Alors que Bruxelles devrait délaisser l’élaboration intensive de politiques climatiques durant la législature 2024-2029 après un quinquennat axé sur le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal), les militants se tournent vers les tribunaux pour réclamer plus d’ambition dans la lutte contre le changement climatique au niveau de l’Union européenne (UE).
Cette semaine, des ONG environnementales ont intenté une action en justice contre la Commission européenne pour deux motifs distincts portant sur le non-respect de ses obligations en matière de climat. Les organisations plaident pour que les objectifs climatiques de l’UE pour 2030 soient renforcés, et contestent la classification des investissements dans l’aviation et le transport maritime comme « durables ».
Le volume considérable de règlementation climatique adoptée dans le cadre du Green Deal au cours des cinq dernières années signifie que la Commission pourrait être confrontée à de nombreuses affaires de ce type à l’avenir.
« Si vous essayez de comprendre exactement ce qui fait partie de la règlementation du Green Deal, les limites ne sont pas toujours très claires », explique Catherine Higham, chargée de mission à la London School of Economics (LSE) et auteure du rapport annuel de l’institution sur les tendances globales en matière de litiges sur le changement climatique.
Elle a identifié comme domaines dans lesquels les futurs litiges sont les plus probables le règlement sur la durabilité dans le secteur des services financiers, le système européen d’échange de quotas d’émission (SEQE) et la directive révisée sur les énergies renouvelables.
Les plaintes
Les organisations Climate Action Network (CAN) Europe et Global Legal Action Network (GLAN) ont décidé de poursuivre la Commission européenne devant la justice de l’UE pour avoir assigné aux États membres des objectifs climatiques « insuffisants », enfreignant l’engagement de l’Accord de Paris de 2015 sur le réchauffement de la planète.
Les deux organisations environnementales ont expliqué mardi 27 août s’appuyer sur une récente décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui « contraint les États à adopter des objectifs cohérents avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C », conformément à l’Accord de Paris.
En avril, la CEDH avait ainsi condamné la Suisse pour son manque d’action face au changement climatique, rendant un arrêt qualifié d’« historique » par les défenseurs de l’environnement, censé s’appliquer aux 46 États membres du Conseil de l’Europe.
La cible des plaignants est cette fois-ci l’UE et ses 27 États membres, censés atteindre en 2030 une réduction de 55 % de leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 1990.
Or l’UE doit accélérer ses réductions et parvenir à une baisse d’« au moins 65 % si elle veut être un acteur crédible », précise Sven Harmeling, un responsable de CAN Europe, dans un communiqué. Il appelle notamment à une accélération du recours aux énergies renouvelables.
Le lendemain, mercredi 28 août, Opportunity Green et quatre autres ONG ont annoncé qu’elles attaquaient également la Commission en justice concernant son inclusion de l’aviation et du transport maritime dans le règlement de l’UE sur les investissements durables.
Les nouvelles règles permettent à certains nouveaux avions et navires d’être étiquetés de « durables » s’ils répondent à des critères spécifiques d’efficacité en matière d’émissions de CO2. Les ONG estiment que ces normes sont trop laxistes et que les nouveaux avions et navires peuvent trop rapidement bénéficier de ce label.
En janvier de cette année, les ONG ont demandé à la Commission de procéder à un réexamen interne de sa décision, ce qu’elle a refusé en juin.
« Nous ne prenons pas les litiges à la légère, mais c’est la seule option dont nous disposons actuellement en vertu de la législation européenne pour contester cela », a expliqué David Kay, directeur juridique d’Opportunity Green, à Euractiv.
Des cas « systémiques »
Bien que nombre de ces affaires juridiques concerneront probablement des questions de niche spécifiques motivées par des intérêts commerciaux, les ONG environnementales y ont de plus en plus recours pour plaider en faveur d’une plus grande ambition climatique.
Les actions en justice liées aux questions climatiques peuvent être longues et coûteuses, et nombre d’entre elles n’aboutissent jamais. C’est pourquoi les défenseurs du climat ciblent des affaires « systémiques » dans lesquelles les retombées d’une victoire seront considérables et, par conséquent, valent la peine de prendre des risques.
Ce type d’affaires peut porter sur des cibles de gouvernance globale, comme le procès que le groupe d’ONG a intenté cette semaine contre les objectifs climatiques de l’UE à l’horizon 2030. Si elles aboutissent, ces actions peuvent avoir un impact bien plus important que celui d’une campagne de lobbying politique dotée de ressources comparables.
D’autres affaires systémiques visent à créer des précédents juridiques, qui peuvent débloquer d’autres litiges ou forcer la réinterprétation de lois existantes. Les militants ont ainsi remporté plusieurs victoires importantes, notamment en établissant un lien entre l’action climatique et les droits humains.
Par exemple, Catherine Higham cite l’affaire historique Urgenda, dans laquelle les tribunaux néerlandais ont estimé que les Pays-Bas, en ne réduisant pas suffisamment leurs émissions de carbone, avaient manqué à leur devoir de vigilance en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme.
Sans l’affaire Urgenda, « il n’y aurait pas eu l’affaire […] qui a suivi, dans laquelle des ONG ont contesté les objectifs de réduction des émissions de Shell », souligne-t-elle.
En mai 2021, le tribunal de district de La Haye a statué que l’entreprise pétrolière Shell devait réduire ses émissions de 45 % d’ici 2030, y compris les émissions de ses propres produits — une décision à laquelle Shell fait actuellement appel.
Les particularités européennes
« L’Europe est une région importante pour les litiges liés au changement climatique », estime Catherine Higham, puisque « plus des trois quarts des affaires en dehors des États-Unis ont été déposées ici ».
Pourtant, les défenseurs du climat sont confrontés à un cadre juridique européen qui les aide et les entrave à la fois.
Ce cadre leur est favorable d’un côté, car l’Union européenne est partie à la convention d’Aarhus, qui protège l’accès à l’information et à la justice en matière d’environnement.
La règlementation européenne correspondante de 2021 permet aux ONG environnementales de demander un examen interne des mesures adoptées par les institutions de l’UE afin de déterminer si celles-ci sont contraires au droit européen de l’environnement. Les organisations peuvent également contester le résultat de cet examen devant les juridictions de l’Union.
Les deux litiges annoncés cette semaine utilisent ainsi ce mécanisme juridique. Romain Didi, coordinateur de la gouvernance climatique et des droits humains au sein du réseau d’ONG CAN Europe, qualifie la convention d’Aarhus de « fondamentale ».
De l’autre côté, en termes d’entraves, une série de jugements rendus par les juridictions de l’UE ont rejeté des affaires liées au climat au motif que les ONG qui les avaient déposées n’étaient pas « directement concernées ». Les juges ont en substance statué que les ONG n’avaient pas le droit de déposer de telles plaintes, car elles n’étaient pas suffisamment affectées par les politiques en question.
Romain Didi et Catherine Higham sont tous deux d’accord pour dire que ce précédent crée un obstacle de taille pour les futurs litiges climatiques.
Nathan Canas a contribué à la rédaction de cet article.
[Édité par Anna Martino]