Cet article fait partie de l'édition spéciale Sommet EU-Afrique: plein feu sur la jeunesse, la sécurité et l’investissement.
La manière dont les Européens ont délocalisé la crise de l’immigration vers la Libye, apparemment sans égard pour les droits de l’Homme, risque de rouvrir de vieilles blessures dans l’histoire chahutée des relations entre l’Europe et l’Afrique.
Les dirigeants des 28 États de l’UE et leurs 27 homologues de l’Union africaine se rencontreront à Abidjan, en Côte d’Ivoire, les 29 ou 30 novembre. Lors de ce sommet, les représentants nationaux discuteront de l’avenir des relations entre les deux blocs, et en particulier des investissements à consentir pour la jeunesse.
Une question clé pour l’Afrique, dont 60 % de la population a moins de 25 ans. Avec des répercussions en Europe, puisqu’un nombre jamais vu de jeunes Africains traversent la Méditerranée au péril de leur vie, le plus souvent via la Libye et l’Italie, pour migrer vers l’Europe.
Si l’UE insiste cependant sur le fait que le sommet n’est pas dédié à l’immigration, mais au partenariat et à l’aide au développement. « Je voudrais souligner qu’il ne s’agit pas d’un sommet sur l’immigration, mais sur le partenariat entre l’Union africaine et l’UE », a répété Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie européenne. « Cela dépasse de loin les questions migratoires, mais pourrait bien sûr nous donner l’occasion de lancer des actions communes sur la situation des migrants en Libye, et pas seulement aujourd’hui, parce que cette situation dure depuis des années. »
La Haute Représentante de l’UE est dans une position difficile face à la situation des migrants en Libye. Son pays, l’Italie, a pris des décisions radicales pour stopper le flux de migrants arrivant sur ses côtes, notamment en demandant aux autorités libyennes de faire tout leur possible pour empêcher les migrants à entrer dans son espace maritime.
L’UE tente également de trouver une solution aux déboires des migrants en Libye, inacceptable dans le cadre des droits de l’Homme.
Europe et Afrique: Un partenariat d'égal à égal. La tribune de @FedericaMog et @MimicaEU dans @jeune_afrique, une semaine avant le Sommet entre @_AfricanUnion et l'UE ➡️ https://t.co/g5B88BpRHe pic.twitter.com/GUdCo3GcG3
— EU External Action (@eu_eeas) November 22, 2017
La situation des migrants en Libye est mal connue, le chaos régnant encore dans le pays. Il y a dix jours, la chaine américaine CNN a cependant montré des images tournées en Libye et montrant ce qui ressemble à un marché aux esclaves où des Nord-Africains achetaient des hommes noirs pour l’équivalent de 400 euros.
Lors d’un entretien avec France 24, le président ivoirien, Alassane Ouattara, a exprimé son « dégoût » face à ces révélations et exigé que les responsables soient traduits en justice devant la Cour pénale internationale. Il a assuré que la question serait abordée lors du sommet d’Abidjan.
De nombreux représentants politiques africains, surtout issus d’Afrique de l’Ouest, d’où viennent la plupart des migrants, ont également exprimé leur outrage face à la situation en Libye. Mahamadou Issoufou, le président du Niger, s’est ainsi déclaré révolté par les images de CNN. Il a convoqué l’ambassadeur libyen au Niger et exigé que la Cour pénale internationale ouvre une enquête sur les ventes d’esclaves.
Au Burkina Faso, Alpha Barry, le ministre des Affaires étrangères, a également invité l’ambassadeur libyen à Ouagadougou pour discuter du problème.
Après des années d’avertissements lancés par l’ONU, il semblerait que les images capturées par CNN soient enfin parvenues à faire bouger l’opinion publique et politique.
Devant les journalistes, Federica Mogherini a dû répondre de la stratégie européenne, qui se décharge de la crise migratoire en en chargeant des pays comme la Libye ou la Turquie, qui a reçu des milliards d’euros pour empêcher les Syriens de traverser la frontière grecque.
Elle a souligné que la situation en Turquie était bien différence de celle de Libye, pour deux raisons. Premièrement, les migrants coincés en Libye ne sont pas des demandeurs d’asile en règle, contrairement aux Syriens fuyant la guerre. De plus, les organismes responsables sont différents, a-t-elle ajouté.
« En Turquie, il s’agit principalement de réfugiés arrivant de Syrie, alors qu’en Libye, il s’agit principalement de migrants issus d’Afrique subsaharienne. Les lois internationales qui s’appliquent à ces deux cas sont donc différentes, tout comme les agences de l’ONU qui s’en occupent- l’UNHCR [Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés] d’un côté, l’OIM [Organisation internationale pour les migrations] de l’autre », a-t-elle indiqué.
Une nouvelle relation
En réalité, l’UE avait bien d’autres idées pour le sommet. Après des décades en dents de scie, l’UE veut abolir la relation historique caractérisant ses échanges avec l’Afrique, supprimant le modèle de donateur-bénéficiaire paternaliste et ouvrant une nouvelle page de partenariats politiques d’égal à égal.
Il s’agit du cinquième sommet entre l’UE et les pays africains. Le dernier, en 2014, avait rassemblé plus de 60 pays. À l’époque, il était question de coopération bilatérale pesant des millions d’euros.
En novembre 2015, au sommet de La Valette, le « fonds pour l’Afrique » de l’UE a été mis en place, avec l’ambition de récolter des milliards d’euros. Les États membres n’ont cependant pas doté le fonds de beaucoup de liquidités depuis, et son budget est principalement composé de versements de l’UE.
Le mois dernier, la Commission européenne a d’ailleurs annoncé aux capitales qu’elles devraient immédiatement verser 225 millions d’euros pour financer des projets liés à la migration en Afrique qui seront mis en place cette année en début 2018.