La transition énergétique en Allemagne n’est pas acquise

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La sortie du nucléaire est actée, la production d’énergies renouvelables en plein essor. Mais l’adaptation du réseau électrique a pris du retard, et les responsables politiques recommencent à s’interroger sur les coûts.

Samedi 26 mars 2011, deux semaines après l’accident nucléaire de Fukushima. Plus de 200 000 personnes manifestent pour la sortie définitive du nucléaire en Allemagne. Quelques mois auparavant, le gouvernement de la chancelière Angela Merkel avait décidé de revenir sur l’abandon du nucléaire négocié avec l’industrie, pour la première fois, par les sociaux-démocrates et les verts en 2000.

Mais l’accident au Japon a changé la donne. Face à la population divisée sur le nucléaire depuis plus de 30 ans, Angela Merkel choisit de ne pas prendre de risque et impose un moratoire sur huit réacteurs. Le sort du reste du parc dépendra des résultats du travail d’une commission d’éthique, composé d’experts reconnus.

Le verdict est présenté fin mai. Les experts estiment que la sortie du nucléaire est souhaitable, d’un point de vue moral, et faisable, d’un point de vue technique et économique. La commission conseille au gouvernement de ne plus jamais redémarrer les centrales fermées à la suite de Fukushima, et d’abandonner les neuf réacteurs restants d’ici 2022.

« Fukushima a changé mon attitude sur l’énergie nucléaire »

La chancelière, physicienne de formation et en quête d’une nouvelle crédibilité, avoue, quant à elle : « Fukushima a changé mon attitude sur l’énergie nucléaire ». Fin juin 2011, la décision est donc prise : tous les groupes politiques du Bundestag, à l’exception de l’extrême gauche, approuvent la loi actant la sortie du nucléaire d’ici 2022.

Le « Atomausstieg » est une initiative gigantesque. Norbert Röttgen, alors ministre de l’Environnement, parle d’un « projet national commun », qui concerne non seulement la politique, mais le pays entier, c’est-à-dire l’artisanat, l’industrie et les citoyens.

Le nucléaire compte alors pour environ un cinquième de la production d’électricité de l’Allemagne. Cette part dans le bouquet énergétique doit être remplacée par des sources alternatives, dont les énergies renouvelables.

Essor des renouvelables

Depuis une dizaine d’années, ces dernières prennent une place de plus en plus importante. En 2000, les énergies renouvelables comptaient pour 3,8% de la consommation d’électricité, contre 12,2% fin 2011. Et cet essor devrait se poursuivre.   

D’ici 2020, le gouvernement s’est fixé deux objectifs contraignants. La part des énergies renouvelables dans la consommation d’électricité devrait atteindre 35%, et la consommation d’électricité baisser de 10%.

Les défis auxquels les Allemands vont devoir faire face pour mener à bien leur transition énergétique sont donc énormes.

Le plus grand d’entre eux est le renforcement du réseau électrique pour acheminer l’énergie des centres de production au Nord vers les principaux lieux de consommation situés au Sud. Environ 3400 km de nouvelles lignes à haute tension, dont quatre « grandes autoroutes de l’énergie », devront  être construites dans les dix ans à venir, selon une étude de l’agence allemande de l’énergie de décembre 2010.

Retard

Toutefois, la construction de ce type d’infrastructure prend du temps. En 2009, 1834 km de réseaux électriques ont été identifiés comme prioritaires par le législateur. Depuis, seulement 214 km ont été construits, et moins de 100 km ont réellement été mis en service, a déploré le chef de l’autorité de régulation en charge des réseaux en mai 2012.

La plupart des retards s’expliquent par la lenteur des procédures d’autorisation et de planification, jusqu’à présent en grande partie entre les mains des 16 États fédéraux (Länder). Conscient du problème, le gouvernement a introduit, en 2011, de nouvelles procédures simplifiées et centralisées au niveau fédéral.

Le deuxième problème est que la baisse de la consommation n’avance pas à l’allure souhaitée. Elle devrait pourtant être au centre des efforts, ont estimé plusieurs chercheurs qui ont lancé un appel au gouvernement d’Angela Merkel au début de l’année 2012.

Une transition trop chère?

Le troisième grand défi est la maitrise des coûts. Les montants à investir pour remplacer le nucléaire sont considérables. Le développement du réseau seul pourrait couter environ 2 milliards d’euros par an d’ici 2022, selon les estimations publiées par les quatre gestionnaires de réseau allemand fin mai.

Même si ces chiffres sont jugés trop importants par certains experts, d’autres études ont prouvé que la transition énergétique ne pourrait pas se faire sans que le prix de l’électricité en Allemagne augmente encore. Les Allemands devront s’attendre à une hausse entre 0,4 ct/kwh et 1,6 ct/kWh entre 2015 et 2030, estime le Conseil allemand des experts économiques dans son rapport annuel 2011.

Selon les derniers chiffres annoncés par le gouvernement début septembre, l’augmentation du prix de l’électricité pour les particuliers d’ici la fin de l’année pourrait même s’avérer plus significative.

Or, entre 2000 et 2011, les prix ont déjà augmenté de 79% pour les consommateurs privés. Dans l’industrie, la croissance des prix a été légère depuis 2000, et les tarifs ne changeront guère en raison de l’abandon du nucléaire, affirme le Conseil allemand des experts économiques. Les industries hautement consommatrices d’électricité ne sont pas soumises au régime tarifaire général, qui comprend une contribution pour le financement de l’électricité verte (Ökostromumlage). 

Débat relancé

La problématique du coût de la transition énergétique a récemment resurgi dans le débat public allemand.

L’actuel ministre de l’Environnement Peter Altmaier s’est montré préoccupé par l’effet qu’une augmentation du coût de l’électricité pourrait avoir sur les consommateurs qui assument une grande partie des coûts. « La politique doit faire en sorte que les prix de l’énergie pour les citoyens et l’économie n’augmentent pas au-delà de ce qui est nécessaire », a-t-il affirmé, le 15 juillet, aux journalistes de « Bild am Sonntag ».

Dans une interview publiée dans le quotidien allemand « Bild » mi-juillet, le ministre de l’Économie Philipp Rössler (FDP) n’a pas exclu un réajustement de la stratégie, « si des emplois et la compétitivité sont menacés ». 

Pour diminuer les coûts, Peter Altmaier fait de l’efficacité énergétique une priorité d’ici les élections législatives de septembre 2013. Il prévoit également une refonte du système des subventions des énergies renouvelables.

Un autre sujet, toutefois peu débattu en Allemagne, est l’effet de la transition énergétique en terme d’émission de CO2. Or, le recours aux renouvelables, dont la production varie en fonction des conditions météorologiques, nécessite le renforcement des capacités de production conventionnelles rapidement activables comme (charbon, gaz, hydroélectricité…).

Un défi européen

La Commission européenne propose de gérer cette question de façon collective, en construisant plus d’interconnexions entre les pays de l’UE. L’objectif est de faciliter les échanges d’électricité verte. L’intermittence de la production des énergies renouvelables pourrait être ainsi réduite au minimum.

Une coopération européenne renforcée est indispensable, juge également le Centre d’analyse stratégique (CAS), dans une note publiée mardi 11 septembre. Les experts constatent que la transition énergétique entamée par une décision souveraine en Allemagne « a jeté le trouble sur la scène européenne, car elle n’est pas sans conséquence sur les pays voisins ».

C’est notamment « l’équilibre offre demande de l’Europe toute entière » qui a été modifiée, explique le CAS.

Quand les conditions météorologiques sont favorables à la production des renouvelables, l’offre nationale d’électricité dépasse la demande et l’Allemagne exporte son énergie vers les pays voisins, ce qui fait baisser les prix sur le marché européen. En France et ailleurs, certaines centrales thermiques perdent en rentabilité. 

Mais quand la production des éoliennes et des panneaux solaires n’est pas suffisante, les voisins de l’Allemagne doivent assurer la sécurité d’approvisionnement du pays. C’est pourquoi « la voix des gestionnaires de réseaux européens commence à s’élever pour que les Allemands payent pour la stabilité du réseau qu’ils leur fournissent ».

De leur côté, les électriciens allemands ont commencé à investir massivement dans des centrales à gaz et au charbon. Mais face aux enjeux climatiques, cette approche pourrait s’avérer problématique. 

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