La Première ministre estonienne Kaja Kallas est pressentie pour devenir la nouvelle cheffe de la diplomatie de l’UE, mais sa position ferme à l’égard de la Russie reste un obstacle à sa nomination pour certains dirigeants européens.
Lorsque les dirigeants européens se réuniront cette semaine (27-28 juin) pour décider qui occupera les top jobs de l’UE, c’est-à-dire les postes clés des institutions, Kaja Kallas (Parti de la réforme d’Estonie, Renew) devrait succéder au Socialiste Josep Borrell au poste de Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité.
L’Estonienne, qui a suivi les traces de son père dans la politique, remplit le double critère d’être libérale et d’Europe de l’Est, ce qui pourrait jouer en sa faveur, étant donné qu’après les élections européennes de début juin, l’accord global recherché sur les top jobs doit être équilibré sur le plan géographique.
La position vis-à-vis de la Russie
Fille et petite-fille de déportés en Sibérie, Kaja Kallas est devenue une féroce détractrice du Kremlin depuis qu’elle a accédé au poste de Première ministre estonienne au début de 2021, ce qui lui a valu le surnom de « nouvelle Dame de fer de l’Europe ».
Lorsque les troupes russes se sont massées aux frontières de l’Ukraine au début du mois de janvier 2022, elle a été l’une des premières à mettre en garde l’Occident et à lui demander d’apporter un soutien inconditionnel à l’Ukraine.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, son pays de 1,4 million d’habitants a apporté un soutien indéfectible à Kiev, devenant l’un des plus grands donneurs militaires proportionnellement à sa population.
Cette rhétorique contrastait fortement avec celle de la France ou de l’Allemagne à l’époque, mais elle est devenue depuis monnaie courante.
Sa mise en garde contre la nécessité de tenir tête à la Russie et la décision d’enlever les monuments datant de l’époque soviétique lui ont valu de figurer sur la liste des personnes les plus recherchées par le Kremlin au début de l’année.
Dans une interview accordée à la chaîne publique estonienne ERR, Kaja Kallas a affirmé que la parole de Tallinn avait désormais le même poids à la table de l’Union européenne que celle des grands États.
Sous sa direction, l’Estonie a proposé que l’UE achète des munitions au nom des Vingt-Sept afin d’apporter un soutien militaire accru à l’Ukraine et a lancé l’idée d’euro-obligations (eurobonds) pour la défense — deux initiatives taboues à l’origine, mais qui sont désormais en cours d’élaboration.
Kaja Kallas a également soutenu l’idée d’un poste de commissaire européen qui serait chargé de l’industrie de la défense, puisque l’Union cherche à devenir un acteur plus important dans ce domaine.
Mais tout le monde au sein de l’Union ne partage pas sa position sur la Russie, certains États membres craignant que sa nomination ne limite l’Union à se tourner vers l’Est.
L’attrait des pays du Sud
Si elle est nommée, Kaja Kallas devra prouver qu’elle peut également se montrer convaincante sur des sujets touchants d’autres régions, telles que l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique latine.
Sur ce point, un nombre croissant de diplomates de l’UE à Bruxelles estime que le fait qu’elle soit originaire d’un pays non colonial, contrairement à ses prédécesseurs, pourrait être un atout.
Kaja Kallas a donné un avant-goût de ce qu’elle pourrait faire en tant que cheffe de la diplomatie européenne la semaine dernière, en s’exprimant lors du sommet pour la paix en Ukraine, en Suisse, auquel assistent de nombreux pays non occidentaux, que Kiev et ses alliés européens espèrent rallier à leur cause.
« De nombreux pays ont souffert du colonialisme, y compris mon pays, qui a fait partie de la Russie, un État colonial, pendant près d’un demi-siècle jusqu’en 1990 », a déclaré la Première ministre estonienne aux participants du sommet.
« À cette époque, il y a eu de nombreuses discussions sur la paix, mais il s’agissait d’une paix aux conditions russes, avec l’oppression de tout ce qui était Estonien », a-t-elle ajouté.
Problèmes nationaux
Cependant, Kaja Kallas a fait l’objet de critiques dans son pays l’année dernière lorsque les médias estoniens ont révélé que son mari était impliqué dans une entreprise qui poursuivait ses activités en Russie malgré la guerre, alors qu’elle-même critiquait publiquement les entreprises qui continuaient à commercer avec Moscou.
Son gouvernement a également augmenté les impôts peu après les élections de 2023 et a opéré des coupes budgétaires impopulaires dans le secteur privé. La légalisation du mariage entre personnes du même sexe, à laquelle près de la moitié du pays est opposée, a également été mal vue par une partie de la population.
Plus récemment, l’opposition lui a demandé de démissionner à la suite d’une affaire liée à la défense qui a ébranlé la politique locale.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]