Hydrogène bas-carbone : l’acte délégué de la Commission exaspère les défenseurs du nucléaire

L’exécutif européen propose que l’hydrogène soit considéré comme « bas-carbone » s’il n’émet que 30 % des émissions du carburant qu’il remplace. [Shutterstock/Victor Maschek]

La Commission européenne a lancé vendredi 27 septembre une consultation publique sur les méthodes de calcul de l’hydrogène « bas-carbone ». Telles que proposées, elle ne sied pas aux défenseurs du nucléaire et aux représentants de la filière hydrogène française.

L’exécutif européen vient d’ouvrir une consultation publique de quatre semaines sur les méthodes de calcul qu’il propose pour l’hydrogène « bas-carbone », à savoir tout hydrogène qui n’émet que 30 % des émissions du carburant qu’il remplace. 

L’acte délégué propose ainsi trois méthodes de calcul, dont une basée sur l’intensité carbone du mix électrique du pays d’accueil de la production, qui considère comme « bas-carbone » tout hydrogène produit par un réseau électrique dont l’intensité carbone est de 18g CO2 eq/MJ (64,8 g CO2 eq/kWh) maximum.

Au sein de l’UE, seules la Suède et la France ont une intensité carbone de réseau inférieure, selon les chiffres repris par Statista. L’Hexagone peut remercier son parc nucléaire, ce qui ne signifie pas pour autant que les défenseurs de l’atome sont satisfaits par le texte de la Commission européenne. Loin de là.

Mécontentement de la filière française

Objet de leur mécontentement, la proposition renvoie à plus tard la possibilité de reconnaître comme « bas-carbone » l’hydrogène produit grâce à de l’énergie exclusivement nucléaire, dans le cadre de la conclusion d’un accord d’achat d’électricité (power purchase agreements, PPA, en anglais) exclusivement nucléaire.

Pour le moment, seule une obligation « d’évaluer l’impact de l’introduction de l’approvisionnement en électricité […] nucléaire » d’ici au 1er juillet 2028 est prévue dans le texte.

« Tout est complètement déconnecté de la temporalité industrielle », fustige Simon Pujau, responsable des Relations institutionnelles de France Hydrogène, fédération française des acteurs de la filière, auprès d’Euractiv.

« Mario Draghi plaidait dans son rapport pour des régulations d’urgences pour l’industrie européenne … Et la Commission européenne laisse entendre que l’on va étudier, peut-être, dans 4 ans, une alternative que l’on ne va même pas forcément reprendre », complète-t-il.

In fine, cette situation risque d’empêcher de prendre les décisions finales d’investissements dans les temps, abonde Marion Labatut, directrice des affaires européennes chez EDF, sur LinkedIn.

Selon Marion Labatut, cela rendrait même très compliquée l’atteinte des 40 gigawatts (GW) de puissance d’électrolyseur installés dans l’UE d’ici à 2030, comme attendu par les pouvoirs publics européens pour atteindre leurs objectifs de production et d’importation d’hydrogène décarboné, que la Cour des comptes européenne juge, d’ailleurs, « irréalistes ». 

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Il n’y aurait pas que du mauvais

Outre l’intensité moyenne du réseau, l’acte délégué prévoit deux autres méthodes de calcul de l’intensité carbone de l’hydrogène bas-carbone.

L’une consiste pour les producteurs d’hydrogène à faire coïncider leur production avec les périodes où les renouvelables ou le nucléaire fixent le prix de l’électricité.

L’autre consiste à prendre en compte l’intensité exacte en carbone du réseau électrique régional, à condition que les opérateurs de réseau offrent un niveau d’information suffisant.

In fine, « l’acte délégué donnera aux producteurs et aux utilisateurs la sécurité juridique dont ils nt besoin de toute urgence », a déclaré Jens Geier, eurodéputé allemand socialiste (socialistes et démocrates, S&D), responsable des nouvelles règles relatives au marché du gaz et opposé à l’énergie nucléaire. « Il sera important de maintenir la flexibilité nécessaire afin de pouvoir apporter toutes les améliorations nécessaires », complète-t-il pour Euractiv.

Pour Geert de Cock, responsable Électricité et Énergie au think tank européen Transport & Environnement, « le pire a été évité » avec la non-introduction de PPA exclusivement nucléaires, écrit-il sur LinkedIn. Selon lui, l’utilisation directe du nucléaire pour remplacer la production d’électricité à partir d’énergie carbonée, plutôt que pour produire de l’hydrogène « offre [en effet] un meilleur rapport qualité-prix en termes de réduction des émissions ».

De leur côté, les défenseurs de l’hydrogène nucléaire s’en remettent désormais à la nouvelle ministre de Transition écologique et de l’Énergie, Agnès Pannier-Runacher, connue pour sa défense acharnée du nucléaire dans les coursives bruxelloises ces dernières années. Simon Pujau attend en effet « qu’elle défende les intérêts de l’hydrogène nucléaire ».

Une fois la période de consultation terminée, la Commission européenne devra encore présenter une proposition finale, qui peut être rejetée par une majorité qualifiée d’États membres de l’UE ou par une simple majorité du Parlement européen.

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