Face aux attaques des Houthis du Yémen contre les navires en mer Rouge, le président américain Joe Biden espérait une réponse ferme de la part de la communauté internationale avec le lancement d’une nouvelle force militaire navale multinationale, mais une semaine après sa création, de nombreux alliés des États-Unis ne souhaitent pas y être associés.
Depuis octobre, les Houtis multiplient les attaques à l’entrée de la mer Rouge contre les navires commerciaux ayant des liens avec Israël ou se rendant dans des ports israéliens, l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde. Ces attaques sont une réponse à l’assaut d’Israël sur Gaza, selon la milice soutenue par l’Iran.
Depuis le 19 novembre, ils auraient attaqué ou saisi une douzaine de navires à l’aide de missiles et de drones.
En réponse à ces attaques, Washington a lancé il y a peu l’opération « Prosperity Guardian » une coalition défensive de plus de 20 pays selon le Pentagone visant à protéger les navires.
Toutefois, près de la moitié de ces pays n’ont pas encore contribué concrètement à la force navale ou n’ont pas encore autorisé les États-Unis à débuter les opérations. Les contributions peuvent aller de l’envoi de navires de guerre à l’envoi de personnel, par exemple.
L’Italie et l’Espagne, deux des alliés européens des États-Unis qui figuraient sur la liste des pays contribuant à l’opération ont même publié des déclarations dans lesquelles ils semblaient prendre leurs distances par rapport à l’initiative américaine.
La réticence de certains alliés des États-Unis à s’associer à l’effort reflète en partie les divisions autour de la guerre à Gaza, Joe Biden ayant soutenu Israël alors que les critiques internationales se multiplient à l’encontre de la violence de la riposte israélienne, qui, selon le ministère de la Santé de Gaza, a fait plus de 21 000 morts du côté palestinien.
« Les gouvernements européens sont très inquiets de voir une partie de leur électeurs se retourner contre eux », a expliqué David Hernandez, professeur de relations internationales à l’Université Complutense de Madrid, notant que les Européens étaient de plus en plus critiques à l’égard d’Israël et méfiant à l’idée d’être entraîné dans un conflit.
Les forces navales des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France ont toutes déjà abattu des drones ou des missiles lancés par les Houthis.
Une source au fait des intentions de l’administration Biden a déclaré que les États-Unis estimaient que l’escalade des attaques des Houthis nécessitait une réponse internationale distincte du conflit qui fait rage à Gaza entre Israël et le Hamas palestinien.
La mer Rouge est le point d’entrée des navires qui empruntent le canal de Suez, lequel assure environ 12 % du commerce mondial et joue un rôle essentiel dans la circulation des marchandises entre l’Asie et l’Europe. Les attaques des Houthis ont entraîné le déroutement de certains navires autour du cap de Bonne-Espérance, en Afrique, ce qui a considérablement augmenté la durée et les coûts de transport.
Le géant danois du transport de conteneurs Maersk a déclaré samedi (23 décembre) qu’il reprendrait ses activités de transport maritime en mer Rouge et dans le golfe d’Aden. En revanche, la société allemande Hapag Lloyd a déclaré mercredi (27 décembre) qu’elle estimait toujours que la mer Rouge était trop dangereuse et qu’elle continuerait d’envoyer ses navires par l’itinéraire du cap de Bonne-Espérance.
Mésentente sur Gaza
Alors que les États-Unis affirment que 20 pays se sont engagés dans leur force d’intervention navale, ils n’ont annoncé les noms que de 12 d’entre eux.
« Nous laisserons les autres pays parler de leur participation », a déclaré le général-major américain Patrick Ryder à la presse la semaine dernière.
L’Union européenne a exprimé son soutien à la force d’intervention maritime dans une déclaration commune condamnant les attaques houties.
Bien que la Grande-Bretagne, la Grèce et d’autres pays aient publiquement soutenu l’opération américaine, plusieurs pays mentionnés dans l’annonce des États-Unis se sont empressés de dire qu’ils n’étaient pas directement impliqués dans l’initiative.
Le ministère italien de la Défense a déclaré qu’il enverrait un navire en mer Rouge à la demande d’armateurs italiens et non dans le cadre de l’opération américaine. La France a quant à elle déclaré qu’elle soutenait les efforts visant à garantir la libre navigation en mer Rouge, mais que ses navires resteraient sous commandement français.
L’Espagne a pour sa part indiqué qu’elle ne participerait pas à l’opération et qu’elle s’opposait à ce que la mission anti-piraterie de l’UE, Atalanta, soit utilisée pour protéger les navires de la mer Rouge. Mercredi, le Premier ministre Pedro Sánchez a toutefois déclaré qu’il était prêt à envisager la création d’une autre mission pour s’attaquer au problème.
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont précédemment déclaré qu’ils n’étaient pas intéressés par ce projet.
La colère de l’opinion publique face à l’offensive israélienne à Gaza explique en partie la réticence des dirigeants politiques à adhérer au projet. Un récent sondage Yougov a révélé qu’une large majorité des Européens — en particulier en Espagne et en Italie — pensent qu’Israël devrait cesser son action militaire à Gaza.
Il existe également un risque que les pays participants à l’initiative américaine fassent l’objet de représailles de la part des Houthis. La source au fait des intentions de l’administration américaine affirme que c’est ce risque — plutôt que les désaccords sur Gaza — qui pousse certains pays à se tenir à l’écart de l’effort.
Cela semble être le cas de l’Inde, qui ne rejoindra probablement pas à l’opération américaine, un responsable du gouvernement indien ayant déclaré que le gouvernement craignait qu’en s’alignant sur les États-Unis le pays ne devienne une cible plus directe.
Une action internationale nécessaire
De nombreux pays d’Europe et du Golfe participent déjà à l’une des initiatives militaires menées par les États-Unis au Moyen-Orient, notamment les Forces maritimes combinées (Combined Maritime Forces, CMF), qui regroupent 38 pays et lutte en particulier contre la piraterie dans le Golfe arabo-persique et en mer Rouge.
L’opération Atalanta de l’UE coopère déjà dans le cadre d’une « relation réciproque » avec les CMF, selon un porte-parole du groupe.
Cela signifie que certains pays qui ne font pas officiellement partie de la force maritime multinationale de la mer Rouge pourraient néanmoins coordonner leurs patrouilles avec la marine américaine.
Par exemple, alors que l’Italie — membre de l’Atalanta — n’a pas déclaré qu’elle rejoindrait l’opération Prosperity Guardian, une source du gouvernement a confié à Reuters que la coalition dirigée par les États-Unis était satisfaite de la contribution italienne.
Cette même source a ajouté que la décision d’envoyer un navire dans le cadre d’opérations existantes était un moyen d’accélérer le déploiement et ne nécessitait pas de nouvelle autorisation du parlement.
Les efforts déployés par les États-Unis pour obtenir le soutien de la communauté internationale afin de renforcer la sécurité en mer Rouge s’inscrivent dans un contexte où les États-Unis sont confrontés à la pression exercée sur plusieurs fronts par les alliés de l’Iran au Moyen-Orient.
Outre les Houthis au Yémen, d’autres milices soutenues par le régime iranien ont attaqué les troupes américaines en Syrie et en Irak.
Jusqu’à présent, les États-Unis ont mené des frappes aériennes de représailles limitées contre les milices en Irak et en Syrie, mais ils se sont abstenus de le faire au Yémen.
Michael Mulroy, ancien sous-secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis (SADE) pour le Moyen-Orient sous l’administration Trump, a déclaré que l’objectif du Pentagone avec la nouvelle coalition maritime semblait consister à faire de toute future attaque des Houthis un problème international.
« Une fois que les navires militaires de l’opération Prosperity Guardian commenceront à protéger le trafic maritime commercial et feront l’objet d’une attaque directe [les Houthis] s’en prendront à la coalition, et pas seulement aux États-Unis », a affirmé M. Mulroy.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]