Les experts du FMI exhortent les gouvernements à cesser leurs subventions aux énergies fossiles, qui s’élèvent à 4,74 mille milliards d’euros par an, selon de nouvelles estimations.
Les entreprises d’extraction d’énergies fossiles bénéficient de subventions à hauteur de 4,74 mille milliards d’euros par an, soit l’équivalent de près de 10 millions d’euros par minute, chaque jour, selon les estimations du Fonds monétaire international.
Une découverte « choquante », selon le Fonds monétaire international (FMI), qui explique que ses estimations s’appuient sur des bases solides et offrent un aperçu des coûts réels des combustibles fossiles. Les 4740 milliards d’euros (5300 milliards de dollars) de subventions estimées pour 2015 dépassent l’ensemble des dépenses liées à la santé publique de tous les gouvernements du monde.
Cette somme impressionnante est notamment due au fait que les pollueurs ne participent pas à tous les coûts de la combustion du charbon, du pétrole et du gaz. Ces coûts comprennent notamment les dommages causés aux populations locales par la pollution de l’air, ou encore par toutes les personnes dans le monde qui sont affectées par les inondations, les sécheresses et les tempêtes qui résultent du changement climatique.
« Cette analyse très importante fait voler en éclat la croyance selon laquelle les énergies fossiles sont peu chères en montrant l’ampleur de leurs coûts réels », estime Nicholas Stern, éminent économiste climatique à la London School of Economics. « Il n’y a aucune justification possible pour ces subventions faramineuses aux combustibles fossiles, elles faussent les marchés et affaiblissent les économies, surtout dans les pays les plus pauvres. »
Selon ce spécialiste, les chiffres du FMI sont cependant encore optimistes : « une estimation plus complète des coûts engendrés par le changement climatique montrerait que les subsides implicites dont bénéficie l’industrie des énergies fossiles sont plus élevés encore que ce que suggère ce rapport ».
Le FMI, l’une des institutions financières les plus respectées au monde, estime que la suppression des subventions aux énergies fossiles permettrait de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire. Une telle réduction constituerait un pas de géant vers une stabilisation du changement climatique, un sujet sur lequel le monde n’a fait que peu de progrès à ce jour.
De l’argent mal utilisé
La fin des subventions réduirait également de moitié le nombre de morts prématurées causées par la pollution de l’air. Ce ne sont pas moins de 1,6 million de vies qui seraient ainsi épargnées tous les ans.
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En outre, le FMI souligne que la suppression de ces subventions pourrait tout changer pour de nombreux pays, qui pourraient ainsi dynamiser leur croissance et redoubler d’efforts dans la lutte contre la pauvreté en investissant dans des infrastructures, dans la santé et dans l’éducation. Cela leur permettrait également de réduire les taxes, qui freinent la croissance.
Autre avantage : la nécessité de subventionner les énergies renouvelables – qui ne coûtent aujourd’hui que 108 milliards d’euros – disparaîtrait. En effet, si les prix des énergies fossiles reflétaient leur coût réel, les énergies propres seraient automatiquement beaucoup plus séduisantes.
« Ces estimations [des subventions aux énergies fossiles] sont choquantes », estime Vitor Gaspar, responsable de la fiscalité au FMI et ancien ministre des Finances du Portugal. « Les prix de l’énergie restent en-deçà de leur coût réel. »
David Coady, responsable du rapport du FMI, explique qu’« au départ, quand nous avons obtenu ce chiffre [4,74 mille milliards d’euros], nous nous sommes dit que nous devrions revérifier ! » Mais le tableau des subventions au niveau mondial était « très solide ». « [Ce chiffre] représente le coût réel des subventions aux énergies fossiles », assure-t-il.
Pollution de l’air
Le FMI estime que les 4,74 mille milliards d’euros de subventions aux énergies fossiles représentent 6,5 % du PIB mondial. Les dépenses que doivent supporter les gouvernements pour traiter les victimes de la pollution atmosphérique et compenser la perte de revenus causée par une santé fragile ou une mort prématurée représentent un peu plus de la moitié de ce montant. Le chiffre avancé pour 2015 est bien plus élevé que les estimations du FMI pour 2013 parce que de nouvelles données de l’Organisation mondiale de la santé ont depuis démontré l’étendue des dommages causés par la pollution de l’air, jusqu’alors sous-estimée.
Le charbon est le combustible le plus polluant, à la fois en termes de pollution atmosphérique locale et en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. Il bénéficie donc du taux de subvention le plus élevé, juste au-dessus de la moitié du montant total. Le pétrole, utilisé pour la plupart des transports, récolte le tiers des subventions, et le gaz vient compléter le tableau.
La plus importante source de pollution atmosphérique sont les centrales électriques au charbon. La Chine, avec son énorme population et sa dépendance vis-à-vis de l’électricité au charbon, est le plus grand bénéficiaire des subventions et fournit plus de 2 mille milliards d’euros de subventions. Suivent les États-Unis (632 milliards), la Russie (303 milliards), l’Inde (250 milliards) et le Japon (142 milliards). Ensemble, les États membres de l’UE dépensent près de 300 milliards d’euros.
Estimation optimiste
Un quart environ du montant dévoilé par le FMI constitue les coûts liés aux changements climatiques résultant des émissions des combustibles fossiles. Ce chiffre a été obtenu grâce à une estimation officielle du gouvernement américain, qui chiffre la tonne de CO2 à 38 euros, un prix qui « sous-estime très probablement » le coût réel, selon le groupe d’experts intergouvernemental des Nations unies sur l’évolution du climat (GIEC).
La subvention directe du pétrole acheté par les consommateurs, sous la forme de réductions gouvernementales sur le diesel et d’autres carburants, équivaut à seulement 6 % du total du FMI. D’autres facteurs locaux, comme les taxes réduites sur la vente d’énergies fossiles et le coût des encombrements des routes et des accidents, complètent le tableau. Le FMI a inclus les coûts liés au trafic parce qu’une augmentation du prix des carburants aurait un effet très direct sur la réduction du trafic routier.
Christiana Figueres est la responsable du changement climatique à l’ONU chargée de proposer un accord pour limiter le réchauffement climatique lors de la conférence de décembre 2015. Selon elle, « le FMI nous donne cinq mille milliards de raisons d’agir sur les subventions des énergies fossiles. La protection des personnes pauvres et vulnérables est essentielle à l’abandon progressif de ces subventions, mais les bénéfices économiques, sociaux et environnementaux sont légion ».
Barack Obama et les pays du G20 ont appelé à l’abandon des subventions aux énergies fossiles en 2009, mais, avant la chute des prix du pétrole en 2014, peu de progrès ont été réalisés. En avril, le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a déclaré lors d’un entretien avec le Guardian qu’il était fou que les gouvernements favorisent encore l’utilisation de charbon, de pétrole et de gaz en fournissant de l’argent. « Nous devons nous débarrasser des subventions aux énergies fossiles immédiatement », avait-il affirmé.
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Une réforme des subventions engendrerait une hausse des prix de l’énergie, mais Jim Yong Kim et le FMI soulignent tous deux que les subventions existantes profitent surtout aux riches. Les 20 % les plus riches de la planète reçoivent ainsi six fois plus que les 20 % les plus pauvres dans les pays pauvres ou à revenus moyens. Vitor Gaspar estime que les prix actuellement bas du pétrole et du charbon sont une « occasion en or » de commencer à supprimer les subventions et d’utiliser le surplus de revenus ainsi créé pour investir dans la lutte contre la pauvreté et fournir des aides mieux ciblées.
Des réformes des subventions ont été entamées dans des dizaines de pays, dont l’Égypte, l’Indonésie, le Mexique, le Maroc et la Thaïlande. En Inde, les subventions au diesel ont été supprimées en octobre 2014, alors que l’on pensait que c’était impossible, souligne David Coady. De la même manière, l’utilisation du charbon a commencé à décliner en Chine, pour la première fois depuis le début du siècle.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, « si nous parvenons à une tarification juste des énergies fossiles, les arguments en faveur de la subvention des énergies fossiles disparaîtront », assure le responsable du rapport du FMI, puisque « l’énergie verte deviendrait tout à coup une option bien plus séduisante ».
« Le rapport du FMI est un énième rappel que les gouvernements du monde entier utilisent toujours un modèle énergétique vieux d’un siècle. Nos recherches montrent en outre que nombre des subventions mentionnées par le FMI sont investies dans la recherche de nouvelles réserves de pétrole, de gaz et de charbon, alors même que nous savons que pour éviter un changement climatique catastrophique, nous ne pouvons pas utiliser ces réserves », explique Shelagh Whitley, spécialiste des subventions à l’Overseas Development Institute.
Le développement d’une coopération internationale nécessaire à la lutte contre le changement climatique est difficile, mais, selon Vitor Gaspar, l’un des messages-clés du travail du FMI est que chaque État bénéficiera directement de la suppression de ses subventions aux énergies fossiles. « La cerise sur le gâteau, c’est que les bénéfices d’une réforme des subventions – la réduction de la pollution, par exemple – profiteraient énormément aux populations locales », assure-t-il.
« En menant des actions locales et qui sont dans leur intérêt, [les États] peuvent contribuer de manière significative à la solution à ce défi mondial », estime le spécialiste. « La route à suivre est évidente : agir localement pour résoudre à l’échelle planétaire. »
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