La Pologne ne se sent en rien contrainte par les avertissements inédits que lui a adressés l’UE, qui menace le pays de sanction si l’État de droit continue d’être bafoué. Un article d’EURACTIV Pologne.
« Nous considérons ce document comme une opinion, une suggestion, qui ne nous oblige à rien », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski, lors d’un entretien à la radio nationale, en référence à un avertissement officiel de l’UE. Bruxelles y prévient le parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS) qu’elle mettra en place des mesures punitives si le gouvernement conserve sa mainmise sur les grands tribunaux du pays. Cet avertissement fait partie d’une procédure qui pourrait coûter à Varsovie son droit de vote au Conseil européen.
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Witold Waszczykowski a expliqué qu’il lirait le document européen, un texte de 20 pages reçu le 1er juin, quand il aurait « un moment de libre ». Il a communiqué le document à la Première ministre, Beata Szydlo, et au président, Andrzej Duda, qui le partageront avec le parlement.
« Dans quelques jours, quand j’ai un moment de libre, j’aurai l’occasion de me familiariser avec ce document », a-t-il indiqué.
Strictement confidentiel
Le texte est confidentiel, mais des sources au sein de l’UE ont confirmé qu’il critiquait la réorganisation de la Cour constitutionnelle polonaise par le gouvernement. Il est cependant important de noter qu’il ne s’agit pas d’une recommandation. La Pologne est donc toujours dans la première étape d’une procédure dans le cadre d’État de droit de l’UE. Cela signifie que la discussion entre Varsovie et Bruxelles est encore en cours et que la Commission européenne n’a pas encore établi une liste de changements précis à effectuer sous peine de sanctions.
En présentant l’opinion, Frans Timmermans, le vice-président de la Commission, s’est félicité des « discussions constructives » qu’il a eues avec le gouvernement polonais. Il a néanmoins également souligné qu’il était temps de « résoudre les risques pesant sur l’État de droit en Pologne ». Malgré la mesure des propos du vice-président, Varsovie s’est irritée du communiqué de presse longuet publié par la Commission.
Réactions polonaises
En Pologne, c’est le ministre aux Affaires européennes, Konrad Szymański, qui a réagi de la manière la plus sereine. Cet ancien eurodéputé, très estimé, a déclaré que l’opinion « n’amenait rien de neuf ».
Il a souligné que les sujets abordés par la Commission avaient déjà été discutés ces derniers mois lors de réunions avec Frans Timmermans et d’autres représentants de l’exécutif. Il a également regretté que la Commission semble devenir de moins en moins conciliante, un changement d’attitude qu’il impute à l’influence de la Commission de Venise.
D’autres membres du gouvernement se sont montrés bien plus critiques, en répétant que la Commission présentait « seulement une opinion ». « L’opinion sur l’État de droit, en l’état, est uniquement une opinion, qui n’aura aucun impact sur les décisions que nous prenons », a ainsi déclaré Beata Szydło, la Première ministre.
Zbigniew Ziobro, le ministre de la Justice, a été encore moins diplomate. Il a exprimé son « regret » de voir la Commission présenter cette opinion qui, à ses yeux, représente une prise de position plus belliqueuse. La Commission « s’est impliquée dans une affaire interne et ses actions soutiennent l’opposition », estime-t-il. Une décision visant à « nuire à un gouvernement qui ne lui convient pas », selon lui.
Il affirme également que l’opinion est un possible moyen de pression pour obliger le pays à appliquer certaines politiques européennes, comme les quotas de répartition des migrants, auxquelles la Pologne s’oppose.
Opposition
De son côté, l’opposition s’est en grande partie réjouie de la décision de la Commission et s’en est servie pour faire davantage pression sur le gouvernement. Grzegorz Schetyna, président du parti Plateforme civique (PO), le plus grand groupe d’opposition, a appelé le gouvernement à faire marche arrière et à accepter les décisions de la Cour.
Rafał Trzaskowski, également membre de PO et ancien ministre aux Affaires européennes, a souligné que l’ouverture d’une procédure d’État de droit affaiblissait la position du pays dans les négociations européennes et amoindrira son influence au sein du bloc.
Nowoczesna, le deuxième plus grand parti de Pologne, estime que le conflit entre l’UE et Varsovie est entré dans une toute nouvelle dimension. Son chef de file, Ryszard Petru, doute que PiS tente réellement de trouver une solution et estime que le gouvernement adoptera une stratégie d’attente face à la Commission.
Tous les partis d’opposition ne partagent cependant pas cet avis. Le parti populaire polonais, une formation largement agraire qui faisait partie de la coalition gouvernementale précédente, est du même avis que PiS : la crise de la Cour constitutionnelle est une affaire interne et doit être réglée par le parlement polonais, et non les institutions européennes.
Le gouvernement a deux semaines pour réagir à l’avertissement de l’exécutif européen. Passé ce délai, la Commission pourra demander davantage d’informations, présenter ses recommandations ou décider que le problème est résolu.