Le gouvernement allemand désavoue l’hydrogène bleu

Le ministre allemand de l’Économie et de la Protection du climat, Robert Habeck, assiste à une conférence de presse à Berlin, en Allemagne, le 11 janvier 2022. M. Habeck a déclaré que, si de nouvelles mesures n’étaient pas prises, les projections montraient que les objectifs climatiques de 2030 ne seraient pas atteints dans tous les secteurs en Allemagne. [EPA-EFE/FILIP SINGER]

Le nouveau gouvernement allemand a dévoilé la semaine dernière ses intentions de relever massivement ses ambitions dans le cadre de sa stratégie nationale en matière d’hydrogène. Un seul bémol : l’hydrogène issu de gaz fossiles, appelé l’hydrogène bleu, ne sera probablement pas inclus dans les programmes de subvention, et ce malgré les demandes de l’industrie pétrolière et gazière.

L’hydrogène propre est considéré comme une solution miracle pour décarboner des secteurs tels que ceux de la sidérurgie ou des produits chimiques, qui ne peuvent pas devenir complètement électriques et ont besoin de combustibles à forte densité énergétique pour générer les hautes températures nécessaires à leurs processus industriels.

La Commission européenne affirme que l’hydrogène jouera un rôle clé dans la réalisation des objectifs climatiques de l’Union européenne et que 24 % de la demande énergétique mondiale pourrait être satisfaite par de l’hydrogène propre en 2050.

« Nous avons besoin de développer massivement l’hydrogène », a expliqué le vice-chancelier Robert Habeck le 11 janvier à Berlin. L’industrie sidérurgique à elle seule aurait besoin de cinq fois plus d’hydrogène que ce qui est actuellement prévu dans tous les secteurs, a-t-il ajouté.

Pour atteindre cet objectif, l’Allemagne doublera sa capacité d’électrolyse pour la fabrication d’hydrogène, qui passera de 5 GW à 10 GW en 2030, dans le cadre de son prochain « paquet de Pâques » de mesures législatives, a expliqué M. Habeck.

M. Habeck souhaite accélérer la production en mettant rapidement en œuvre les « projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC) relatifs à l’hydrogène, d’un montant de 8 milliards d’euros, en établissant des régimes de subventions supplémentaires et en proposant aux entreprises des Carbon Contracts for Difference afin de réduire le risque lié à leurs investissements.

Le cadre juridique sera également remanié afin de maximiser la production, le transport et l’utilisation de l’hydrogène dit « vert », qui est de l’hydrogène obtenu en scindant les molécules d’eau en dioxygène et en dihydrogène au moyen d’électricité renouvelable.

« Nous nous y engageons également au niveau européen », indique le bilan d’ouverture de M. Habeck en matière de protection du climat, qui désigne la mise en place de systèmes de certification comme l’un des aspects de la législation européenne qui encourage Berlin à favoriser l’hydrogène vert à présent. 

Une base de données européenne unique pour certifier la teneur en carbone de l’hydrogène et des carburants à faible teneur en carbone

La Commission européenne prépare une base de données européenne afin de certifier de manière harmonisée l’empreinte carbone de l’hydrogène et d’autres carburants à faible teneur en carbone.

La promesse de l’hydrogène bleu

Toutefois, l’Allemagne n’accordera aucune subvention pour l’hydrogène dit « bleu », qui est créé grâce à l’utilisation de gaz fossiles et à la séquestration des émissions de CO2 qui en résultent au moyen de la technologie de captage et stockage du carbone (CSC). C’est ce qu’a déclaré Patrick Graichen, secrétaire d’État et bras droit de M. Habeck.

Pour les partisans de l’hydrogène bleu, le programme allemand est difficile à accepter. Les représentants de l’industrie pétrolière et gazière se sont prononcés fermement en faveur de l’hydrogène bleu et même la Commission européenne a déclaré que ce dernier serait nécessaire à la transition vers une économie de l’hydrogène vert, entièrement basée sur les énergies renouvelables.

Selon un rapport de 2021 financé par l’industrie, la production d’hydrogène à partir de gaz naturel pourrait permettre à l’Europe d’économiser 2  000 milliards d’euros d’ici à 2050, car elle peut s’appuyer sur les infrastructures gazières déjà existantes.

Un autre argument souvent avancé par les partisans de l’hydrogène bleu est qu’il peut aider à résoudre le problème de la poule et de l’œuf, à savoir que le manque de production d’hydrogène entraîne un manque de demande.

« Si nous voulons résoudre ce problème de la poule et de l’œuf, c’est maintenant qu’il faut se lancer dans l’économie de l’hydrogène, et cela implique d’accepter différentes formes d’hydrogène », a expliqué Sigfried Russwurm, président de l’association industrielle allemande BDI, le 13 janvier.

Sur la voie vers 100 % d’hydrogène vert, « nous devons accepter la réalité : de telles quantités d’hydrogène vert ne sont ni réalistes ni disponibles aujourd’hui et dans les années à venir, car la croissance du marché se fera lentement », a-t-il confié aux journalistes.

Sa position est soutenue par la célèbre économiste allemande Veronika Grimm, membre du Conseil national allemand de l’hydrogène. « Pour être réaliste, l’hydrogène vert ne sera pas disponible en temps voulu », a-t-elle expliqué à EURACTIV. « Et l’hydrogène bleu peut servir de transition à cet égard », a-t-elle ajouté.

Le problème de l’hydrogène bleu

Cependant, en dépit de tous ses partisans, l’hydrogène bleu peine à se défaire du fait que le gaz fossile soit un matériau clé de sa création, avec tous les problèmes que cela implique.

Le gaz, importé principalement d’États problématiques tels que la Russie, a tendance à fuir des gazoducs, ce qui a de graves répercussions sur le climat, le méthane étant un puissant gaz à effet de serre.

« Nous n’avons pas encore visité un seul pays qui ne présente pas une quantité alarmante de pollution due au méthane fuyant ou s’échappant des installations pétrolières et gazières », a déclaré Jonathan Banks de la Clean Air Task Force, une ONG environnementale.

Le dernier scandale en date pour l’hydrogène bleu est survenu suite à la crise énergétique européenne, qui a vu les prix du gaz atteindre des sommets après l’été. Comme l’hydrogène bleu dépend du gaz, la forte hausse des prix a démontré que ce type d’hydrogène est par conséquent exposé à la volatilité du marché.

« Je pense que pour un investisseur, l’hydrogène bleu paraîtra très risqué », a expliqué Tom Baxter, cofondateur de l’Hydrogen Science Coalition, un groupe de réflexion.

Si l’on ajoute à cela les doutes qui entourent la technologie du CSC, de nombreux analystes et chercheurs restent dubitatifs quant au prix de l’hydrogène bleu.

« Nous constatons que les émissions des processus de production d’hydrogène à base de gaz ou de charbon pourraient être importantes, même avec la technologie du CSC, et que le coût du CSC est plus élevé que ce que l’on imagine souvent », peut-on lire dans une étude publiée en janvier dans Applied Energy.

Enfin, certains craignent que le soutien à l’hydrogène bleu ne crée un effet de verrouillage dans l’infrastructure des combustibles fossiles. « Une fois que vous avez investi dans l’hydrogène bleu, vous avez investi pour 30 ans », a déclaré M. Baxter. Par conséquent, l’hydrogène bleu « ne constitue pas un tremplin ».

En effet, « vous n’allez pas arrêter l’hydrogène bleu quand l’hydrogène vert arrivera », a-t-il ajouté.

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