La nouvelle coalition d'Angela Merkel est en désaccord profond sur la directive européenne sur la conservation des données, que la Commission lui demande de mettre en oeuvre. Un article d'EURACTIV Allemagne.
Le ministre de la Justice, le social-démocrate Heiko Maas (SPD), a déclaré qu'il attendait l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) avant de publier une proposition législative pour mettre en place la directive européenne de 2006 sur la conservation des données (voir « Contexte »).
Heiko Maas fait preuve de prudence à la suite d’un arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe de 2010. Cette dernière a abrogé les texte de loi qui visait à intégrer la directive dans la législation allemande. Face à cette décision, la Commission européenne a déclenché une action en justice devant la CJUE en 2012. Elle a demandé que des amendes soient imposées à Berlin pour non mise en conformité de sa législation aux règles européennes.
De nombreux Allemands ont été scandalisés par la directive, qui oblige les entreprises de télécommunications à conserver toutes les données téléphoniques et en ligne des citoyens pour une durée maximale de deux ans. Ces mesures ont été adoptées en 2006 dans le cadre de la lutte européenne contre le terrorisme. À l’époque, des attentats à la bombe avaient eu lieu à Madrid (2004) et à Londres (2005).
L'arrêt de la CJUE dans les prochains mois
Cette problématique revient hanter la nouvelle grande coalition de la chancelière Angela Merkel. Des dissensions entre le SPD et les conservateurs du CDU-CSU sont de plus en plus visibles au fur et à mesure que l'arrêt de la CJUE se rapproche.
Dans l'accord de la coalition signé en novembre dernier, la coalition gouvernementale CDU-CSU-SPD avait convenu de se conformer à la directive. Y compris aux aspects les plus controversés, à savoir la récupération et l'enregistrement des données privées de télécommunication des citoyens.
Mais le SPD souhaite utiliser l'arrêt de la CJUE en vue de tuer dans l'œuf la directive sur la conservation des données. Selon Heiko Maas, la cour située à Luxembourg doit décider « si oui ou non la directive enfreint les droits des citoyens de l'UE ». Il a expliqué au magazine allemand Der Spiegel, que la cour pourrait demander « des changements en profondeur » de la directive, ou voire même de l'abandonner complètement, ce qui rendrait sa mise en application caduque.
« Dans ce cas, nous devrions recommencer depuis le tout début des négociations sur la conservation des données, » ajoute Heiko Maas.
« Autant que je sache, la mesure de [mise en œuvre] devra attendre [l'arrêt de la CJUE] », a-t-il confirmé.
Désaccord de la CDU
Toutefois, le parti de centre-droit d'Angela Merkel, la CDU pense qu'il faut mettre en œuvre la directive sur-le-champ.
Selon la CDU, l'avis de l'avocat général de la CJUE correspond grandement à l'arrêt de la Cour constitutionnelle allemande. Ce premier n'a pas déclaré que la conservation des données en soi était en contradiction avec les droits fondamentaux. La CJUE, souligne la CDU, arrivera probablement à la conclusion que la conservation des données en l'état reste acceptable dans certaines circonstances.
Aux yeux des chrétiens démocrates, les débats se concentrent actuellement sur des détails : les méthodes de stockage et de sécurisation des données, leur durée de stockage et les cas particuliers où ces données peuvent être utilisées directement. La CDU propose par ailleurs de stocker les données pendant trois mois maximum.
La demande du SPD de reporter sa mise en application ne représente donc pas « l’état actuel des négociations et certainement pas les dispositions prises, » affirme Wolfgang Bosbach, spécialiste à la CDU pour les affaires intérieures, en précisant que Heiko Maas devrait le savoir lui-même.
« En termes de politiques juridiques et intérieures, ce ne serait pas un bon début pour la nouvelle année et la période électorale qui s’annonce », précise Wolfgang Bosbach à la radio Deutschlandfunk.
L'accord de coalition menacé ?
L'accord de la coalition allemande, signé en novembre, le stipule clairement : « Nous mettrons en application la directive européenne sur la collecte et l'utilisation [des données] des télécommunications. Nous éviterons ainsi de payer des sanctions imposées par la Cour de justice de l'Union européenne. »
Steffan Seibert, porte-parole du gouvernement allemand, a essayé de minimiser les divisions internes sur la question. Le 6 janvier dernier, il a expliqué que le projet restait inscrit au programme du gouvernement allemand.
« Nous voulons appliquer les mesures sur la conservation des données en respectant les lignes directrices de la Cour constitutionnelle fédérale, » a-t-il déclaré, de manière délibérément nébuleuse en vue de pacifier le dialogue. Selon lui, une évaluation commune devrait être réalisée pendant la prochaine réunion de coalition des 22 et 23 janvier.
La Commission européenne a accusé l'Autriche, la Belgique et la Suède de ne pas vouloir se conformer à la directive, mais seule l'Allemagne fait l'objet d'une procédure juridique. Si la directive est maintenue, l'Allemagne devra alors s’acquitter d’une astreinte de 315 000 euros par jour.
Des amendements à l’horizon
Entre-temps, la Commission européenne a déclaré qu'elle attendait l'arrêt de la CJUE et ne ferait aucun commentaire supplémentaire en la matière.
La directive sera néanmoins appelée à être partiellement modifiée. Sur son site Internet, l'exécutif européen a indiqué qu'il proposerait des changements à la directive, même s'il n'y a aucun calendrier précis sur la question à l'heure actuelle.
La CDU avance de son côté que l'Allemagne pourrait donner l'exemple dans l’amendement de la directive en publiant maintenant une loi d’exécution au niveau national.