La filière bois-énergie inquiète de la tentative de l’UE de limiter l’utilisation de la biomasse

Suite à une proposition de la Commission européenne de juillet 2021 visant à réviser la directive sur les énergies renouvelables, le Parlement a adopté sa position sur la question en septembre, avec pour objectif de limiter la quantité de biomasse qui peut être brûlée. [Shutterstock / stockcreations]

Le Parlement européen envisage d’exclure certains types de bois primaire des objectifs de l’Union européenne en matière d’énergies renouvelables, ce qui inquiète l’industrie, qui souligne que la bioénergie est un élément essentiel pour la sécurité énergétique du bloc.

La biomasse représente actuellement 60 % de l’ensemble des énergies renouvelables en Europe. Si l’on en croit les statistiques de l’UE, le secteur du chauffage et de la climatisation sont les plus gros utilisateurs finaux de la biomasse.

Suite à une proposition de la Commission européenne de juillet 2021 visant à réviser la directive sur les énergies renouvelables, le Parlement a adopté sa position sur la question en septembre, avec pour objectif de limiter la quantité de biomasse qui peut être brûlée.

Pour cela, certains types de « biomasse ligneuse primaire » sont exclus de la définition des énergies renouvelables et leur utilisation est limitée.

La proposition du Parlement d’exclure une partie de la biomasse ligneuse primaire de la directive a suscité la controverse. Certains gouvernements craignent que la proposition puisse mettre en péril la sécurité énergétique du bloc.

« Le véritable défi auquel nous serons confrontés au cours des deux ou trois prochaines années consistera à assurer notre sécurité énergétique, à nous chauffer et à maintenir nos industries à flot », a expliqué Pauline Lucas, directrice politique d’Euroheat and Power, le réseau international pour l’énergie collective.

Cela nécessite l’utilisation de « toutes les sources de chauffage durables que nous possédons, y compris la biomasse ligneuse », a-t-elle indiqué aux participants d’un évènement organisé par EURACTIV jeudi dernier (1er décembre).

La bioénergie représente 20 % du bouquet énergétique dans le chauffage urbain à travers l’Union. Selon Mme Lucas, la biomasse restera une ressource importante pour décarboner le secteur du chauffage, éliminer progressivement les combustibles fossiles et récupérer les résidus de bois qui ne peuvent être utilisés à d’autres fins.

Par ailleurs, limiter l’utilisation de la biomasse « pourrait réellement détériorer le processus de décarbonation de notre secteur », a averti Mme Lucas, qui a également ajouté que cela risquait de décourager le marché de se tourner vers le chauffage urbain.

« En termes de chaîne de valeur [énergétique], cela pourrait avoir des conséquences assez variées », a-t-elle poursuivi.

Les trois principaux groupes politiques du Parlement européen soutiennent la fin des subventions à la biomasse

Les trois principaux groupes politiques du Parlement soutiennent les propositions visant à mettre fin aux subventions pour la biomasse utilisée dans les centrales électriques et à exclure la combustion de biomasse ligneuse primaire des objectifs de l’UE en matière d’énergie renouvelable.

La biomasse empêche les investissements dans l’éolien et le solaire

Pourtant, la bioénergie a été critiquée par certains groupes de défense de l’environnement, qui estiment que la combustion du bois favorise la déforestation, détruit les habitats naturels et nuit aux forêts qui servent de puits de carbone, qui sont des éléments importants pour la lutte contre le changement climatique.

Ces groupes souhaitent que les responsables politiques arrêtent d’encourager la combustion du bois primaire en l’excluant des objectifs de l’UE en matière d’énergies renouvelables.

« Je me demande vraiment comment on peut décarboner quoi que ce soit en brûlant du bois », a déclaré Martin Pigeon de l’ONG internationale FERN, qui milite pour la protection des forêts.

Pour obtenir la même quantité de chaleur ou d’électricité, la combustion du bois libère plus de CO² que celle du gaz, du pétrole et même du charbon, a souligné M. Pigeon. Selon lui, l’industrie forestière « contribue à la dégradation massive du puits terrestre ».

« Quand on entend parler de neutralité carbone, la neutralité, c’est simplement les forêts. Quand on parle des terres, c’est le deuxième plus grand puits [carbone] dont nous disposons après les océans », a-t-il expliqué.

Par ailleurs, M. Pigeon a remarqué que la possibilité de considérer la biomasse comme une source d’énergie renouvelable permet à certains États membres, comme la Hongrie, d’atteindre leurs objectifs en matière d’énergies renouvelables, principalement grâce à la bioénergie. Toutefois, cela entraînerait un retard dans les investissements dans l’éolien et le solaire.

« Quel est le message que l’UE souhaite envoyer aux investisseurs concernant l’avenir de son secteur énergétique ? S’agit-il de brûler à nouveau du bois, comme nous l’avons fait pendant un million d’années déjà ? Ou bien, voulons-nous quelque chose de plus écologique, qui ne se fasse pas au détriment de notre santé, des forêts et de notre avenir ? » a-t-il demandé.

Principe de la cascade

Au Parlement, les eurodéputés écologistes sont d’accord sur ce point. Ils estiment qu’il faut plafonner la quantité de biomasse ligneuse primaire qui peut être comptabilisée dans les objectifs des États membres en matière d’énergie renouvelable.

Ville Niinistö, eurodéputé finlandais du groupe des Verts au Parlement, a expliqué, lors de l’évènement organisé par EURACTIV, que les États membres ont augmenté leur utilisation des ressources forestières au cours des dix dernières années en raison de ces objectifs européens en matière d’énergies renouvelables.

La demande de biomasse augmente, mais le potentiel d’augmentation de la production durable est limité par des facteurs écologiques tels que la nécessité de protéger la biodiversité et de conserver les puits de carbone de l’Europe, affirme-t-il.

John Bell, directeur de la recherche et de l’innovation de la Commission européenne, a confié à EURACTIV lors d’un récent entretien que « des études suggèrent que l’écart entre la demande potentielle de biomasse et son approvisionnement durable peut atteindre 40 à 70 % » d’ici 2050, en fonction des scénarios.

Même si la solution à court terme consiste en partie à brûler du bois pour assurer la sécurité énergétique du continent, un « principe de la cascade » devrait être appliqué. Selon ce principe, la biomasse doit réservée aux usages les plus pertinents à chaque étape et également être recyclée le plus longtemps possible jusqu’à ce qu’elle soit finalement brûlée pour produire de l’énergie, détaille M. Niinistö.

« Nous sommes déjà en train de développer des méthodes d’utilisation des résidus de plus en plus efficaces au lieu de les simplement brûler. La combustion donne le produit de moindre valeur que l’on peut obtenir de l’arbre, donc rien qui peut être utilisé d’une meilleure manière ne devrait être brûlé », a déclaré l’eurodéputé finlandais.

Pierre de Montlivault, président de la Fédération des Services Énergie Environnement (Fedene) en France, estime que les économies d’énergie doivent également faire partie de la solution pour parvenir à une réduction de l’utilisation de la biomasse.

« Nous avons besoin de la biomasse pour pouvoir atteindre nos objectifs en France afin de décarboner le secteur du chauffage », a-t-il indiqué.

« Cependant, la meilleure façon d’y parvenir avec une quantité minimale de bois est de faire des économies d’énergie », a-t-il poursuivi, avant de souligner que les économies d’énergie devraient être la priorité absolue de la politique énergétique en Europe.

« Les gens parlent toujours avant tout de la pollution liée à l’énergie [mais] ils devraient d’abord parler de la consommation d’énergie », a conclu M. de Montlivault.

> Vous pouvez regarder la rediffusion de l’évènement organisé par EURACTIV en entier ci-dessous :

Cet article a été écrit après le débat organisé par EURACTIV intitulé « Le secteur de l’énergie ligneuse : un partenaire pour la gestion durable des forêts européennes ? » et organisé avec le soutien d’Électricité de France (EDF).

[Édité par Anne-Sophie Gayet]

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