Les multinationales devront désormais publier bénéfices et impôts payés dans l’UE. Les militants estiment pourtant que ces mesures ne seront pas suffisantes.
La Commission a détaillé, mardi 12 avril, son projet de liste noire des paradis fiscaux, qui place l’UE à la pointe de la lutte contre l’évasion fiscale. Les détracteurs du projet estiment cependant que cette mesure ne changera rien. Selon eux, les entreprises risquent de se contenter d’ouvrir des comptes dans des pays trop influents pour être inclus dans la liste, comme les États-Unis ou la Suisse.
Les scandales des Luxleaks et, encore plus récemment, des Panama papers ont dévoilé les manœuvres des multinationales, qui déplacent leur argent vers des sociétés-écrans partout dans le monde pour limiter leur imposition. La Commission a donc présenté de nouvelles règles obligeant les entreprises en activité en Europe qui gagnent plus de 750 millions d’euros dans le monde à publier leurs bénéfices, ainsi que les taxes qu’elles paient dans chacun des 28 États membres.
« Aujourd’hui, en utilisant des arrangements fiscaux complexes, certaines multinationales parviennent à payer un tiers de ce que les entreprises qui n’opèrent que dans le pays en question déboursent », a regretté Jonathan Hill, le commissaire britannique.
L’évasion fiscale des entreprises coûte à l’UE entre 50 et 70 milliards d’euros d’impôts par an, selon l’exécutif. 88 % des Européens soutiennent l’adoption de règles fiscales plus strictes.
Le système de déclarations fiscales (ou reporting) pays par pays devrait s’appliquer à 6 000 entreprises. Les données seraient consultables sur le site des sociétés et incluraient la nature des activités, le nombre d’employés, le chiffre d’affaires total, les bénéfices bruts, les taxes dues dans un pays, les taxes payées et les profits. Les données relatives aux recettes déclarées hors UE ne seront cependant publiées que pour les pays figurant dans la liste noire.
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« Tant que la proposition ne concerne pas tous les pays, les multinationales auront pourront toujours choisir où cacher leur argent », estime Tove Maria Ryding, du Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad).
#TaxTransparency – @JHillEU on public reporting requirements for largest companies operating in the EU https://t.co/LSMTcCVpfn
— European Commission (@EU_Commission) April 12, 2016
Tweet de la Commission : Jonathan Hill présente les obligations de publication pour les grandes entreprises actives dans l’UE.
Liste noire
La Commission est en train de rédiger sa liste noire des paradis fiscaux, qui devrait être prête d’ici six mois. Cette liste noire n’aura cependant pas l’impact escompté, assure Tove Maria Ryding, qui travaille aussi avec des ONG comme Oxfam ou Christian Aid.
« Par le passé, les listes européennes des paradis fiscaux ont eu une fonction très politique, puisque certains pays, comme les États-Unis et la Suisse, qui sont utilisés comme paradis fiscaux, n’y ont mystérieusement pas été inclus », continue la spécialiste. « La dernière liste a entrainé un tel tollé que l’UE a dû la supprimer de son site internet moins de six mois après sa publication. »
Les sociétés multinationales pourraient juste déplacer leurs actifs vers des pays assez influents pour échapper à la liste, comme les États-Unis, souligne-t-elle.
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Les règles proposées par la Commission sont fondées sur les lignes directrices sur l’érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices (BEPS) rédigées par l’Organisation de coopération et de développement économiques. Les orientations sur le BEPS, que les pays membres de l’OCDE prévoient d’adopter pour créer un équilibre fiscal juste, ne se penchent pas sur la publication des données. Elles ne prévoient que le partage avec les autorités concernées.
Valdis Dombrobskis, vice-président de la Commission et chargé de l’euro et du dialogue social, a rappelé que la lutte contre l’évasion fiscale était une priorité de l’exécutif.
« Aujourd’hui, nous rendons les informations liées aux impôts payés par les multinationales disponibles au public, sans imposer de nouveaux fardeaux aux PME et en respectant le secret d’affaires », a-t-il déclaré. « En adoptant cette proposition, l’Europe se place à la pointe de la lutte contre l’évasion fiscale. »
Cette mesure pourrait fâcher Washington, qui accuse déjà les enquêtes lancées après les Luxleaks de cibler les grandes multinationales américaines de manière excessive.
Si elles sont validées par le Parlement européen et le Conseil, ces règles entreront en vigueur en 2018.
Conformément à la législation européenne, les banques et sociétés minières déclarent déjà ls profits engrangés et les impôts payés dans différents pays, même en dehors de l’UE.
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