Le sommet UE-Turquie s’est conclu ce matin (8 mars) sur un échec. Les chefs d’État et de gouvernement ont en effet refusé l’accord qu’Angela Merkel a tenté d’imposer.
Le Premier ministre turc, Ahmet Davutoğlu, reviendra à Bruxelles les 17 et 18 mars pour un nouveau sommet européen, après un épisode chaotique. Selon nos informations, une majorité de chefs d’Etat se sont indignés de la tentative de Berlin d’imposer son propre accord, au détriment d’u processus de décision européen.
Un diplomate d’un pays du groupe de Visegrád évoque ainsi la « grande frustration » de la plupart des chefs d’État, après que la chancelière allemande et Mark Rutte, Premier ministre des Pays-Bas, à la présidence tournante du Conseil, ont remplacé la proposition élaborée par les 28 ambassadeurs par un accord conclu entre Berlin, La Haye et Ankara le 6 mars. Donald Tusk, le président du Conseil, serait le plus scandalisé de tous.
Les ambassadeurs des 28 États membres avaient préparé une déclaration qui aurait dû être adoptée lors du sommet du 7 mars. Les dirigeants européens s’attendaient donc à déclarer qu’ils « fermeraient la route des Balkans dans les jours à venir », mettant ainsi fin à la politique actuelle de laissez-passer qui a entrainé des tensions et un certain chaos au sein de l’union.
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Lors d’une réunion trilatérale le 6 mars, Angela Merkel, Mak Rutte et Ahmet Davutoğlu ont cependant élaboré un texte tout à fait différent, selon lequel la Turquie réintègrerait tous les migrants qui arrivent sur les îles grecques via son territoire. Pour chaque Syrien réadmis en Turquie, un autre serait réinstallé de Turquie vers un pays européen. Cette formule implique que si l’OTAN ou toute autre agence présente en Méditerranée intercepte 50 personnes à bord d’un bateau, dont dix sont syriens, ils seront tous secourus et renvoyés vers la Turquie. L’UE devrait ensuite réinstaller dix Syriens (pas ceux qui se trouvaient sur le bateau) réfugiés en Turquie et les envoyer vers des pays européens par avion.
En échange de ce système, l’UE s’engagerait à couvrir le coût de la réadmission des réfugiés interceptés, verserait 3 milliards d’euros supplémentaires pour aider les réfugiés qui vivent en Turquie, hors des camps, clore le processus de libéralisation des visas pour les citoyens turcs d’ici le mois de juin et ouvrir cinq chapitres des négociations d’adhésion à l’UE du pays.
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Obstacles légaux
La stratégie d’Ankara pourrait être mise en échec par le droit européen et international. De fait, l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) interdit les « expulsions collectives ». Tout comme la Convention des Nations unies sur les réfugiés, établie en 1951, interdit à ses signataires (les États membres sont tous signataires) d’expulser ou de renvoyer des réfugiés, sauf en cas de menace à l’ordre public. Un diplomate assure cependant que ce dernier point ne s’applique pas, puisque les réfugiés seraient « sauvés, pas renvoyés ».
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Le plan a été proposé par Ahmet Davutoğlu, mais Angela Merkel le soutient pleinement et a l’a qualifié de grand progrès. Un soutien qu’elle a réitéré lors d’une conférence de presse après le sommet.
« Je dois dire que nous nous sommes félicités [de la proposition du Premier ministre turc]. Mieux valait proposer ce plan maintenant que ne jamais le proposer », a indiqué la chancelière allemande, qui admet pourtant que ce changement de dernière minute a rendu les négociations difficiles. « La journée a été bonne, mais il y a encore beaucoup de travail à faire avant le 18 mars. »
Selon un tweet du porte-parole du gouvernement hongrois, le Premier ministre Viktor Orbán aurait opposé son veto au projet de réinstaller directement des demandeurs d’asile de Turquie vers les pays européens. Plus tard, des diplomates ont néanmoins révélé qu’il n’y avait pas eu besoin de veto, parce que plusieurs pays s’opposaient au projet.
Si l’Allemagne ne voit pas d’inconvénient à payer sa part des 3 milliards supplémentaires, ce n’est pas le cas d’autres pays, qui ne veulent pas donner plus de fonds à la Turquie avant de la voir respecter ses engagements. Lors du dernier sommet UE-Turquie, en novembre, Ankara s’était en effet engagée à faire baisser le nombre de migrants arrivant en Grèce, en échange d’un don de 3 milliards d’euros pour l’aider à gérer les réfugiés. Aucune diminution n’a encore été enregistrée.
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Poursuite des négociations
Une déclaration a été adoptée à la fin du sommet. Les dirigeants européens s’y engagent à continuer à travailler à un accord sur la base du plan proposé par Ankara. Donald Tusk encadrera le processus de préparation d’un accord en vue du prochain sommet.
La déclaration précise toutefois que les États membres ne sont liés par aucun nouvel engagement en ce qui concerne la relocalisation et la réinstallation. Si la formule d’échange proposée est finalement acceptée, cela impliquerait la réinstallation de Syriens réfugiés en Turquie vers des pays européens.
La Turquie ne demande pas d’argent, juste un partage équitable du fardeau, a assuré Ahmet Davutoğlu lors d’une conférence de presse. Il souligne que pas un centime des 3 milliards ne serait dépensé pour les citoyens turcs et que tout irait aux réfugiés.
Test électoral pour Angela Merkel
Trois des 16 États allemands se rendront aux urnes pour des élections régionales le 13 mars, ce qui explique les pressions auxquelles est soumise Angela Merkel.
La chancelière n’a pas encore tout à fait récupéré des élections régionales de l’État de Hesse, dimanche dernier, une réussite pour le parti de droite Alternative für Deutschland, critique virulent de sa politique d’immigration.
Ces élections régionales sont considérées comme un premier test électoral des politiques d’immigration s par Angela Merkel. Le vote devrait en effet illustrer la popularité exacte de son parti, le CDU, et la portée du sentiment anti-immigration dans la société allemande.
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