La Media Freedom Rapid Response (MFRR), un mécanisme européen qui suit, surveille et répond aux violations de la liberté de la presse et des médias en Europe, a exhorté le gouvernement grec, mardi 12 octobre, de retirer les amendements proposés qui introduiraient des amendes et des peines de prison pour les journalistes reconnus coupables de publication de « fausses nouvelles ».
« Nous pensons que la définition vague et les sanctions punitives du projet de loi porteraient atteinte à la liberté de la presse et auraient un effet dissuasif à un moment où le journalisme indépendant est déjà sous pression en Grèce », a déclaré la MFPR dans un communiqué.
Le ministère de la Justice a proposé des amendements au nouveau code civil (article 191) dont les associations de journalistes craignent qu’ils ne limitent la liberté de la presse, notamment des sanctions pour les personnes reconnues coupables de diffuser « de fausses informations susceptibles de susciter l’inquiétude ou la crainte du public ou de saper la confiance du public dans l’économie nationale, la capacité de défense du pays ou la santé publique ».
« Si l’opération a été réalisée de manière répétée par voie de presse ou en ligne, l’auteur est puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins six mois et d’une amende », suggèrent les amendements.
L’éditeur ou le propriétaire d’un média responsable serait également passible de peines de prison et de sanctions financières.
#Greece: This draft law’s vague definition & punitive sanctions would undermine #pressfreedom & have chilling effect at a time when independent journalism is already under pressure
IPI & @MediaFreedomEU urge Greek MoJ to withdraw the proposed amendmentshttps://t.co/m9VgFUBoa0
— IPI – The Global Network for Independent Media (@globalfreemedia) October 12, 2021
La MFRR, organisme de surveillance de la liberté des journalistes, reconnait la grave menace que représente la désinformation, qui mine la démocratie et met en péril la lutte contre la Covid-19. Elle considère cependant qu’une législation trop lourde de la part des gouvernements, qui accorderait aux procureurs le pouvoir de décider du vrai et du faux, ferait plus de mal que de bien.
« En Grèce, les médias sont déjà menacés par des procès abusifs et des peines de prison pour diffamation criminelle. Le renforcement de l’article 191 ne ferait que créer une voie supplémentaire pour les journalistes qui risquent des poursuites et des peines de prison. »
« Même lorsqu’il n’est pas appliqué directement, le potentiel d’autocensure d’une telle législation est énorme », affirme le MFRR.
Selon le classement mondial de la liberté de la presse 2021, la Grèce se classe au 70e rang sur 180 pays, suivie de la Hongrie (92e).
Une tentative similaire en Albanie
En 2018, le gouvernement albanais a annoncé le « paquet anti-diffamation ». Ces dispositions placeraient tous les médias en ligne sous la supervision directe de l’Autorité des médias audiovisuels, nommée par l’État. L’organisme étatique aurait eu le pouvoir d’infliger de lourdes amendes, de forcer des rétractations, voire de suspendre le site pour avoir publié ce qu’il définit comme des fake news, une incitation à la panique ou de la diffamation.
Toutes les sanctions auraient été exécutées par voie judiciaire, et les médias incriminés n’auraient pu faire appel qu’une fois la sanction payée ou exécutée.
Les réactions de l’UE et des organisations internationales de médias ont été vives. Qualifiée de « draconienne » et susceptible d’avoir un « effet paralysant » sur la liberté des médias, une révision de la loi avait été demandée au gouvernement.
La loi a été adoptée par le Parlement en décembre 2020, mais le Président a ensuite opposé son veto. Elle est actuellement à nouveau à l’ordre du jour du Parlement et nécessite un vote à la majorité simple pour devenir loi.
Aucune avancée dans l’affaire du journaliste assassiné
Le 8 octobre, Reporters sans frontières (RSF) a appelé les autorités grecques à tenir leur promesse de donner la priorité et de tout mettre en œuvre pour résoudre l’affaire du reporter Giorgos Karaivaz, au nom de la sécurité des journalistes grecs.
M. Karaivaz, qui effectuait des reportages sur la mafia et le crime organisé à Athènes, a été abattu devant son domicile il y a six mois, et aucun suspect n’a encore été identifié.
Le gouvernement a insisté sur le fait que l’enquête sur le meurtre de Karaivaz le 9 avril dernier était une « priorité absolue » pour la police grecque. Mais la police n’a toujours pas identifié d’auteur ou d’instigateur présumé, « bien que le meurtre ait été commis en plein jour dans une capitale européenne », a déclaré RSF dans un communiqué.
« Cette affaire a confirmé les insuffisances des mesures prises par les autorités grecques pour protéger le personnel des médias. Si les journalistes sont menacés par le crime organisé, leurs relations avec les autorités sont marquées par une profonde méfiance », ajoute RSF.
De même, alors qu’un projet d’assassinat à l’encontre du journaliste d’investigation Kostas Vaxevanis a été révélé fin avril, RSF a une nouvelle fois exhorté les autorités grecques à adopter des mesures visant à rétablir la confiance entre les médias et la police.
« Le gouvernement semblait prendre une toute autre direction en proposant une législation qui élargirait la définition des fake news. »