L’Espagne de Sanchez s’interroge sur sa politique migratoire

Des migrants arrivant à Cadix, le 25 août 2018. [EPA-EFE/A.Carrasco Ragel]

Elle avait accueilli l’Aquarius à bras ouverts en juin et expulse désormais des migrants vers le Maroc: l’Espagne de Pedro Sanchez envoie des signaux contradictoires en matière d’immigration qui la plongent dans le brûlant débat européen.

Arrivé au pouvoir le 1er juin, le chef du gouvernement socialiste avait immédiatement fait un coup d’éclat en Europe en ouvrant le port de Valence à l’Aquarius, bateau humanitaire avec 630 migrants à son bord, que l’Italie du ministre de l’Intérieur Matteo Salvini (Ligue, extrême droite) et Malte refusaient d’accueillir.

Dans le même temps, son gouvernement annonçait son intention de faciliter l’accès des sans-papiers à la santé publique, et de retirer les barbelés des clôtures des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, sur lesquels se blessent régulièrement les migrants tentant d’y pénétrer depuis le Maroc.

Une politique d’ouverture vertement critiquée par l’opposition de droite qui accusait les socialistes de créer un «appel d’air» pour l’immigration illégale et de favoriser «les mafias» de passeurs.

 

D’autant que l’Espagne est devenue cet été la première porte d’entrée de l’immigration clandestine en Europe, avec plus de 32.000 arrivées depuis le début de l’année selon l’OIM, soit plus du double que l’an dernier à la même époque.

Après l’Aquarius, un autre bateau, de l’ONG Open Arms cette fois, a accosté trois fois dans des ports espagnols avant que le gouvernement ne rechigne mi-août à accueillir de nouveau l’Aquarius, préférant négocier avec d’autres États européens la répartition de ses migrants finalement débarqués à Malte.

Un premier signe de revirement suivi fin août par le renvoi vers le Maroc d’une centaine de migrants au lendemain de leur entrée à Ceuta lors d’un passage en force de la clôture particulièrement violent, le deuxième en moins d’un mois.

Deux migrants, soupçonnés d’être les responsables d’une autre entrée violente fin juillet, ont été placés mercredi en détention provisoire.

«Nous ne permettrons pas la migration violente qui attaque notre pays et nos forces de l’ordre», a justifié mercredi le ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska.

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 Salvini jubile

«Le gouvernement n’a raison que quand il recule», a raillé le numéro un du Parti populaire (droite) Pablo Casado après cette expulsion.

Du côté de la gauche et des ONG, les critiques pleuvent désormais. Helena Maleno, figure de proue de la défense des migrants, a dénoncé lundi cette mesure, signe selon elle d’une «politique raciste et colonialiste, un tournant terrible» de Pedro Sanchez.

«Nous n’avons pas varié d’un centimètre», a soutenu la vice-présidente du gouvernement Carmen Calvo, en assurant que la politique d’immigration de l’Espagne suivait deux principes: «le respect des droits de l’homme et la sécurité des frontières».

«Je suppose qu’ils ont voulu faire un exemple et montrer qu’ils prennent des décisions, pour qu’on ne dise pas que c’est le paradis des entrées libres», analyse Gemma Pinyol, chercheuse spécialiste des migrations interrogée par l’AFP.

L’extrême droite européenne s’est emparée de cette expulsion collective.

«L’Espagne montre comment s’y prendre avec les immigrés illégaux !», a fanfaronné sur les réseaux sociaux Alice Weidel, dirigeante du parti xénophobe allemand AfD.

Et Matteo Salvini a lui savouré sa revanche sur Twitter : «Si c’est l’Espagne qui le fait, ça va, mais si c’est moi qui le propose, je suis raciste, fasciste et inhumain».

De quoi embarrasser Pedro Sanchez. «Il avait donné des signes d’une politique plus cohérente, plus ambitieuse, et cela le contredit à tel point que cela lui fait perdre sa crédibilité», a affirmé à l’AFP la politologue Cristina Monge.

Mal préparés

«Je crois qu’on s’est précipités en pensant que les choses changeraient radicalement» par rapport au précédent gouvernement de Mariano Rajoy qui n’a pas tenu ses engagements en matière d’accueil des migrants, pense de son côté Gemma Pinyol. »

L’État espagnol a d’ailleurs été condamné en juillet par la Cour suprême pour n’avoir accueilli que 13% des demandeurs d’asile que Rajoy avait promis de recevoir en 2015, en pleine crise migratoire.

«Le changement, c’est d’avoir demandé plus de responsabilité à l’Europe» mais «si l’Espagne le dit et que personne ne la suit, ça ne servira à rien», poursuit la chercheuse.

Selon elle, l’Espagne s’est surtout mal préparée pour recevoir les migrants. «Le système d’accueil aurait dû être actualisé. Les centres de Ceuta et Melilla sont toujours saturés», dit-elle.

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