La start-up française Verkor, spécialisée dans la conception et la fabrication de batteries pour véhicules électriques, célébrait mercredi dernier à Grenoble le financement de son centre d’innovation, en présence de décideurs publics et privés, ainsi que d’EURACTIV France.
[Lire l’interview de Benoît Lemaignan et Ambroise Fayolle ici]
Sur l’un des murs du bâtiment, qui accueillait mercredi (2 novembre) un parterre de décideurs européens, émerge encore l’un des sigles les plus emblématiques de l’industrie électronique française.
C’est ici, rue Charles Berthier à Grenoble, que l’industriel Merlin Gerin a acquis une renommée mondiale en développant un disjoncteur haute tension que les années 1920 jugeaient révolutionnaire.
Dans cette enceinte « s’est déroulé un siècle d’histoire industriel » raconte Doris Birkhofer.
Par ces mots, celle qui préside Siemens France, propriétaire actuel du lieu, ouvre ainsi le bal de la cérémonie du jour, historique pour l’avenir industriel européen.
Historique, car pendant que Laurence Boone, secrétaire d’État chargée de l’Europe, et Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI), rejoignent Mme Birkhofer sur l’estrade, cette dernière paraphe la promesse de vente du site avec le « Elon Musk français », comme le désignent secrètement ses équipes : Benoît Lemaignan.
Avec cet acte, l’entrepreneur s’ancre définitivement dans la tradition industrielle et technologique d’un territoire habillé par les massifs des Alpes, dont l’un d’eux a inspiré le nom de la start-up qu’il dirige : Verkor.
Avec le concours d’IDEC groupe, co-investisseur pour l’achat du site, Verkor installe donc à Grenoble son siège social, son « École de la batterie », ainsi que son Verkor innovation center (VIC), avec son R&D Lab et sa chaîne de production test.
« Grenoble se trouvait géographiquement à équidistance de nos [co-fondateurs] besoins personnels et professionnels », justifie Sylvain Paineau, l’un des six co-fondateurs de Verkor et fin connaisseur de l’industrie automobile.
La région est aussi « un bassin d’emploi important dans l’électronique, la chimie et la technologie, qui cultive l’international », précise-t-il. Une aubaine pour les 230 collaborateurs aux 28 nationalités.
Mais l’aventure ne fait que commencer : « l’industrie des batteries est une industrie nouvelle qui demande beaucoup de soutien » affirme M. Lemaignan, à quelques minutes de signer, dans la foulée de la promesse de vente, un prêt de 49 millions d’euros accordé par la BEI.

Une somme colossale qui représente 1/5ème des 250 millions d’euros levés par l’entreprise en 2022, après un premier tour de table en 2021 qui a permis de réunir 100 millions d’euros.
Sur cette enveloppe, M. Lemaignan tient à signaler que les employés ont participé à hauteur de 2,5 millions d’euros. « Une somme considérable », preuve de l’engouement de l’écosystème des batteries en Europe.
De nombreux partenaires européens
Au pupitre, Laurence Boone rappelle, avec toute la solennité à laquelle oblige la belligérance russe, « à quel point c’est important de défendre et développer notre industrie en Europe ».
Convié par la secrétaire d’État, Christophe Grudler, eurodéputé Renew et vice-coordinateur de la commission de l’Énergie (ITRE) au Parlement européen, atteste de la gravité de la situation en Europe.
Pour mener à bien son projet et les visées géopolitiques que l’on prête à ses ambitions, Verkor peut compter sur un consortium de partenaires européens « particulièrement impressionnant », reconnaît M. Fayolle.
Outre ceux précités, la start-up créée en juillet 2020 est soutenue, entre autres, par Schneider Electric, Demeter, Sibanye Stillwater, Plastic Omnium, Renault Groupe, ou encore BPI France.
Les banques Santander et Société générale sont aussi parties prenantes du projet, ainsi que l’EIT InnoEnergy, organisme européen de financement de l’innovation.
Autant de partenaires qu’il faut pour que l’entreprise « entre sur le marché au plus vite », confie un membre de l’équipe fondatrice.
L’entreprise devrait ainsi mettre en route sa chaîne de production test dès avril 2023, dans les mêmes locaux que son R&D Lab qu’EURACTIV France a pu, en exclusivité, visiter.
Derrière les murs
Guidés par Christophe Mille, co-fondateur et expert technique de Verkor, quelques invités ont pu se glisser dans le bâtiment attenant à la salle de cérémonie du VIC pour observer le processus de fabrication des futures batteries made in France, du R&D Lab.
Pour le moment, « il faut encore se projeter » concède l’ancien de chez Tesla et BMW. Pour des questions de sécurité et de secrets industriels, la visite ne peut se faire qu’à travers une vitre. Elle ne peut toutefois empêcher d’imaginer la dureté des conditions de travail dans cet espace où le taux d’humidité ne dépasse par les 0,5 % pour ne pas dégrader les processus à l’étude.
En bout de chaîne, des batteries de la taille d’une pile de montre condensent les espoirs d’une industrie montante.
De l’autre côté du couloir se tiendra, dans les prochains mois, la première chaîne de production test de l’entreprise.

Ce sera la chaîne « la plus digitalisée du monde », se targue un membre de l’équipe fondatrice. 36 mètres de long pour 150 MWh/an en sortie de production, avant que plusieurs lignes de 100 mètres de long jalonnent, à partir de 2024, la gigafactory de Verkor à Dunkerque annoncée début février 2022 par le président de la République dans les colonnes de La Voix du Nord.
L’usine permettra à Verkor de produire jusqu’à 50 GWh de batteries par an, dont 20 GWh pour Renault Group, actionnaire de la start-up. Soit de quoi répondre en partie aux objectifs français de produire 2 millions de voitures électriques par an en 2030.
À la clé également, quelque 1200 emplois directs et 3000 indirects pour la région Hauts-de-France, qui, selon nos informations, était en concurrence sur le dossier avec la région Bourgogne Franche-Comté.
« Ici se joue l’avenir de l’industrie européenne » se réjouit ainsi Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, dans une vidéo diffusée durant l’évènement.
Dans une autre vidéo, le ministre délégué chargé de l’Industrie, Roland Lescure, ajoute que « l’objectif est d’atteindre le 100 % de véhicules électriques neufs vendus en 2035 », tel que l’Union européenne vient de l’entériner.
Dans le Vercors, l’Europe aurait-elle donc trouvé son nouveau futur champion de la batterie « pour construire l’indépendance française et européenne », comme le souhaite le président de la République ?