Alors que le Rassemblement national (RN) semble plus proche que jamais de prendre le pouvoir, nombreux sont les diplomates français qui redoutent de devoir servir un gouvernement d’extrême-droite.
Pas de sorties trop bruyantes bien sûr, mais le sujet est de toutes les conversations, entre amis et collègues, sur des boucles privées WhatsApp, parfois même de façon informelle avec la hiérarchie. Les diplomates sont tenus par le devoir de réserve, mais ils sont inquiets et n’hésitent plus à parler (sous couvert d’anonymat).
« C’est la honte », souffle un fonctionnaire en poste dans un pays d’Europe. « Tout le monde se demande que faire si l’extrême-droite arrive au pouvoir. Certains espèrent se faire oublier dans de petites ambassades, mais d’autres sont à des postes exposés et recevront quotidiennement des consignes de Paris. Et ils devront bien les appliquer. »
La France se targue de posséder l’un des réseaux diplomatiques les plus denses du monde, 163 ambassades, seize représentations permanentes auprès des instances multilatérales (Union européenne, Nations unies, OCDE, UNESCO, OTAN, etc.) et environ un millier d’instituts et d’alliances françaises.
Il y a bien longtemps que les budgets sont en baisse, et le Quai d’Orsay a été frappé par la deuxième grève de son histoire au printemps 2022, alors que le président Emmanuel Macron engageait une réforme contestée du statut des diplomates. Mais les questionnements auxquels sont exposés les représentants de la France à l’étranger sont aujourd’hui beaucoup plus insidieux.
Dans une tribune publiée dans Le Monde, cent soixante-dix diplomates expliquaient ainsi qu’une victoire de l’extrême droite serait vue à l’étranger « comme un affaiblissement français et une invitation à l’ingérence dans notre politique nationale, à l’agressivité contre l’Europe, y compris militairement, à la vassalisation économique de la France et du continent ».
Une inquiétude partagée par une fonctionnaire en poste à Bruxelles, qui redoute « des changements majeurs dans le positionnement de la France sur des sujets structurants pour la position de l’UE dans le monde, comme le soutien à l’Ukraine, ou sur des choix budgétaires qui entament notre leadership, comme l’aide publique au développement ».
Les binationaux sur la sellette
Outre ces bouleversements attendus de la politique étrangère française, l’arrivée de l’extrême-droite pourrait poser pour certains des problèmes beaucoup plus personnels, alors que le RN souhaite « empêcher » les personnes ayant une double nationalité d’occuper « des emplois extrêmement sensibles » dont la liste sera définie « par décret ».
« Je me demandais ce que je ferais si un gouvernement d’extrême-droite venait à prendre le pouvoir, mais je ne m’étais jamais posé la question de savoir si ce gouvernement allait vouloir que je reste ou pas », explique une jeune diplomate franco-algérienne, qui redoute la constitution de « deux catégories de fonctionnaires, les Français qui auront accès à tous les postes, et les binationaux — en particulier ceux originaires du Maghreb — qui seront cantonnés à une catégorie d’emplois restreinte ».
Malgré la grogne qui monte, les diplomates avec qui Euractiv a pu s’entretenir n’envisagent pas pour l’heure de démissionner en cas d’arrivée du RN au Quai d’Orsay, mais plutôt de « conserver une certaine marge de manœuvre », comme le souligne la diplomate de Bruxelles, qui rappelle l’expérience de ses collègues américains sous la période Trump et polonais durant le règne du parti Droit et Justice (PiS), entre 2015 et 2023.
Luttes au ministère
À quelques heures du second tour des législatives, l’administration française semble en tout cas anticiper une victoire de l’extrême-droite. « Au Centre de crise et de soutien du ministre des Affaires étrangères, mais aussi à la Direction générale de la mondialisation, des consignes orales ont été passées pour engager des subventions avant le second tour des élections législatives », explique une autre diplomate.
Mardi (2 juillet), Marine Le Pen avait accusé Emmanuel Macron de mener « un coup d’État administratif », alors que le président français tente au plus vite de placer ses hommes, usant de son droit de nomination. Lors du Conseil des ministres du 26 juin ont ainsi été désignés de nouveaux représentants permanents au Conseil de l’OTAN et auprès de l’Organisation des États américains.
« Contrairement à d’autres pays européens, l’administration française est très verticale, les cabinets ministériels ont beaucoup de poids et les ministres influencent bien sûr les nominations des hauts fonctionnaires. C’est aussi ce qui se passera si le Rassemblement national arrive au pouvoir », note encore la diplomate de Bruxelles.
En attendant, nombreux sont ceux qui songent ces derniers jours « à prendre des disponibilités le temps de voir comment la situation évolue », ou à être « détachés, par exemple au sein d’institutions européennes ». Pour que la France définisse une politique étrangère, encore faudra-t-il qu’un gouvernement puisse être constitué à l’issue du second tour des élections législatives. Ce qui est loin d’être assuré.