Alors que les États membres demandent à la Commission européenne de renforcer les frontières extérieures, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, vient de lancer des appels d’offres d’un montant total d’environ 400 millions d’euros pour l’achat d’équipements, de drones et d’autres technologies de surveillance.
En réponse à la demande des États membres formulée en juillet, la commissaire aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, semble donner suite à leur souhait de renforcer les frontières extérieures de l’UE.
La commissaire s’est engagée à consolider le régime de visa de l’UE et à lancer un appel à propositions à hauteur de 150 millions d’euros destiné à la « capacité de surveillance des frontières » de l’UE.
Dans des lettres adressées à la Commission en mai et en juin, les États membres ont exhorté l’exécutif européen à intensifier ses efforts pour externaliser l’immigration, en empêchant les exilés en situation irrégulière de poser le pied sur le sol de l’UE.
Dans le discours prononcé devant le Parlement européen avant sa réélection à la présidence de la Commission en juillet, Ursula von der Leyen a annoncé son intention de tripler les effectifs de Frontex et de nommer un commissaire à la Méditerranée, afin de s’attaquer aux flux de personnes qui tentent de se rendre dans les États membres du sud de l’UE.
Cet été, l’agence européenne des frontières, Frontex, a lancé une série d’appels d’offres pour renforcer ses capacités le long des frontières extérieures de l’UE.
Concrètement, un appel d’offres concerne des drones et des services connexes pour la surveillance maritime, d’une valeur de 184 millions d’euros, un autre appel d’offres se focalise sur le matériel de surveillance, y compris des lunettes de vision nocturne, d’une valeur de 19 millions d’euros. Un troisième appel d’offres d’une valeur de 186,5 millions d’euros vise les services de technologies de l’information et de la communication (TIC). Enfin, un projet pilote de 3 millions d’euros pour des drones aux frontières terrestres est aussi envisagé dans le cadre d’opérations conjointes avec la Bulgarie.
La facture totale avoisine les 400 millions d’euros.
Un projet vieux de 10 ans
L’utilisation de drones par Frontex n’est pas nouvelle. L’agence les fait voler au-dessus des frontières extérieures de l’UE en Italie, à Malte et en Grèce depuis des années.
Afin d’améliorer la coordination des flux migratoires entre les États membres, le système européen de surveillance des frontières Eurosur a été mis en place en 2013. Il s’agit d’un cadre de surveillance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 des frontières extérieures de l’UE, qui fournit une représentation de la situation avec des données et des informations en temps réel, notamment depuis la « pré-frontière », c’est-à-dire les zones situées juste à l’extérieur des frontières de l’UE.
Frontex a utilisé pour la première fois des drones à des fins de surveillance dans le cadre de ses opérations en 2018, ce qui lui a permis de détecter près de 5 000 personnes en mer cette année-là.
Les drones ont ensuite été intégrés au système de surveillance des frontières aériennes de l’UE, car en 2019 le mandat d’Eurosur a été prolongé.
Un an plus tard, Frontex a attribué deux contrats de 50 millions d’euros à la société française Airbus et à la société israélienne de défense et de construction aéronautique IAI, pour déployer des drones Heron, capables de voler pendant plus de 30 heures.
Ces drones ont été déployés lors de la catastrophe du bateau de migrants dans la région de Messénie en Grèce en 2023, au cours de laquelle 650 exilés ont trouvé la mort dans l’un des pires naufrages de l’histoire de l’UE.
Au total, Frontex a dépensé environ 275 millions d’euros dans des projets pilotes entre 2014 et 2022 pour investir dans de nouvelles technologies, pour la plupart liées aux drones, selon Yasha Maccanico, un chercheur de l’organisation à but non lucratif Statewatch et de l’université de Bristol.
L’utilisation des drones par l’agence européenne des frontières a fait l’objet d’un examen minutieux en 2022, lorsque les renseignements recueillis par les drones de Frontex opérant depuis Malte, ont été utilisés par les autorités libyennes pour refouler des bateaux de migrants en Méditerranée.
Un rapport de Human Rights Watch a conclu qu’en 2021, environ 10 000 personnes ont été interceptées en mer par les autorités libyennes et renvoyées de force dans leur pays grâce aux renseignements recueillis par Frontex.
« Sans les informations fournies par les avions de l’UE, les garde-côtes libyens n’auraient pas les moyens techniques et opérationnels d’intercepter ces bateaux à une telle échelle », indique le rapport.
Ce rapport s’ajoute à de nombreuses autres accusations de refoulements illégaux et de coopération avec les garde-côtes libyens, également soupçonnés de violations des droits humains en mer et en Libye, et d’avoir tiré sur des navires de sauvetage.
Injection de fonds
Les appels d’offres publiés cet été annoncent une expansion des capacités de Frontex en matière de drones, avec une intention de les déployer à grande échelle et de manière constante pour la surveillance des frontières.
L’agence prévoit de dépenser 184 millions d’euros en quatre ans, selon l’appel d’offres de juin, contre 275 millions d’euros dépensés pour les projets pilotes au cours des huit dernières années. Cela représente environ 30 % de plus par an et presque le double des fonds versés à Airbus et IAI à partir de 2020.
La migration est en passe de devenir une priorité politique pour les États membres et les institutions européennes. Le budget 2025 proposé par la Commission pour Frontex est de 997 millions d’euros, frôlant le milliard, soit une forte augmentation par rapport au budget de 2016 qui s’élevait à 233 millions d’euros.
La stratégie technique 2023-2027 de l’agence place les drones et la technologie au premier plan.
Mais les drones feront « partie d’un réseau d’initiatives qui peuvent être perçues à plusieurs niveaux », a déclaré à Euractiv l’analyste militaire et commandant Rasmus Ross du centre de guerre aérienne et spatiale du Collège royal de Défense danois. Selon lui, d’autres équipements sont nécessaires pour obtenir une image complète.
À quoi servent les drones ?
Selon le chercheur Yasha Maccanico, l’augmentation des dépenses consacrées aux drones pour une « connaissance de la situation » dans les « zones pré-frontalières » signifie essentiellement que Frontex pourra identifier les navires plus tôt et plus près des frontières de pays tiers. Et donc repousser les frontières de l’UE plus loin, au niveau de la Libye ou de la Tunisie dont le bilan en matière de droits humains est mitigé.
L’utilisation d’un plus grand nombre de drones pour la surveillance signifie que moins de garde-côtes européens et de navires de Frontex seront nécessaires en mer. Avec moins de navires européens, il y a plus de chances que des pays tiers interviennent sur les bateaux de migrants, supprimant ainsi l’obligation pour les agents de l’UE de les ramener sur le sol européen, a expliqué Yasha Maccanico.
Frontex n’a pas abordé cette critique de façon directe, mais a plutôt mis l’accent sur son objectif annoncé de lutter contre le trafic d’êtres humains.
« Les passeurs entassent les gens dans des bateaux peu sécurisés, avec pratiquement aucun gilet de sauvetage, ni nourriture, ni eau, ni carburant, sans se préoccuper de leur sécurité. C’est pourquoi il est crucial de repérer les personnes en détresse en mer avant qu’il ne soit trop tard », a déclaré un porte-parole de Frontex à Euractiv.
« Chaque fois qu’un avion ou un drone de Frontex découvre un bateau en détresse, il alerte immédiatement tous les centres de secours nationaux de la région », a-t-il ajouté.
Rasmus Ross n’a pas voulu spéculer sur la question de savoir si les drones devraient être considérés comme faisant partie d’une stratégie visant à empêcher les exilés d’atteindre l’Europe.
« Je ne suis pas la bonne personne pour juger si la stratégie de l’UE est d’empêcher les réfugiés d’entrer dans l’UE en les arrêtant à la frontière, mais il est certainement plus difficile de contrôler le flux de réfugiés une fois qu’ils sont sur la terre ferme », a-t-il souligné.
Interrogé directement sur la façon dont l’agence voit son rôle changer à la lumière des récentes lettres entre la Commission et les États membres, le porte-parole de Frontex a répondu qu’il « ne commente pas les questions liées à la politique ».
« Notre engagement est basé sur le règlement de l’UE qui décrit clairement notre mission de soutenir les États membres dans leurs efforts pour protéger les frontières extérieures de l’UE », a-t-il conclu.
[Édité par Anna Martino et Sarah N’tsia]