Guerre en Ukraine : l’UE reporte ses propositions de réduction des pesticides et de préservation de la biodiversité

Il semblerait que la Commission européenne ait décidé de retarder la présentation de la proposition. En effet, un document ayant fait l’objet d’une fuite exposant le calendrier de l’exécutif européen ne fixe aucune date précise pour la publication du projet de directive sur l’utilisation durable des pesticides. [Shutterstock]

La Commission européenne a décidé de repousser la présentation de son « paquet sur la protection de la nature », qui comprend une proposition visant à réduire de moitié l’utilisation des pesticides chimiques et les risques correspondant d’ici à 2030, ainsi que des objectifs de restauration de la nature visant à enrayer la perte de biodiversité en Europe.

Ces textes législatifs, qui devaient initialement être dévoilés ce mercredi (23 mars), sont deux éléments essentiels de la stratégie « de la ferme à la table » (Farm to Fork) et de la stratégie en faveur de la biodiversité, le volet agroalimentaire du Pacte vert pour l’Europe (Green Deal).

La Commission devait, selon des informations ayant fait l’objet de fuites, fixer un objectif contraignant de réduction de 50 % des pesticides à l’échelle de l’Union européenne d’ici à 2030, laissant aux États membres la liberté de fixer leurs propres objectifs nationaux, ainsi que de prendre les engagements légaux nécessaires pour qu’au moins 10 % de la surface agricole de l’UE consiste en des particularités topographiques hautement diversifiées.

Alors que des rumeurs concernant un report avaient déjà commencé à circuler à Bruxelles la semaine dernière, l’exécutif européen avait continué à adopter une position ambiguë en refusant de commenter la question jusqu’à lundi soir.

La majorité des coordinateurs de groupe de la commission de l’environnement du Parlement européen (ENVI) ont écrit une lettre à Frans Timmermans, vice-président exécutif de la Commission européenne en charge du Pacte vert pour l’Europe, dans laquelle ils lui demandent de ne pas reporter les propositions législatives du Pacte vert.

Une autre lettre portant cette même demande de ne pas retarder la révision du cadre de l’UE sur les pesticides a été envoyée à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ainsi qu’à d’autres membres du Collège lundi (21 mars). L’envoi de cette lettre avait fait suite à la fuite d’un document qui avait commencé à circuler et qui exposait l’agenda actualisé de la Commission pour les semaines à venir.

Dans ce document, la date de présentation de la proposition du « paquet sur la restauration de la nature » n’a pas encore été confirmée, bien qu’elle soit prévue « avant l’été » de cette année.

S’exprimant devant les ministres de l’Agriculture du bloc lundi après-midi (21 mars) — deux jours seulement avant la date de publication initiale — la commissaire chargée de la Santé et de la Sécurité alimentaire, Stella Kyriakides, a déclaré que la date de présentation du projet de directive était encore à déterminer.

« On pourrait dire que l’incertitude géopolitique générale qui règne actuellement ne permet pas à cette proposition sur l’utilisation durable des pesticides de disposer de l’espace politique dont elle a besoin pour poursuivre la discussion et la réflexion », a-t-elle déclaré de manière énigmatique au cours de la réunion.

Questionnée directement par le ministre français de l’Agriculture, Julien Denormandie, pour savoir si cela signifiait que la publication était reportée, Mme Kyriakides a toutefois refusé de confirmer quoi que ce soit, tout en soulignant que « l’invasion de l’Ukraine par la Russie ne remet pas en cause la nécessité ou l’urgence de la directive ».

Ce n’est que dans la soirée, lors d’une conférence de presse organisée après réunion de la Formation « Agriculture et pêche » du Conseil (AGRIPECHE), que le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski a confirmé le report.

Interrogé par EURACTIV pour clarifier la situation, il a expliqué qu’« il n’y a pas de discussion sur les pesticides au sein du Collège de cette semaine », le Collègue étant la réunion de tous les commissaires européens prévue chaque mercredi pour décider de l’acte juridique ou de la communication à mettre en avant.

Cela signifie, en pratique, que la Commission ne présentera aucune proposition législative dans le cadre du paquet sur la restauration de la nature mercredi, comme cela avait été prévu initialement.

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Les réactions des États membres 

À la fin de la semaine dernière, des désaccords internes au sein de la Commission européenne étaient apparus quant à la possibilité de suspendre les propositions législatives clés destinées à mettre en œuvre les objectifs écologiques de l’UE pour le secteur alimentaire, à la lumière de la crise ukrainienne.

Alors que Frans Timmermans a utilisé des mots forts pour mettre en garde contre un renoncement à la durabilité, le commissaire à l’Agriculture Janusz Wojciechowski a clairement indiqué lors d’une réunion avec les eurodéputés que, de son point de vue, la mise en œuvre de la politique alimentaire phare de l’UE, la stratégie « de la ferme à la table », devait être suspendue.

Lors de la réunion ministérielle du lundi 21 mars, un certain nombre d’États membres se sont prononcés en faveur de la suspension de la directive.

« Nous soutenons tous de grandes ambitions environnementales, mais, en même temps, nous devons tenir compte des défis actuels qui sont posés par les prix élevés de l’énergie, du gaz et des intrants agricoles, et de la nécessité d’assurer la sécurité alimentaire compte tenu de la guerre en Ukraine », a indiqué le ministre roumain Adrian-Ionut Chesnoiu.

Le Polonais Henryk Kowalczyk a déclaré que les objectifs ambitieux de réduction des pesticides de la directive feraient peser une charge supplémentaire sur la production nationale à un moment où il est particulièrement important « de détacher le secteur agricole européen du besoin d’importations ».

Cet argument a été repris par le Slovène Joze Podgorsek, qui a estimé que la proposition « irait à l’encontre de la sécurité alimentaire » en renforçant la dépendance de l’Europe vis-à-vis des importations.

L’Allemagne s’est quant à elle prononcée en faveur des objectifs de réduction des pesticides, même dans le contexte de la guerre en Ukraine. « Nous nous en tenons à notre objectif central d’agriculture durable », a ainsi souligné la secrétaire d’État allemande Silvia Bender.

Les premières réactions du secteur et des associations

La perspective de suspension des objectifs de réduction des pesticides a également suscité de vives réactions parmi les parties prenantes concernées.

Clara Bourgin, militante chez Friends of the Earth Europe pour l’alimentation et l’agriculture, a qualifié la décision de reporter la publication de la directive de « grave erreur », ajoutant que « nous devons de toute urgence accélérer la transition vers des systèmes alimentaires plus durables ».

Pendant ce temps, CropLife Europe, qui représente l’industrie des pesticides et des biopesticides, a déclaré ne pas avoir demandé de report, même si le raisonnement de la Commission était compréhensible. « Nous sommes impatients de voir la proposition publiée », ont-ils indiqué.

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