Une large majorité des eurodéputés se sont prononcés contre le gel des fonds européens en Espagne et au Portugal, lors d’une session tardive au Parlement européen le 3 octobre. Selon eux, cette décision serait « immorale », « contreproductive » et même « illégale ».
Lors d’une session commune des commissions Affaires économiques et Développement régional hier soir, les eurodéputés ont fermement rejeté la tentative de la Commission de punir les deux économies ibériques pour avoir enfreint les règles budgétaires de l’UE.
L’eurodéputé néerlandais Lambert van Nistelrooij (Parti populaire européen) a ouvert le débat en déclarant à la Commission européenne que sa colère était déplacée. « Vous ne vouliez pas punir les États membres et maintenant vous punissez les villes et les bénéficiaires » des fonds européens, a-t-il asséné.
Le Pacte de stabilité et de croissance, qui limite la dette publique et les déficits dans les pays membres de l’UE, prévoit la suspension d’une part des fonds européens si les gouvernements nationaux ne prennent pas de mesures efficaces pour atteindre leurs objectifs fiscaux.
En juillet dernier, l’exécutif européen a décidé d’infliger une amende à l’Espagne et au Portugal pour avoir outrepassé les règles. L’amende doit encore être confirmée par le gouvernement central.
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Selon la procédure, si l’exécutif veut suspendre les fonds européens, il doit présenter un chiffre. La Commission a toutefois affirmé aux eurodéputés que celui-ci serait « considérablement » réduit étant donné le haut niveau de chômage dans les deux pays.
Le vice-président de la Commission pour l’Emploi, la Croissance et l’Investissement, Jyrki Katainen, et Corina Crețu, sa collègue en charge des fonds régionaux, ont tenté de rassurer les eurodéputés en disant que la décision n’aurait aucun impact sur les deux économies, puisqu’elle affecterait les engagements budgétaires de l’UE pour 2017 (les plafonds de dépense, mais pas l’argent investi dans des projets).
Les deux responsables ont insisté sur le fait que la suspension prendrait fin dès que Madrid et Lisbonne rendraient les ajustements requis pour atteindre leurs objectifs budgétaires.
L’Espagne doit réduire son déficit de 3,1 % du PIB l’année prochaine et de 2,2 % en 2018. Pour y parvenir, l’UE a demandé des coupes ou une hausse des impôts à hauteur de 5 milliards d’euros (0,5 % du PIB) en 2017 et en 2018.
Le Portugal doit quant à lui ramener son déficit en dessous de la barre des 3 % du PIB cette année, en adoptant de nouvelles mesures représentant 0,25 % de sa production économique
Obligation légale
Jyrki Katainen a souligné le fait que les deux pays étaient « disposés » à équilibrer leurs budgets, car c’est la meilleure chose à faire pour leur économie. Il a également rappelé qu’il s’agissait pour la Commission d’une « obligation légale d’agir ». « C’est une question de volonté politique », a-t-il ajouté.
L’ancien Premier ministre finlandais a soutenu que la suspension partielle des fonds n’était pas une « sanction », mais une « incitation » pour que les pays améliorent leur économie et pour que les citoyens puissent récolter les bénéfices des fonds européens.
Le Finlandais était l’un des commissaires favorables à une amende à l’encontre de l’Espagne et du Portugal en juillet dernier.
La volonté de Bruxelles d’imposer de nouvelles mesures d’austérité à l’Espagne et au Portugal survient toutefois à un période difficile pour les deux pays. Les partis politiques espagnols ne sont pas parvenus à former un gouvernement après deux élections organisées en décembre 2015 puis en juin de cette année. Une nouvelle occasion de sortir de l’impasse politique a émergé le 1er octobre lorsque le chef de file du parti socialiste, Pedro Sanchez, a été poussé à la démission par les « barons » de son parti.
Pedro Sanchez était résolument opposé à la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale menée par le conservateur Mariano Rajoy. Cette farouche opposition aurait fini par déclencher de nouvelles élections en décembre.
Pendant ce temps, le gouvernement portugais a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour cette année, de 1,8 % du PIB à « au-dessus de 1 % », a déclaré le Premier ministre Antonio Costa le 3 octobre. Par ailleurs, son système bancaire chancelant « manque toujours cruellement d’augmentation de capital » pour faire face à la montagne de créances douteuses, a prévenu Carlos Costa, le gouverneur de la Banque du Portugal.
Dans ce contexte-là, et au vu des efforts déjà fournis par les deux pays, la plupart des eurodéputés ont soutenu les gouvernements conservateur et socialiste de ces deux économies ibériques.
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Les nouvelles sanctions sont « injustes » et « disproportionnées », a estimé l’eurodéputé espagnol et ancien président du Comité des Régions, Ramón Luis Valcárcel (PPE).
« L’histoire se souviendra de vous comme les personnes qui ont saboté le projet européen », a ajouté l’eurodéputée portugaise Marisa Matias (gauche unie), en pointant du doigt les deux commissaires.
Seuls les libéraux et les eurosceptiques, et certains membres du PPE du nord de l’Europe, ont soutenu la décision de la Commission de suspendre les fonds européens.
Les commissaires n’ont pas dit quand ils annonceraient les programmes affectés par la sanction et n’ont pas non plus donné de chiffre. Une proposition est attendue au cours du mois de novembre.
Si les deux pays fournissent les efforts demandés, la suspension sera levée, mais si de nouveaux ajustements ne sont pas annoncés d’ici le 8 décembre, l’Espagne et le Portugal se verront imposer une amende supplémentaire de 0,5 % de leur PIB dans le cadre de la procédure d’infraction des règles budgétaires européennes.