, qui permettent aux entreprises d’évaluer la décarbonation de leurs activités.
Nucléaire et industrie
Autre sujet clé de la rentrée, le nucléaire.
La France n’a toujours pas de texte inscrivant dans le marbre l’objectif de construction de six réacteurs nucléaires sur son sol. Pire, « les forces politiques actuelles ne permettent pas d’être certain du maintien de ce programme », craint même Cecil Coulet, chargé d’affaires européennes au think tank parisien Équilibre des énergies.
En outre, aucun de ces réacteurs n’a été commandé à EDF, qui ne dispose d’aucun mécanisme de financement arrêté.
Aussi, le cadre de régulation du prix de l’électricité issue du nucléaire n’est pas tout à fait stabilisé. Pour le patronat et les industriels, dont une partie demande sa révision, cela pourrait influer sur la compétitivité du prix de l’électricité en Europe. Or, le prix de l’électricité est l’un des facteurs clés pour assurer l’enclenchement d’une réindustrialisation du pays, qui plus est décarbonée, telle que lancée par l’adoption fin 2023 de la loi dite « industrie verte ».
Ce texte, le Premier ministre Gabriel Attal souhaitait, avant la dissolution, le compléter d’un second axe sur la simplification et l’accélération des processus administratifs.
« Un certain nombre de mesures, objets d’un accord avant la dissolution avec la ‘droite gouvernementale’ (députés Les républicains) sont prêtes à être prises » pour une « loi industrie verte 2 », confie à Euractiv Charles Rodwell, député Ensemble pour la République, chargé en 2023 d’une mission gouvernementale sur l’attractivité industrielle française. Néanmoins, en vue de la situation politique,« la priorité aujourd’hui est de conserver les acquis de la première loi industrie verte », complète-t-il.
Transposition et investissements
Les parlementaires vont aussi devoir transposer plusieurs directives européennes, et en particulier celle sur l’extension du marché du carbone européen au chauffage et au transport.
La transposition est attendue au plus tard le 31 décembre 2024. Sinon, Paris s’expose à la perte de quotas carbone gratuits dans les domaines déjà couverts par le marché carbone, et donc au risque de délocalisation des acteurs concernés.
Sauf que l’extension du marché au chauffage et au transport signifie la mise en place d’une « taxe » sur le carbone que devront assumer les consommateurs. Le législateur européen a bien prévu un mécanisme de « fonds social » de compensation, mais les leçons de la révolte des Gilets jaunes poussent tout de même la France, comme d’autres États de l’Union européenne (UE), à retarder l’inscription de ce dispositif dans leur droit.
Une autre problématique pourrait pousser les industriels à quitter le pays : le manque d’investissements.
Sans ligne de conduite et sans objectifs clairs, la confiance des investisseurs privés est entamée, car les garanties apportées par la puissance publique ne sont pas certaines.
En guise de test grandeur nature, les parlementaires négocieront à partir du 1er octobre le budget pour 2025, si cet examen n’est pas repoussé. Les discussions s’annoncent d’ores et déjà compliquées et pourraient raboter davantage encore les fonds destinés aux domaines énergétiques et climatiques, comme ce fut le cas en 2024, en raison du déficit public excessif de la France.
De nombreuses technologies pourraient en pâtir, comme la géothermie et le captage, stockage et valorisation du carbone, soutenues par le NZIA et par les pouvoirs publics, mais qui « occupent, selon Cecil Coulet, une place secondaire dans les politiques publiques jusqu’à présent ».