« Le moment le plus fragile pour les droits humains » : le nouveau commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Michael O’Flaherty, s’inquiète dans un entretien avec l’AFP de la situation sur le continent, à quelques jours d’un déplacement en Ukraine.
Cet Irlandais de 65 ans est depuis le 1er avril la cinquième personne à occuper ce poste créé en 1999 pour promouvoir le respect des droits humains au sein du Conseil, l’institution qui veille depuis Strasbourg, en France, sur l’état de droit dans les 46 pays qui la composent. M. O’Flaherty succède à la Bosnienne Dunja Mijatovic.
Dans une salle du Conseil où il reçoit l’AFP, le natif de Galway égrène ses motifs d’inquiétude : la situation des « 10 à 12 millions » de Roms et de Gens du voyage, ces « personnes oubliées » dont il entend faire l’une des priorités de son mandat ; la crise climatique ; les enjeux de la numérisation…
Et l’Ukraine, évidemment, déchirée depuis plus de deux ans par la guerre lancée par Moscou.
Cet ancien avocat et professeur, spécialiste des droits humains, qui dirigeait auparavant l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, a aussi été membre du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies. Michael O’Flaherty a également été ordonné prêtre dans les années 1980 mais n’a exercé que quelques années.
D’ici fin avril, il va se rendre en Ukraine, son premier déplacement en tant que commissaire : « l’agression russe », c’est « la plus grande menace pour les droits de l’Homme en Europe », martèle-t-il.
« Buffet »
Car si Moscou, exclue du Conseil de l’Europe juste après le déclenchement de la guerre, venait à gagner, cela ferait « courir un risque aux pays voisins », mais aussi « à chacun d’entre nous » car ça serait une victoire « fondée sur un rejet total de toutes les valeurs et de tous les droits humains que nous défendons. Je ne vois rien de plus grave », poursuit-il.
« Je vais exprimer ma solidarité » au peuple ukrainien, « approfondir ma compréhension » de la situation et « déterminer comment je peux apporter ma contribution », ajoute-t-il, évoquant également le sort des milliers d’« enfants ukrainiens enlevés » par la Russie.
« Il ne faut pas les oublier », insiste le commissaire, qui craint toutefois que cette question, sous les feux des projecteurs « il y a peut-être 18 mois », soit « reléguée au second plan ».
Michael O’Flaherty note chez certains « dirigeants ou hauts responsables gouvernementaux » européens une « tendance croissante » à « s’éloigner des droits de l’Homme », considérés comme un « buffet » où l’on choisirait les mets en fonction de ses envies.
« Cela m’inquiète beaucoup », confie-t-il, estimant qu’avec de telles pratiques, « nous courons le risque que la pyramide entière s’effondre ».
« Nous vivons le moment le plus fragile pour les droits de l’Homme que j’aie connu dans ma vie ou ma carrière », avec selon lui « un niveau très élevé de violations des droits de l’Homme ».
Bras juridique du Conseil, chargée de contrôler la mise en oeuvre de la Convention européenne des droits de l’Homme dans les 46 pays membres, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) n’est pas épargnée par une certaine défiance : elle a récemment fait l’objet de critiques de la part du Royaume-Uni ou de la France.
« Exemple »
En juin 2022, au grand dam de Londres, la Cour avait demandé de ne pas expulser un demandeur d’asile irakien vers le Rwanda, dans le cadre d’un accord controversé avec Kigali.
Et en novembre dernier, c’est Paris qui avait expulsé un Ouzbek radicalisé, malgré une mesure provisoire prononcée par la CEDH empêchant son renvoi. « J’ai décidé de le renvoyer dans son pays, avait justifié le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qu’importe les décisions des uns et des autres ».
« Les pays qui ont joué un rôle fondamental dans l’instauration de l’État de droit sur notre continent doivent être ses plus fervents défenseurs », estime le commissaire O’Flaherty. Selon lui, « quand vous dites que vous allez ignorer une décision de la Cour […] vous ne commettez pas seulement un acte isolé, vous sapez les piliers de notre société ».
Et Michael O’Flaherty de mettre en garde : « Nous devons nous rappeler à quel point nous donnons un exemple qui pourrait être reproduit de très mauvaise manière ailleurs ».