L’UE cherche à recalibrer sa stratégie vis-à-vis de la Chine

La mise à jour de la stratégie de l’UE vis-à-vis de la Chine était nécessaire, notamment en raison de la montée du « nationalisme et de l’idéologie » sous le dirigeant chinois Xi Jinping, de la rivalité accrue entre les États-Unis et la Chine, et de l’intensification du rôle de Pékin dans les « questions régionales et mondiales », précise le document. [SHUTTERSTOCK/Alessia Pierdomenico]

Afin de réduire les risques lorsqu’elle traite avec la Chine, l’UE doit se montrer plus « lucide » et se concentrer sur les valeurs et la sécurité économique et stratégique. C’est ce qu’il ressort d’un document interne préparé par le chef de la diplomatie de l’UE Josep Borrel.

Le document officieux, préparé par le Haut responsable de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité Josep Borrell et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), a été envoyé aux États membres avant une réunion des ministres des Affaires étrangères qui se tiendra ce vendredi (12 mai) à Stockholm. Durant cette réunion, les ministres devraient discuter de l’approche à adopter vis-à-vis de la Chine.

Le document, intitulé « Remodeler nos relations avec la Chine, s’engager avec la Chine, rivaliser avec la Chine », exprime un soutien clair à la nouvelle stratégie d’« atténuation des risques » de l’UE, préconisée par de hauts fonctionnaires du bloc au cours des derniers mois, au lieu d’un « découplage » des relations.

Les États membres de l’UE sont également invités à saisir cette occasion pour réduire le risque d’une influence croissante de la Chine dans les domaines de l’économie et de la sécurité.

La Chine devrait être l’un des principaux sujets abordés lors du sommet européen qui se tiendra à Bruxelles à la fin du mois de juin.

Les États-Unis ont adopté une approche plus ferme à l’égard de la Chine. Les dirigeants européens doivent quant à eux encore se mettre d’accord sur une approche unifiée.

Face à la Chine, l'UE cherche comment parler d'une seule voix

Compliquée mais indispensable, la relation de l’Union européenne avec la Chine est au coeur de la réunion vendredi (12 mai) à Stockholm des ministres des Affaires étrangères des 27 qui tenteront de trouver une approche commune face au géant asiatique.

Plus de lucidité, mais pas de confrontation

L’UE doit adopter une approche « lucide » mais « non conflictuelle » face à une Chine qui cherche à « construire un nouvel ordre mondial », indique le document de l’UE, daté et envoyé aux capitales des États membres de l’UE jeudi (11 mai).

Ces derniers mois, certains États membres ont appelé à une refonte de la stratégie de l’Union de 2019 à l’égard du géant asiatique, tandis que d’autres restent prudents et que les fonctionnaires de l’UE mettent en garde contre une révision complète de cette stratégie.

Cette nouvelle initiative fait suite à une première discussion qui s’est tenue à la fin de l’année dernière et au cours de laquelle le service diplomatique de l’UE a préconisé pour la première fois une position plus dure à l’égard de la Chine.

Si le document de l’UE réaffirme la stratégie de l’Union consistant à traiter la Chine à la fois comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique, il précise que l’équilibre de ces approches dépendra de la manière dont Pékin réagira aux actions de l’UE.

Dans une lettre en annexe envoyée aux ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, M. Borrell a fixé trois nouveaux axes qui définiront les futures relations entre Bruxelles et Pékin : les valeurs, la sécurité économique et la sécurité stratégique, en mettant l’accent sur l’Ukraine et Taïwan.

Les États membres sont invités à s’en tenir à cette désignation, « même si la pondération entre ces différents éléments peut varier en fonction du comportement de la Chine ».

« Il est évident que ces dernières années, l’aspect de la rivalité est devenu plus important », peut-on lire dans le document.

La mise à jour de la stratégie de l’UE vis-à-vis de la Chine était nécessaire, notamment en raison de la montée du « nationalisme et de l’idéologie » sous le dirigeant chinois Xi Jinping, de la rivalité accrue entre les États-Unis et la Chine, et de l’intensification du rôle de Pékin dans les « questions régionales et mondiales », précise le document.

« La Chine et l’Europe ne peuvent pas devenir plus étrangères l’une à l’autre […] Sinon, les malentendus risquent de se développer et de s’étendre à d’autres domaines », peut-on lire dans le document.

Ainsi, « la rivalité systémique peut se manifester dans presque tous les domaines d’engagement. Mais cela ne doit pas empêcher l’UE de maintenir des canaux de communication ouverts et de rechercher une coopération constructive avec la Chine. »

En effet, au lieu de rompre le contact avec la Chine, le service diplomatique de l’Union européenne invite les États membres à maintenir le dialogue et les relations avec Pékin.

« Des messages ouverts et clairs à l’intention des dirigeants chinois, associés à des attentes réalistes, sont nécessaires pour garantir la crédibilité et l’influence », peut-on lire dans le document.

« Si nous voulons construire une nouvelle stabilité dans nos relations complexes, l’UE et ses États membres doivent rester fermes, sans [entrer en] confrontation », ajoute le document.

La coopération doit être recherchée dans la mesure du possible, ce qui peut « briser l’isolement croissant que s’infligent les dirigeants chinois, mais surtout faire avancer les intérêts fondamentaux de l’UE ».

Les pays baltes souhaitent débattre des propos de l’ambassadeur chinois sur la souveraineté des pays postsoviétiques

Lundi, la colère en Europe de l’Est et en Ukraine pour les propos de l’ambassadeur de Chine en France devrait s’intensifier lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE, selon les déclarations recueillies par EURACTIV.

En outre, selon le document du SEAE, « l’atténuation des risques peut garantir la prévisibilité et la transparence de nos relations économiques et commerciales tout en promouvant une approche sûre et fondée sur des règles ».

Parallèlement, les pays du Groupe des Sept (G7) entendent envoyer un signal à la Chine ce mois-ci en annonçant un effort commun pour lutter contre la « coercition économique ». Toutefois, ils peinent à s’entendre sur des mesures tangibles.

Taïwan et l’Ukraine

Par ailleurs, pour le service diplomatique de l’UE, Bruxelles a « un intérêt fondamental à encourager la Chine — et les États-Unis — à maintenir le statu quo et à désamorcer les tensions » dans le détroit de Taïwan.

« Le risque d’escalade dans le détroit de Taïwan montre clairement la nécessité de travailler avec des partenaires pour empêcher l’érosion du statu quo dans l’intérêt de tous », peut-on lire dans le document.

Selon les estimations de l’Union européenne, quelque 90 % des semi-conducteurs avancés importés dans l’UE proviennent de Taïwan, ce qui rend les chaînes d’approvisionnement vulnérables en cas d’escalade du conflit.

Concernant la guerre menée par Moscou en Ukraine, certains États membres de l’UE n’ont pas totalement rejeté la possibilité pour la Chine de jouer un rôle de pacificateur en Ukraine. Le SEAE affirme pour sa part qu’« un dialogue direct entre la Chine et l’Ukraine serait la meilleure occasion pour la Chine de contribuer à un règlement politique équitable ».

Il remet toutefois en question la « position fermement pro-russe de la Chine, notamment en omettant toute référence à la nécessité d’un retrait des troupes russes d’Ukraine », un élément confirmé dans le plan de paix en 12 points publié par Pékin en février.

Le service diplomatique de l’UE ajoute que les États membres devraient recommander à Pékin de s’abstenir de soutenir la Moscou, y compris en contournant les sanctions.

Dans la lettre en annexe adressée aux États membres, M. Borrell souligne le fait que, quoi qu’il arrive en Ukraine, l’essor de la Chine ne serait pas entravé.

« Une défaite russe en Ukraine ne fera pas dérailler la Chine de sa trajectoire. La Chine parviendra à en tirer un avantage géopolitique », écrit-il.

M. Borrell affirme également que l’Union européenne doit redoubler d’efforts pour s’engager avec d’autres pays dont les propositions sont plus attrayantes pour concurrencer l’influence croissante de la Chine, notamment par le biais d’accords de libre-échange et de partenariats dans le domaine de l’énergie.

L’UE cherche à renforcer ses liens diplomatiques avec quatre partenaires clés pour contrer l’influence russe et chinoise

Selon une note interne consultée par EURACTIV, le Brésil, le Chili, le Nigéria et le Kazakhstan sont des « pays prioritaires » avec lesquels l’UE cherche à renforcer ses liens diplomatiques dans le cadre de ses efforts pour traiter avec la Russie et endiguer l’influence de la Chine.

[Édité par Anne-Sophie Gayet]

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