L’Ukraine s’inquiète du soutien vacillant de l’UE

Ivanna Klympush-Tsintsadze, vice première ministre ukrainienne

La vice-première ministre ukrainienne en charge des relations avec l’UE s’inquiète de voir le soutien européen faiblir. Mais le rythme poussif des réformes et la corruption contribuent à décourager les Occidentaux.

Désormais presque totalement coupée de  la Russie, l’Ukraine se démène pour se rapprocher de l’Union Européenne et des Etats-Unis. La tâche est si cruciale pour ce pays englué simultanément dans le premier conflit militaire de son histoire et dans sa pire crise économique, qu’un poste de vice-premier ministre a été spécialement créé . Depuis avril , cette mission est confiée à Ivanna Klympush-Tsintsadze, vice-première ministre « pour l’intégration européenne et euro-Atlantique ».

Une frustration mutuelle entre l’UE et l’Ukraine

Femme pétulante à l’abondante chevelure noire, elle défend avec feu la position de l’Ukraine dans un contexte diplomatique dégradé : le scepticisme à l’égard de l’Ukraine progresse en Europe. Le 17 septembre, trois jours après la visite des ministres des affaires étrangères allemand et français en Ukraine, Ivanna Klympush-Tsintsadze a répondu aux questions d’une poignée de journalistes en marge de Yalta European Strategy, une conférence internationale organisée à Kiev.

Il apparaît vite que la frustration est mutuelle. « Il est très important pour nous que l’Europe soit unie face à l’agression russe », explique-t-elle avec humeur, faisant allusion au récent passage de Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier dans l’est de l’Ukraine, où le conflit a fait 10 000 morts depuis avril 2014.

« Je n’aime pas entendre des appels de plusieurs pays européens plaçant sur un pied d’égalité les deux camps [du conflit dans l’est du pays], insinuant qu’ils ont une responsabilité égale. Car il y a un pays agresseur, tandis que l’Ukraine est la victime », insiste-t-elle. Et de rappeler à l’Occident sa responsabilité pour faire appliquer le respect des lois internationales et l’intégrité territoriale des pays.

« Je voudrais voir plus d’unité et de responsabilité en Occident. La Crimée a été annexée illégalement », rappelle la vice première ministre. Pour cette experte en relations internationales, il n’est pas question de définir un autre cadre légal que celui défini par le mémorandum de Budapest, signé en 1994 par la Russie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et garantissant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, la Bioélorussie et le Kazakhstan en l’échange d’un renoncement à l’arme nucléaire.

« Je ne vois pas comment on peut garantir la non-prolifération nucléaire alors que Budapest n’a pas été respecté. Quels arguments de poids reste-t-il face à l’Iran et la Corée du Nord ? ».

Aux pressions occidentales sur Kiev pour que l’Ukraine s’engage dans la résolution politique du conflit comme l’exige l’accord de Minsk, elle répond qu’il « faut au préalable un cessez-le-feu durable, la libre circulation de la mission d’observation de l’OSCE, et une démilitarisation comprenant le retrait des armes lourdes par Moscou », précisant que la Russie a déployés 600 tanks dans la zone sous contrôle séparatiste.

Or le Kremlin exige que Kiev accorde un statut spécial au Donbass et une amnistie aux séparatistes, accepte la tenue d’élections avant que l’Ukraine récupère le contrôle de sa frontière avec la Russie.  « L’accord de Minsk stipule clairement que la sécurité vient en premier », martèle Mme Klympush-Tsintsadze. Pour elle, la tenue d’élections n’est possible que si une force policière de l’OSCE ou internationale assure au préalable la sécurité sur le territoire hors du contrôle de l’Ukraine.

Elle reste par contre évasive sur la question de l’amnistie des dirigeants séparatistes pro-russes, qui est l’un des points de l’accord de Minsk. Cette attitude reflète le durcissement de la position ukrainienne sur le dossier du Donbass observée depuis quelques mois.

Poutine accuse Kiev de terrorisme en Crimée

Le président Vladimir Poutine a accusé mercredi les autorités ukrainiennes « d’être passées à la terreur » après l’annonce par les services secrets russes d’« attentats terroristes » déjoués en Crimée et préparés, selon Moscou, par l’Ukraine.

Déplorant une « mauvaise conjoncture » liée à la montée des populismes en Europe et au Brexit, la vice-première ministre n’hésite pas à renvoyer la balle dans le camp européen. « Je suis très préoccupée par le fait que certains parlements, dont celui de la France, ont voté pour la levée des sanctions contre la Russie. Parce que je ne vois pas pourquoi ces sanctions devraient être levées. Vous êtes à la veille d’ élections et les forces derrière ce vote ont des grandes chances d’arriver au pouvoir, par conséquent c’est une source d’anxiété pour nous. Ce n’est pas acceptable du point de vue du respect des frontières et du point de vue du respect de la législation internationale».

Le statu quo de la politique ukrainienne lasse les Européens

Au sujet de la lassitude de l’Europe face à la corruption endémique et à la lenteur des réformes économiques, politiques et judiciaires, conditions pour les aides financières et un rapprochement avec l’UE, Mme Klympush-Tsintsadze admet être confrontée à la résistance de l’appareil d’Etat. Elle s’empresse d’assurer de la détermination du gouvernement à achever les réformes. Mais nombreux sont les intervenants ukrainiens de la conférence Yalta European Strategy qui ont mis en doute la volonté politique du président Petro Porochenko à réformer un système qui l’a enrichi et porté au pouvoir.

L’optimisme pointe toutefois à propos du régime sans visa que l’UE devrait accorder à l’Ukraine « en décembre prochain »,  croit savoir  la vice première-ministre.

« Nous avons achevé toutes les réformes nécessaires et rempli toutes les conditions de notre côté» assure la femme politique. La décision a déjà été reportée, alors que le président Petro Porochenko compte beaucoup sur le régime sans visa pour redresser sa cote de popularité. Mme Klympush-Tsintsadze le dément formellement, mais des sources diplomatiques suggèrent que l’UE utilise le régime sans visa comme levier pour forcer Kiev à se montrer plus souple face à Moscou. Le séduisant partenariat oriental risque de basculer rapidement dans la bonne vieille real-politik.

L'Ukraine demande à l'UE de jouer les intermédiaires avec Gazprom

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