L’affaire des drones souligne la vulnérabilité du nucléaire

L'usine et la centrale de La Haye, dans le Cotentin © Areva

Plus d’une dizaine de centrales françaises ont été survolées par des drones durant le mois d’octobre. Des repérages potentiels non revendiqués qui inquiètent les experts du nucléaire, notamment à propos du transport de matières radioactives.

Le survol de onze centrales nucléaires françaises par deux fois depuis le début du mois d’octobre est devenu un sujet de préoccupation dans l’Hexagone.  « Game of drones » titrait lundi 3 novembre le quotidien Libération, en s’interrogeant sur les tenants et les aboutissants de ces survols.

Le groupe EDF a déposé plainte tout comme le Commissariat à l’Energie Atomique, et une enquête devrait être ouverte sur le sujet. Le survol des centrales nucléaires, interdit dans un périmètre de cinq kilomètres et de 1.000 mètres d’altitude autour des sites, est passible d’un an d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

« Il s’agit d’évènements très graves ! Je ne comprends pas que l’on n’y attache pas plus d’importance. Il y a d’une part le phénomène de ces drones d’origine inconnue, mais aussi le danger potentiel démontré par ce mode d’action » s’étonne Mycle Schneider, expert du nucléaire, et auteur du World Nuclear Industry Status Report.

De leur côté, les services de l’Etat se montrent rassurants. « L’ensemble des services de l’Etat en charge de la sécurité et de la sûreté des points d’importance vitale (intérieur, énergie et environnement, défense) sont mobilisés depuis le début des survols pour identifier les responsables de ces actes et y mettre un terme », a indiqué dans un communiqué le Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale, un service du Premier ministre.

Interrogations sur la sécurité

Du côté du gouvernement,  la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, a refusé d’admettre que la sécurité des centrales pourrait être inadéquate.

« Je ne laisserai quiconque, parce que j’entends déjà les déclarations d’un certain nombre d’associations, porter atteinte à la crédibilité et à la réputation de sûreté de nos centrales nucléaires », a-t-elle déclaré sur Europe 1.

L’hypothèse avait notamment été évoquée par Greenpeace samedi. L’ONG s’inquiétait d’un potentiel largage d’explosif depuis un engin téléguidé. Et la menace terroriste potentielle a été évoquée par les anti-nucléaire.

Parmi les centrales survolées figurent Fessenheim, Flamanville, Penly, Saint-Laurent-des-eaux, Dampierre mais aussi Belleville-sur-Loire (Cher). D’autres centrales avaient précédemment été l’objet de pareils survols, au début du mois d’octobre.

La France est le pays le plus équipé au monde en centrales nucléaires par habitant, avec 58 réacteurs nucléaires répartis sur 19 centrales. Le parc nucléaire actuel, contrairement aux EPR en construction à Flamanville et en Finlande, n’est pas protégé contre une éventuelle attaque d’avion de ligne. Les piscines contenant le combustible usagé ne sont  notamment pas équipées d’un toit très solide, et l’Autorité de Sureté Nucléaire a déjà demandé à EDF de rectifier le tir.

Les piscines et autres endroits fragiles dans une centrale

« Le cœur du réacteur d’une centrale est installé au sein d’une enceinte de confinement très solide. Mais si on est intelligent, on cherche les endroits les plus faibles d’une centrale, et le recours à des repérages peut éventuellement y concourir. Il y a évidemment des endroits fragiles et attaquables » observe Mycle Schneider, qui s’inquiète de la vulnérabilité du site de La Hague.

Le lieu est, selon lui, à la fois l’un des plus vulnérables, et où le risque de radiotoxicité est le plus élevé. Il y a en effet 10.000 tonnes de combustibles irradiés entreposés dans 5 piscines peu protégées, et surélevées pour des raisons sismiques. 

« Le risque de ces piscines hors-sol, c’est qu’elles peuvent être vidées, et elles ne sont couvertes que par de la tôle ondulée » souligne-t-il.

Le transport de plutonium se poursuit

Mais la vulnérabilité de La Hague est aussi liée au transport de plutonium effectuée à partir de ce site, par la route, dans des camions. L’usine de retraitement de La Hague extrait du plutonium des combustibles déjà utilisés et le transporte dans le Sud de la France, à Marcoule. Un déroulement critiqué depuis longtemps par les anti-nucléaires. Mais qui devient plus risqué en cas d’intentions malignes selon le spécialiste. Or ces transferts se poursuivent actuellement, comme l’indique Areva.

« Les transports de plutonium de La Hague vers Melox sont inhérents à l’organisation du processus industriel de traitement-recyclage en France. Par définition, ceux-ci ont lieu régulièrement» précise un porte-parole d’Areva, tout en indiquant que ces transferts se déroulent dans des emballages spécifiques et ne représentent « pas d’enjeu radiologique pour les populations et l’environnement ».

La député européenne Michèle Rivasi s'est interrogée sur ces survols, et surtout à propos des piscines de refroidissement

« Aujourd’hui, il faut identifier les auteurs de ces survols. Difficile de croire que les autorités en soient incapables sauf si justement ces survols sont des opérations orchestrées par les services de renseignement pour tester la capacité de réaction. Dans ce cas, les autorités doivent le dire, les Français ne peuvent rester dans l’inconnu ».

« Enfin, il faut prendre les dispositions nécessaires en matière de sûreté : accélérer les travaux de mises aux normes post-Fukushima et aller même au-delà des préconisations qui avaient été faites a minima. Au niveau européen, les écologistes avaient pourtant alerté la Commission européenne du traitement partiel des risques de sûreté et avaient justement demandé que soient pris en compte les crashs aériens. Ils avaient aussi insisté sur la ‘bunkérisation’ (protection avec une dalle en béton) des piscines de refroidissement des combustibles usés qui sont pourtant une grave menace radioactive, où les déchets des réacteurs sont stockés au moins 3 ans sur place. C’est là toute la tragédie de la sûreté nucléaire, elle se concentre sur le seul ‘bâtiment réacteur’ et non sur les annexes de la centrale qui représentent pourtant un danger réel.

Après l'épisode de Fukushima, l'UE avait mené en Europe des "stress tests" de son parc nucléaire, testant la sureté des réacteurs.

Au plan européen, les problèmes de sécurité avaient été analysés non pas par l’ENSREG, mais par un groupe ad-hoc (AHGNS), qui avait émis de recommandations. La question des éventuels incidents aériens était notamment abordée dans ce rapport.

Inscrivez-vous à notre newsletter

S'inscrire