Front national en France, Ligue du Nord en Italie, ou FPÖ en Autriche, les partis d’extrême droite en Europe bénéficient largement du soutien de Vladimir Poutine. Et vice et versa.
Les partis du groupe Europe des nations et des libertés du Parlement européen ont une fâcheuse tendance à aller chercher du soutien auprès du Kremlin. Quant à Vladimir Poutine, trouver un allié chez les dirigeants des partis traditionnels en Europe relève d’un véritable casse-tête. À défaut, il se tourne donc vers les partis qui l’aideront à déstabiliser l’UE.
« Les partis d’extrême droite n’ont pas été créés par la Russie, mais ils entretiennent avec elle de fortes affinités idéologiques », assure Fredrik Wesslau, de l’European Council on Foreign Relations (ECFR), lors d’une conférence sur le sujet à Paris, le 14 novembre.
En effet la montée du populisme en Europe depuis quelques années n’est pas le résultat d’une manœuvre politique de Vladimir Poutine, mais ce dernier sait comment en tirer profit.
« Cette coopération est utile au Kremlin pour légitimer ses politiques à l’intérieur du pays, pour montrer que la Russie n’est pas isolée, pour dire ‘regardez, beaucoup d’Européens adhèrent à nos idées’ », explique quant à lui Anton Shekhovtsov, chercheur à l’Institut des sciences humaines à Vienne et auteur de Russia and the Western Far Right : Tango Noir.
L’exemple du FN
Ainsi, en 2014, Médiapart révélait que le Front national avait obtenu un prêt de 9 millions d’euros par une banque russe, la First Czech-Russian Bank (FCRB). En soi, rien d’illégal. Marine Le Pen s’était d’ailleurs justifiée en disant que les banques françaises n’avaient pas voulu lui accorder de prêts ; et qu’il avait donc bien fallu aller chercher l’argent ailleurs.
Le scandale a tout de même débouché sur une résolution européenne, adoptée le 10 juin 2015 pour demander la réglementation de l’aide financière, politique ou technique fournie par la Russie à des partis politiques européens.
Une décision qui n’a pas empêché Marine Le Pen de s’afficher aux côtés de Vladimir Poutine en mars 2017, un mois jour pour jour avant le premier tour de l’élection présidentielle française. La relation entre le Front national et la Russie n’est donc pas seulement financière. À l’époque, le président russe comptait d’ailleurs sur la promesse de Marine Le Pen de reconnaître l’annexion de la Crimée si elle accède à l’Élysée.
Au moment du référendum en Crimée en 2014, une ONG belge pro-russe, l’Observatoire eurasien pour la démocratie et les élections (OEDE), a pour sa part invité plusieurs partis d’extrême droite européens en qualité d’observateurs. Officiellement, le FN et FPÖ autrichien ont décliné l’invitation, mais Aymeric Chauprade, alors conseiller de Marine Le Pen pour les questions internationales, faisait bien partie des « experts » internationaux présents lors du référendum.
Quelques mois plus tard, un eurodéputé frontiste, Jean-Luc Schaffhauser, se rend cette fois dans le Donbass pour jouer le même rôle lors des « élections » organisées par les séparatistes pro-russes de cette région d’Ukraine, rapportait alors Le Monde.
Quête mutuelle de légitimité
FN, Ligue du Nord et compagnie sont surtout utiles à Vladimir Poutine pour promouvoir et légitimer la politique russe à l’étranger. A contrario, ces partis pro-russes ont besoin de la Russie, car le pays représente une puissance mondiale qui partage leurs idées.
Identité chrétienne, anti américanisme, anti démocratie libérale, anti mariage pour tous, nationalisme et anti multiculturalisme sont quelques-unes des idéologies communes aux partis populistes et à Vladimir Poutine, qui partagent surtout une ambition: désunir l’Europe.
Soutien médiatique
Et rien de cela ne pourrait arriver sans le soutien précieux des médias détenus par l’État russe, comme Sputnik ou Russia Today (RT). Des instruments de « soft power » dont la rhétorique principale est de dire « l’Ouest est mauvais et ne comprend pas à quel point la Russie est incroyable », commente Anton Shekhovtsov.
Récemment, lors des élections allemandes, Sputnik et RT ont mobilisé la population russophone autour du parti populiste AfD, qui a terminé troisième. L’entrée de ses représentants au parlement a créé une onde de choc dans le pays : c’est la première fois depuis la guerre qu’une formation d’extrême droite est représentée au Bundestag.
D’autres exemples de points de vue biaisés existent, comme lors des émeutes dans la banlieue de Stockholm en 2013, quand RT ne fait entendre que des réactions de partis d’extrême droite, ou dans ce reportage sur les quartiers nord de Paris, présentés par un journaliste de la télé russe comme des « ghettos criminels » suivi d’une interview de Marine Le Pen où elle donne son point de vue sur l’immigration en France. Le tout avec des sous-titres français approximatifs.
« La propagande russe est une propagande sur le long terme, Moscou utilise une rhétorique qui aura des effets pérennes sur la politique européenne », s’inquiète le chercheur, qui rappelle que pour endiguer cette tendance, il faut guérir les plaies des sociétés occidentales et consolider la démocratie libérale, car « les partis d’extrême droite se nourrissent des faiblesses de nos sociétés ».