EXCLUSIF / Le commissaire en charge de la concurrence, Joaquín Almunia, a déclaré que l'exécutif européen enquêtera « si nécessaire » sur les propositions du gouvernement britannique visant à stimuler l'industrie du gaz de schiste.
Lors d'un échange de tweets le 14 janvier, EURACTIV a demandé au commissaire Joaquín Almunia si l'Union européenne comptait lancer une enquête sur l'utilisation des fonds publics britanniques destinés au soutien des sites d'exploitation de gaz de schiste. Une demande déjà formulée par l'eurodéputé vert Claude Turmes.
Joaquín Almunia a répondu : « Si nécessaire, nous mènerons une enquête, en effet »
@ArthurNeslen If needed, they will be investigated indeed
— joaquin almunia (@AlmuniaJoaquin) January 14, 2014
Le Royaume-Uni compte permettre aux municipalités de collecter deux fois plus de recettes provenant des exploitations de gaz de schiste et aux entreprises de gaz de schiste de payer deux fois moins d'impôt. Selon le cabinet du commissaire espagnol, la Commission mènera une enquête à la condition que l'évaluation des politiques britanniques montre que ces dernières sont en infraction avec les règles européennes.
« Une aide d'État est par définition une mesure sélective qui utilise des ressources publiques afin de favoriser une ou plusieurs entreprises, c'est bien différent de mesures fiscales générales »,a expliqué une source de l'UE.
Selon la source, les avantages fiscaux prévus au Royaume-Uni constituent des mesures qui favorisent les entreprises spécialisées dans le gaz de schiste. Elle a indiqué toutefois que la Commission devait recevoir un avis ou faire elle-même une évaluation avant de pouvoir agir.
Trois eurodéputés contactés par EURACTIV ont exprimé leurs souhaits pour que l'exécutif européen agisse sans plus tarder. Selon Jo Leinen (socialistes & démocrates), ancien président de la commission de l'environnement du Parlement, la décision britannique risque d'ouvrir une « boîte de Pandore » qui risque de provoquer des conflits sur les règles relatives aux aides d'État.
« Je suis certain que la Commission européenne recevra des demandes et des plaintes », explique-t-il. La Commission est la « gardienne des traités » et du fonctionnement de notre politique. « Je pense donc qu'elle devrait analyser [la situation] de toute urgence et prendre des mesures à l'encontre de cette [nouvelle forme de] subvention des énergies fossiles. », a-t-il proposé.
Le ministère britannique de l'Énergie et de la lutte contre le changement climatique maintient de son côté que les avantages octroyés aux municipalités, annoncés cette semaine par le premier ministre Cameron, sont conformes à la législation européenne.
« Un taux de retenue sur les entreprises de 100 % pour les opérations liées au gaz de schiste ne change pas le montant que les entreprises doivent payer », a expliqué un porte-parole à EURACTIV. En d'autres termes, l'administration locale ne transférera pas les recettes issues de la taxe au gouvernement central. « On ne peut donc pas parler d'aides d'État », a-t-il poursuivi.
Flou juridique
Les experts juridiques contactés par EURACTIV ont des avis divergents sur le caractère légal des propositions britanniques. « Elles semblent problématiques et méritent de faire l’objet d’une enquête », a expliqué l'un d'entre eux à EURACTIV. « Elles ressemblent à une forme d'aide, mais leurs contours exacts ne sont pas clairs et je devrais me pencher [sur le sujet] pour certifier qu'il s'agit d'une violation des règles relatives aux aides d'État »
L'eurodéputé libéral néerlandais Gerben-Jan Gerbrandy a expliqué à EURACTIV que les mesures britanniques sont « un exemple classique de subventions qui nuisent à l'environnement ». Selon lui, ces mesures entrent en contradiction avec les engagements britanniques formulés précédemment lors des forums internationaux : Londres avait en effet promis de mettre progressivement un terme aux subventions sur les énergies fossiles.
« Les élus locaux devraient être extrêmement prudents par rapport à ces mesures incitatives », a-t-il ajouté. Selon lui, la perspective financière ne devrait pas supplanter celle environnementale.
« J'attends avec impatience une enquête pour voir s'il s'agit d'une aide de l'État. […] J'imagine que cela pourrait être le cas », a-t-il poursuivi.
Enquête sur les aides dans le secteur nucléaire
En décembre, la Commission européenne a lancé deux enquêtes : l'une au Royaume-Uni sur un prix minimum pour l'énergie produite par la centrale nucléaire de Hinkley et l'autre sur les subventions gouvernementales en Allemagne relatives aux énergies renouvelables.
Une consultation publique est en cours à ce sujet. La Commission devrait prendre une décision au printemps.
L'eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes (Verts/ALE) a raconté à EURACTIV que ce serait « totalement injuste et surprenant » que la Commission n'ouvre pas une enquête sur les subventions britanniques accordées au gaz de schiste, alors qu’elle s’en prend avec vigueur aux subventions en faveur des énergies renouvelables.
Le Royaume-Uni n'est cependant pas le seul État membre de l'UE qui compte renflouer les caisses publiques nationales grâce au gaz de schiste. L'année dernière, la Pologne a consacré 5 milliards de z?otys (1,2 milliard d'euros) de fonds publics en vue de soutenir l'exploration et l'expansion de la production nationale de gaz de schiste.
Selon Orlen, une entreprise spécialisée dans l'extraction de ce gaz non conventionnel, le soutien du gouvernement est indispensable pour compenser des décennies d'aide financière en faveur de ses concurrents [des autres secteurs énergétiques].
« L'Europe subventionne des technologies qu'elle estime "juste" », a écrit Jacek Krawiec, le PDG d'Orlen, dans un courriel à EURACTIV . « Aucune révolution ne peut se produire dans le secteur de l'énergie quand il est plus rentable d'investir dans [les énergies] qui bénéficient déjà d'un soutien financier de la part des autorités », selon lui.
« Les entreprises actives dans l'UE se conforment déjà aux règles relatives à l'environnement à l'échelle nationale et européenne, plus contraignantes qu'outre-Atlantique. Elles offrent donc des niveaux de sécurité plus élevés », a-t-il indiqué.
Communication sur le gaz de schiste
Dans son projet de communication sur le gaz de schiste, qui sera normalement publié le 22 janvier, la Commission européenne indique que « le gaz de schiste peut être bénéfique pour le climat sous certaines conditions ».
L’exploitation du gaz de schiste rejetterait entre 41 % et 49 % de gaz à effet de serre en moins que les centrales à charbon. Elles seraient également entre 1 et 5 % supérieures à celles libérées par l’exploitation du gaz naturel et la production d’électricité, indique le document de la Commission.
Ces estimations ne s'avèreraient cependant exactes que si les émissions de méthane provenant des puits de forage étaient revues à la baisse. Le méthane est au moins 25 fois plus puissant que le dioxyde de carbone sur une période d'un siècle et 72 fois sur vingt ans.
D'après les défenseurs de l'environnement, la communication de la Commission, consultée par EURACTIV, prévoit également que les gaz non conventionnels constituent moins de 3 % de l'ensemble du mix énergétique d'ici 2030 ». Ils se demandent pourquoi des sommes énormes de fonds publics sont consacrées à une énergie fossile qui a très peu d'influence sur le prix de l'énergie et la sécurité énergétique.
Antoine Simon, porte-parole des Amis de la Terre Europe, a déclaré à EURACTIV que la rentabilité de l'industrie du gaz de schiste est questionnable s’il n’y avait pas de subventions publiques. À ses yeux, cette situation « remet sérieusement en question » la conformité de certains États comme le Royaume-Uni par rapport aux règles de la concurrence au sein de l’UE.
« Nous nous attendons au moins à ce que la Commission européenne fasse en sorte que les subventions gouvernementales ne représentent pas une distorsion de marché ou une concurrence déloyale », ajoute-t-il.