L’UE pourrait bientôt prendre une décision historique sur l’achat groupé de munitions pour venir en aide à l’Ukraine et reconstituer les stocks nationaux, alors que les ministres de la Défense de l’UE se réunissent mercredi (8 mars) pour étudier des plans d’achats communs de munitions.
À Stockholm, les ministres de la Défense de l’UE devraient discuter de manière informelle de projets visant à accélérer la fourniture d’obus de calibre 155 millimètres à l’Ukraine, qui demande à recevoir davantage d’obus d’artillerie afin de lutter contre l’invasion russe.
Le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiy Reznikov, devrait participer à la réunion et informer ses homologues de l’UE des besoins des forces armées de son pays.
Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, devraient également être présents.
Les responsables de l’UE estiment que les forces ukrainiennes utilisent jusqu’à 7 000 obus par jour, notamment dans le cadre de batailles d’obusiers autour de la ville de Bakhmout — tandis que ce chiffre s’élève à environ 50 000 pour les troupes russes.
Les soutiens de Kiev ont souligné ces dernières semaines que l’Ukraine utilisait des obus plus rapidement que ses alliés occidentaux ne pouvaient en produire.
Un plan en trois volets
La discussion reposera sur un document de l’UE présenté la semaine dernière par le chef de la diplomatie de l’Union, Josep Borrell, et dont EURACTIV a pris connaissance. Ce dernier propose un plan en trois volets visant à combler les lacunes existantes, à stimuler la production de munitions dans l’ensemble de l’Union et à soutenir le réapprovisionnement des stocks des États membres.
Le document propose, dans un premier temps, d’utiliser un milliard d’euros supplémentaires de fonds communs pour inciter les États membres à puiser dans leurs stocks, en particulier d’obus d’artillerie de 155 mm, et à les livrer immédiatement à l’Ukraine.
Cet argent proviendrait de la Facilité européenne pour la paix (FEP), qui a déjà contribué à hauteur de 3,6 milliards d’euros à l’armement de l’Ukraine depuis le début de l’invasion en février 2022 et qui a récemment été complétée par une enveloppe supplémentaire de 2 milliards d’euros pour 2023.
Dans un deuxième temps, le plan prévoit l’élaboration par les États membres d’un accord pour l’achat groupé d’obus de 155 mm par l’agence européenne de défense, en vue de la signature des premiers contrats dès le mois prochain, « pour une durée de sept ans ».
Le document ne précise toutefois pas combien d’obus l’Union européenne devrait commander en commun, le coût prévu ou la date à laquelle ils pourraient être disponibles.
Un troisième volet vise à garantir l’augmentation à long terme de la production européenne de munitions et à soutenir la production de l’industrie de la défense afin d’assurer la continuité des livraisons.
La question du financement
La question du financement de cette initiative risque néanmoins d’être un sujet de controverse lors de la réunion.
Les États membres de l’UE devront décider sans tarder des nouveaux fonds nécessaires à l’achat en commun de munitions pour l’Ukraine, a déclaré le ministre estonien de la Défense, Hanno Pevkur, à la presse à son arrivée à Stockholm.
« En injectant ces nouveaux fonds, nous renforcerons également les capacités de l’industrie, ce dont nous avons de toute façon besoin pour l’approvisionnement de l’Ukraine en munitions. C’est ce dont nous avons besoin pour l’avenir, que les industries européennes soient capables de produire davantage d’obus », a déclaré M. Pevkur.
Interrogé sur l’appel à de nouveaux fonds lancé par le ministre estonien, le chef de la diplomatie de l’UE, M. Borrell, a répondu que « l’argent ne tombe pas du ciel. Ce n’est pas parce qu’un État membre réclame plus d’argent que l’argent va apparaître par miracle».
Les fonds européens existants devront être affectés en priorité à l’achat de munitions pour l’Ukraine avant qu’une décision sur de nouveaux fonds puisse être prise, a déclaré M. Borrell à la presse à Stockholm.
«La première chose à faire est d’utiliser ce que nous avons. Si les États membres sont prêts à fournir davantage, j’en serai heureux. Mais aujourd’hui, soyons réalistes et pragmatiques, et discutons des choses qui peuvent être adoptées aujourd’hui», a déclaré M. Borrell avant une réunion avec les ministres de la Défense de l’Union européenne.
L’Ukraine, pour sa part, est susceptible de réclamer davantage.
«Notre priorité numéro un, ce sont les systèmes de défense antiaérienne, ainsi que les munitions, les munitions et encore les munitions», a déclaré M. Reznikov aux journalistes à Stockholm.
« Ce n’est pas suffisant, car nous avons besoin d’un million de munitions, et cela devrait représenter environ quatre milliards d’euros», a déclaré M. Reznikov.
Des partenariats à définir
En outre, le document évoque également la possibilité que «des partenaires partageant la même vision soient invités à soutenir cette initiative par le biais de contributions financières volontaires».
Plusieurs diplomates européens ont indiqué que l’UE cherchait également à rallier à ses efforts des pays extérieurs à l’Union, dont au moins la Norvège, qui a déjà manifesté son intérêt, et le Canada, qui pourrait être disposé à se joindre à elle.
Les États membres restent toutefois divisés sur la question de la participation de pays non membres de l’UE. C’est notamment le cas de la France, qui prône plutôt l’utilisation d’un financement commun pour l’acquisition de munitions fabriquées dans l’UE.
La Commission européenne, quant à elle, se penche sur les instances qui pourraient être chargées de coordonner les efforts de l’UE en matière d’achats communs.
Il pourrait notamment s’agir de l’Agence européenne de défense (AED), un organisme intergouvernemental visant à faciliter la coordination de la défense entre les 26 États membres (le Danemark n’en faisant pas partie). L’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR), spécialisée dans les programmes d’armement communs, pourrait également être concernée — alors qu’elle réunit plusieurs États membres de l’UE ainsi que le Royaume-Uni, qui n’est pas membre de l’Union européenne.
Un accord dans le courant du mois ?
À l’issue des discussions menées à Stockholm, les responsables de l’UE espèrent que le plan pourra être rapidement approuvé lors d’une session conjointe des ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’Union, le 20 mars, puis finalisé lors du Conseil européen, la même semaine.
Les dirigeants de l’UE devraient alors « saluer l’accord rapide au sein du Conseil visant à faciliter la fourniture immédiate de munitions à l’Ukraine, y compris par le biais d’achats communs et de la mobilisation d’un financement approprié », selon les premières versions du projet de conclusions du Conseil européen consultées par EURACTIV.
« L’Union européenne et ses États membres redoublent d’efforts pour tenter de répondre aux besoins urgents de l’Ukraine en matière militaire et de défense », devraient-elles préciser.
Bien que les responsables de l’UE axent leurs plans d’approvisionnement communs en obus d’artillerie plutôt qu’en systèmes d’armes plus avancés, cette mesure serait considérée par beaucoup comme un changement fondamental dans la politique d’approvisionnement de l’UE en matière de défense.
En effet, ce domaine était jusqu’à présent largement du ressort des gouvernements des États membres et de l’OTAN.
L’année dernière, à l’occasion d’un véritable « tournant » pour sa politique de défense, l’UE a accepté de débloquer des milliards d’euros pour permettre aux États membres d’acheter des armes destinées aux forces armées ukrainiennes, dans l’espoir de mettre un terme à l’invasion de la Russie.
Les observateurs de longue date ayant suivi les efforts de l’Union en la matière et à leur réponse à la guerre menée par la Russie en Ukraine, estiment qu’il ne s’agit peut-être que du début d’une politique de défense plus solide et cohérente de la part de l’UE.
Le débat sur l’approvisionnement commun a gagné en importance après la présentation par l’Estonie, le mois dernier, d’une proposition visant à ce que l’UE achète un million d’obus de 155 mm destinés à l’Ukraine cette année — pour un coût estimé à 4 milliards d’euros.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]