En Allemagne, les musulmans se sentent marginalisés depuis le début de la guerre Hamas-Israël

« Les responsables politiques ne cessent de dire que nous ne devons pas faire des musulmans des suspects en puissance, mais chaque phrase qui suit fait d’eux des suspects en puissance », a expliqué Sharjil Khalid, imam d’une mosquée de Berlin, à Euractiv. [EPA-EFE/HANNIBAL HANSCHKE]

Les représentants de la communauté musulmane d’Allemagne s’inquiètent d’une marginalisation accrue et d’une augmentation des incidents islamophobes dans un contexte de débat houleux sur l’antisémitisme découlant de la guerre entre le Hamas palestinien et Israël.

L’Allemagne compte quelque 5,5 millions de citoyens musulmans, soit l’une des plus grandes communautés musulmanes d’Europe.

Depuis l’attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier, qui a fait 1 200 morts, et la riposte israélienne sur Gaza qui s’en est suivie et qui a coûté la vie à plus de 14 800 personnes à ce jour, les musulmans d’Allemagne se sentent de plus en plus marginalisés dans le débat public alors qu’ils sont confrontés à des accusations d’antisémitisme et à une recrudescence de l’islamophobie.

« La suspicion généralisée à l’égard des musulmans, la marginalisation de facto des intérêts musulmans et de leur voix ont créé une grave [crise de confiance] à laquelle nous devrons faire face pendant des années », a confié Aiman Mazyek, président du Conseil central des musulmans d’Allemagne (ZMD), à la presse lundi (27 novembre).

Les médias et les dirigeants politiques allemands ont relayé les récents incidents antisémites, notamment les petites foules qui semblaient célébrer l’attaque du Hamas dans les quartiers de Berlin habités majoritairement par des migrants, et les drapeaux du califat montrés lors de manifestations pro-palestiniennes.

De nombreux musulmans ont l’impression d’être tenus pour responsables des actes de quelques personnes.

« Les responsables politiques ne cessent de dire que nous ne devons pas faire des musulmans des suspects en puissance, mais chaque phrase qui suit fait d’eux des suspects en puissance », a expliqué Sharjil Khalid, imam d’une mosquée ahmadi de Berlin, à Euractiv.

Sa communauté a condamné l’attaque du Hamas, a-t-il souligné, et les Ahmadis, une courant de l’Islam né dans l’actuel Pakistan (alors Penjab indien) au 19e siècle, rejettent toute violence.

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L’islamophobie négligée

Parallèlement à la recrudescence des actes antisémites, les musulmans allemands font eux aussi face à une hostilité accrue.

Au cours de la deuxième quinzaine d’octobre, le nombre d’incidents islamophobes est passé à trois par jour en moyenne, dont dix attaques contre des mosquées, avec un « nombre élevé de cas non détectés », selon CLAIM, une organisation à but non lucratif soutenue par le gouvernement.

M. Khalid et M. Mazyek décrivent tous deux une atmosphère d’intimidation, avec une recrudescence des attaques contre les femmes portant le hijab et des étudiants et étudiantes musulmans qui sont pointés du doigt et dont les enseignants contestent le point de vue.

L’islamophobie est souvent négligée en Allemagne, comme l’a rapporté Euractiv en décembre dernier.

Un rapport mené par le Centre allemand d’étude des migrations et de l’intégration (DeZIM) avant l’attaque d’octobre a révélé que depuis 2017, entre 700 et 1 000 cas de crimes islamophobes ont été signalés à la police, et que de nombreux autres n’étaient pas signalés.

Il a également été révélé qu’une personne sur deux dans le pays approuve les déclarations islamophobes.

Un dialogue difficile

Par ailleurs, certains observateurs estiment qu’un débat public façonné en partie par la culpabilité historique de l’Allemagne à l’égard de l’Holocauste a laissé peu de place à l’acceptation de la douleur des Palestiniens.

M. Khalid affirme que les jeunes musulmans en particulier ont le sentiment que les médias et les dirigeants allemands n’ont pas abordé la question de la souffrance des civils palestiniens.

« Personne ne nie que le Hamas est une organisation terroriste, qu’il est à l’origine de ces évènements et qu’il brutalise les civils, mais pour beaucoup de gens, il est difficile de comprendre que le gouvernement allemand ne réagisse pas avec la même vigueur aux milliers d’enfants palestiniens qui sont morts [lors des ripostes israéliennes] », a noté l’imam.

Le gouvernement a également été critiqué pour la manière dont il a traité la question, en particulier la semaine dernière, lors de la conférence sur l’islam (DIK), un forum lancé par le ministère de l’Intérieur pour réunir les communautés musulmanes, l’État et la société civile.

La conférence a fait l’objet d’une controverse lorsque le thème est passé de l’islamophobie à l’antisémitisme et que la plus grande organisation musulmane du pays, le ZMD, n’a pas été invitée pour des raisons non précisées.

M. Khalid, qui a assisté à la conférence, a déclaré qu’il avait l’impression qu’on « parlait des musulmans sans s’adresser à eux ».

La ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, a principalement dénoncé l’antisémitisme musulman dans son discours, avant de quitter les lieux peu de temps après, en raison de ce qu’un porte-parole du ministère a appelé des contraintes de temps.

S’attaquer à l’antisémitisme

Les musulmans d’Allemagne, y compris leurs chefs religieux, sont soumis à la pression de la société civile pour lutter contre l’antisémitisme émanant de leurs rangs.

« Dans cette situation, les organisations islamiques devraient avant tout s’adresser aux musulmans et, à mon avis, elles ne font pas grand-chose […] Les déclarations publiques sont bien belles, mais elles n’aboutissent à rien », a déclaré Josef Schuster, président du Conseil central des Juifs en Allemagne, à Euractiv, ajoutant toutefois qu’il ne croyait pas à «  la compartimentation de l’antisémitisme ».

« Actuellement, l’antisémitisme islamiste est évident en Allemagne et met les juifs en danger. Toutefois, nous ne devrions pas croire que l’antisémitisme de droite a soudainement disparu », a déclaré M. Schuster.

Lamya Kaddor, députée écologiste de premier plan et défenseuse influente des causes musulmanes, a reconnu que le devoir incombait aux associations, mais a mis en garde contre la tentation de faire des musulmans des suspects en puissance.

« Il est important de faire la distinction entre les citoyens musulmans individuels et les organisations islamiques », a indiqué Mme Kaddor à Euractiv.

Les représentants musulmans ont souligné qu’il était désormais vital de faire comprendre que les juifs et les musulmans partageaient en fin de compte les mêmes intérêts.

« Si cette guerre s’intensifie et s’étend à d’autres pays, ce sera le plus grand danger pour nous tous ; si nous ne commençons pas à appeler à la modération partout, cela détruira tout ce qui est sacré pour quiconque », a conclu l’imam Khalid.

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