La France dénonce les « positions hypocrites » des détracteurs de l’hydrogène bas-carbone

Robert Habeck (à gauche), ministre fédéral allemand de l'économie et de l'action pour le climat, et Agnès Pannier-Runacher (à droite), ministre française de la transition énergétique, discutent pendant un conseil spécial de l'UE sur la crise énergétique à Bruxelles, en Belgique, le 19 décembre 2022. [EPA-EFE/OLIVIER HOSLET]

Lors d’une réunion du Conseil Énergie de l’UE lundi (19 décembre), la ministre française a fustigé la position « hypocrite » de son homologue allemand sur l’intégration d’hydrogène bas-carbone – produit à partir d’électricité nucléaire – dans les objectifs de développement d’hydrogène renouvelable, alors que les deux pays se sont mis d’accord le mois dernier sur le respect de la « neutralité technologique ».

Le 25 novembre dernier, la présidence Tchèque du Conseil de l’UE proposait d’introduire, dans la directive gaz un article 8a qui devait permettre à l’hydrogène bas-carbone d’aider à atteindre les objectifs de développement des énergies renouvelables dans les secteurs du transport et de l’industrie. 

Une position qui faisait suite au compromis franco-allemand selon lequel les deux pays reconnaissaient le principe de « neutralité technologique » dans le domaine.

Mais depuis, les services juridiques du Conseil de l’UE ont remis en cause la légalité de l’article, poussant les États membres opposés à la confusion des hydrogène bas-carbone et renouvelable à exprimer leur opposition.

Pour la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, ces « positions qui ont été exprimées sont extraordinairement hypocrites […] compte tenu de l’urgence climatique » qui imposerait, selon elle, de mobiliser toutes les énergies bas-carbone disponibles.

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Objectifs dans le transport et l’industrie

L’introduction, sur proposition de la présidence Tchèque, d’un article 8a dans la directive gaz devrait permettre à l’hydrogène bas-carbone d’être compté «  en complément  » des objectifs nationaux de réduction des gaz à effet de serre (GES) et des carburants renouvelables d’origine non biologique (RFNBO) visés dans la directive révisée de l’UE sur les énergies renouvelables, pour les domaines des transports et de l’industrie difficiles à électrifier.

Ceci devait permettre à l’hydrogène bas-carbone d’intégrer les objectifs de décarbonation de l’économie européenne, tel que la France et sept autres États membres – Roumanie, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Croatie, Bulgarie et Hongrie – en faisaient la demande dans une lettre adressée le 25 octobre à la Commission européenne.

Une position également défendue par une partie de l’industrie européenne qui ne s’est pas fait prier pour le partager dans une lettre ouverte aux institutions européennes, arguant notamment que la production d’hydrogène avec de l’électricité décarbonée du réseau permet de produire de l’hydrogène quasiment en continu, en complément de l’hydrogène renouvelable.

Or, cette position n’était pas celle acquise à l’Allemagne et ses alliés – Autriche, Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, notamment. Ces derniers ne souhaitent pas voir de l’hydrogène bas-carbone au sein des textes relatifs à l’énergie renouvelable, tel que l’article 8a pourrait le laisser entrevoir.

Pourtant, à l’issue de plusieurs rendez-vous bilatéraux fin novembre, les autorités françaises et allemandes semblaient avoir trouvé un terrain d’entente.

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Neutralité technologique et avis juridique défavorable

Dans une déclaration commune en date du 25 novembre, on peut ainsi lire qu’Allemands et Français « s’engagent à respecter les choix technologiques de chaque pays en matière de mix électrique » et « trouveront ensemble une solution sur la manière de refléter cette compréhension commune dans les dossiers législatifs en cours, y compris dans le paquet gaz [et hydrogène]  ». Ce à quoi s’est donc efforcée la présidence Tchèque.

Le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher explique néanmoins à EURACTIV que lors des discussions en conseil extraordinaire le 13 décembre, un avis défavorable des services juridiques du Conseil de l’UE a permis aux détracteurs de l’hydrogène bas carbone de remettre en question l’article 8a, autant sur l’aspect juridique que politique.

En ouverture des discussions en conseil de l’Énergie à Bruxelles, la ministre belge Tinne van der Straeten, a ainsi déclaré : « sur le fonds, je crois qu’il ne faut travailler qu’avec de l’hydrogène totalement renouvelable dans la directive renouvelable. C’est donc la législation gaz qui doit reprendre l’hydrogène bas carbone ». Or, l’article 8a « n’a pas cette approche différenciée », note-t-elle.

Le ministre néerlandais embrasse une approche similaire, tandis que son homologue autrichienne déclare que les travaux de la Commission manquent de précisions sur l’avis défavorable exprimé par les services juridiques du conseil de l’UE. La ministre de l’Énergie espagnole, Teresa Ribera, ajoute laconiquement qu’ « il ne faut pas mélanger bas-carbone et renouvelable ».

L’Allemagne défend également cette ligne, craignant que l’hydrogène bas-carbone désintègre l’objet même d’une directive sur la production d’hydrogène renouvelable.

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« Extraordinairement hypocrites »

En face, Agnès Pannier-Runacher répond avec vigueur que les « positions qui ont été exprimées sont extraordinairement hypocrites […] compte tenu de l’urgence climatique ».

« L’électricité nucléaire est utile lorsqu’on en a besoin d’électricité, mais lorsqu’on doit la mettre dans les textes, on ne la retrouve plus », s’est-elle étonnée. La ministre a insisté sur le fait que « retenir ce texte [paquet gaz] sans l’article 8a reviendrait à dénier aux États membres le choix de choisir leur mix énergétique » inscrit dans les traités européens.

D’ailleurs, l’Allemagne n’en serait pas à son coup d’essai, écrivent dans une tribune publiée sur EURACTIV France Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN) et Philippe Boucly, président de France Hydrogène.

« Les négociateurs allemands à Bruxelles n’ont pas respecté le choix de la France d’utiliser son électricité nucléaire et renouvelable pour produire de l’hydrogène », déclarent-ils, en référence à l’échec des négociations sur l’introduction de kérosène durable produit à partir de nucléaire dans le règlement RefuelEU consacré au développement des carburants d’aviation durable.

Rebelote lundi donc, alors que de son côté, la France aurait fait sa part du marché en donnant son accord au projet « H2Med » de corridor hydrogène depuis l’Espagne, lors du sommet à Alicante les 8 et 9 décembre dernier.

Or, « torpiller la stratégie hydrogène française est totalement contreproductif et ne fera qu’augmenter la dépendance aux importations », déclare Marion Labatut, directrice adjointe aux affaires européennes d’EDF, contactée par EURACTIV France.

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Position française indéfendable ?

Mais pour d’autres observateurs, comme l’organisation écologique Climate action network Europe, la position française reste indéfendable, notamment d’un point de vue juridique.

« Le service juridique du Conseil a souligné à plusieurs reprises le fait que la législation primaire existante ne peut être modifiée par une autre législation primaire », rappelle-t-elle.

L’ONG a également publié une déclaration commune avec l’industrie renouvelable contre le projet d’article 8a, renvoyant le soin à la présidence suédoise, qui prendra la tête du Conseil de l’UE au 1er janvier, d’ « assurer la cohérence des politiques en maintenant la directive sur les énergies renouvelables pour les seules énergies renouvelables ».

Un certain nombre d’États membres souhaitent également que les négociations sur le paquet gaz soient renvoyées à la prochaine présidence, écartant dès lors la possibilité de conclusions à l’issue du conseil de l’Énergie lundi.

« Sous présidence suédoise nous pourrons sans doute clôturer [le paquet gaz] si vous voulez bien supprimer l’article 8a » a déclaré Claude Turmes, ministre de l’Énergie luxembourgeois, lors du conseil.

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[Édité par Frédéric Simon]

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