Un réchauffement de plus de 1,5°C aurait des conséquences tragiques. Seule une transformation immédiate à l’échelle planétaire permettra d’éviter le pire, selon les experts du GIEC. Un article de notre partenaire, Climate Home News.
Dans un rapport très attendu, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), un organe de l’ONU, conclut qu’il serait possible d’éviter le pire pour la vie sur Terre en limitant à 1,5°C, et non 2°C, le réchauffement climatique.
Or, pour atteindre cet objectif, les scientifiques sont sans équivoque : les émissions de carbones doivent être entièrement éliminées d’ici une trentaine d’années. Une transformation immédiate et profonde qui semble bien loin des priorités des gouvernements.
« Les quelques années à venir sont probablement les plus importantes de notre Histoire », estime Debra Robert, coprésidente du groupe de recherche sur les conséquences du changement climatique.
Le rapport du GIEC compile les connaissances scientifiques actuelles et les résume en 33 pages à l’attention des gouvernements, dans le but de les orienter vers des actions plus concrètes. La réaction – ou non – des décideurs politiques façonnera l’avenir des communautés vulnérables partout dans le monde.
« Il me semble évident que les historiens du futur considéreront ces résultats comme l’un des moments déterminants de l’évolution de la vie humaine », assure Amjad Abdulla, négociateur en chef des petits États insulaires pour le climat. « J’appelle toutes les nations civilisées à prendre leurs responsabilités et à augmenter substantiellement leurs efforts de réduction des émissions. »
Le négociateur est originaire des Maldives. Dans les États insulaires, on estime à un demi-milliard le nombre d’habitants qui tirent leur subsistance des écosystèmes coralliens, grâce à la pêche et au tourisme. Si le climat de la Terre augmente de 1,5°C, entre 70 et 90 % des récifs coralliens disparaîtront. Si cette augmentation est de 2°C, ces écosystèmes seront entièrement détruits, selon le rapport du GIEC.
Les petits États insulaires ne pesant pas grand-chose sur l’échiquier politique international, ils se sont rassemblés dans une coalition afin de défendre leurs intérêts. Ils ont ainsi réussi à forcer l’examen d’un réchauffement de 1,5°C, en plus de l’objectif de 2°C lors des négociations de l’accord de Paris. Le rapport du GIEC répond au double objectif de l’accord. Jusqu’ici, la science n’avait pas clairement évalué la différence entre les deux objectifs ni évalué précisément quelles mesures seraient nécessaires pour les atteindre.
Lors de la finalisation du rapport, la représentante spéciale de l’ONU sur l’énergie durable, Rachel Kyte, a exprimé sur Twitter son respect pour les gouvernements des petits États insulaires. « Ils manifestent l’urgence et la clarté morale nécessaires », a-t-elle jugé, ajoutant qu’ils savaient bien « que la différence entre 1,5°C et 2°C se compterait en vies humaines ».
À 2°C, on assisterait à des tensions très importantes autour de l’eau et des terres agricoles, ainsi qu’a une généralisation des inondations et chaleurs extrêmes. Des centaines de millions de personnes risqueront une plus grande pauvreté, selon les auteurs du rapport.
Des centaines de milliers d’espèces de plantes et d’animaux verraient leur habitat réduit de plus de 50 % et risqueraient donc l’extinction. Les tempêtes tropicales déverseront des pluies diluviennes des Philippines aux Caraïbes.
« Tout le monde sait ce qu’il s’est passé en Dominique l’an dernier », rappelle Ruenna Hayes, qui représente Saint-Christophe-et-Niévès. « Je ne peux décrire le niveau d’inquiétude que cela m’a causé à moi personnellement, mais aussi à tous ceux que je connais. »
Environ 65 personnes ont trouvé la mort quand l’ouragan Maria a touché la petite nation caraïbe en septembre 2017, détruisant tout sur son passage.
Dans la partie sur les actions à mettre en place, le rapport décrit un monde transformé, qui devra être construit avant que les bébés qui naissent aujourd’hui n’atteignent l’âge mûr. Dans ce monde, les renouvelables produisent entre 70 et 85 % de l’électricité. Le nucléaire a conquis davantage de part du marché. Le gaz, associé à des techniques de capture du carbone, ne produit plus que 8 % de l’électricité. Les centrales à charbon ont disparu. Les voitures électriques sont la norme et entre 35 et 65 % des transports ne produisent que peu, voire pas, d’émissions.
Mille milliards par an
Pour financer cette transition, il faudra investir près de mille milliards de dollars (871 milliards d’euros) par an, tous les ans, jusqu’à 2050.
Notre relation à la terre doit changer. Pour stabiliser le climat, les gouvernements auront déployé de grands programmes d’absorption du CO2 de l’air. Ces programmes incluront la protection et la multiplication des forêts, entre autres mesures. Les exploitations agricoles remplaceront les champs pétroliers, la production alimentaire sera resserrée et des choix profondément difficiles devront être faits entre alimenter la planète en énergie ou en nourriture.
Le rapport est clair, un monde transformé pour atteindre l’objectif de 1,5°C est bien préférable à un réchauffement de 2°C, mais ne se prononce pas sur la probabilité que cet objectif soit atteint. Cette décision-là ne sera pas prise par les scientifiques, mais par le monde politique et des affaires.
Jim Skea, vice-président du GIEC, ne se fait pas d’illusion : « limiter le réchauffement à 1,5°C est possible selon les lois de la physique et de la chimie, mais cela demandera des changements sans précédent ».
« Si ce rapport ne convainc pas chaque nations que leur sécurité et prospérité ne survivront que si des changements scientifiques, technologiques, politiques, sociaux et économiques d’ampleur sont mis en place pour atteindre cet objectif monumental de limiter le changement climatique, je ne sais pas ce qui les convaincra », a déclaré Peter Frumhoff, directeur en charge de la science et des politiques de l’Union des scientifiques inquiets et ancien collaborateur du GIEC.
Les scientifiques ont une idée claire de ce qui doit être fait. La seule manière de limiter réellement le réchauffement à 1,5°C signifie réduire de 45 % les émissions de CO2 des humains entre 2010 et 2030 et d’atteindre des émissions nettes totales de 0 d’ici 2050. Or, à ce jour, les émissions continuent de croître.
À ce jour, l’UE, l’une des économies les plus progressistes sur le plan climatique, ne vise pourtant qu’une réduction d’environ 30 % d’ici 2030 par rapport à 2010 et de 77 à 94 % d’ici 2050. L’UE réévalue actuellement ces deux objectifs et affirme que ce rapport éclairera ses décisions.
Si l’UE se fixe un objectif de neutralité carbone pour 2050, elle rejoindra un groupe croissant de gouvernements qui semblent s’aligner sur la fin du carbone au milieu du siècle – notamment la Californie (2045), la Suède (2045), le Royaume-Uni (objectif 2050 à l’étude) et la Nouvelle-Zélande (2050).
L’un des principes fondamentaux de la politique climatique est que les attentes à l’égard des nations sont définies par leur développement. Si les économies les plus riches et les plus progressistes de la planète fixent la barre à 2045-2050, le délai minimal pour sauver la planète, où finiront la Chine, l’Inde et l’Amérique latine ? Si l’UE vise 2050, le rapport conclut que l’Afrique devra avoir le même objectif, quel que soit le développement.
Il ne s’agit pas ici de technologie. Nous disposons de tous les outils dont nous avons besoin pour transformer le monde, c’est leur application qui fait défaut. Le déploiement des énergies renouvelables devrait être six fois plus rapide qu’aujourd’hui, explique Adnan Z. Amin, directeur général de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Il n’y a pas de raison de ne pas le faire : c’est « techniquement faisable et économiquement attrayant ».
Vents contraires
Au moment où le monde a besoin d’aller plus vite, les vents contraires politiques s’intensifient dans certains pays. Le Brésil, qui abrite la plus grande forêt tropicale du monde, semble de plus en plus susceptible d’élire Jair Bolsonaro, un climatosceptique, à sa présidence.
Le deuxième plus grand émetteur mondial, les États-Unis, a immédiatement pris ses distances par rapport au rapport, publiant une déclaration déclarant que son feu vert « ne doit pas être comprise comme une approbation par les États-Unis de tous les résultats et messages clés » du rapport. Washington a en effet précisé avoir toujours l’intention de se retirer de l’accord de Paris.
Le rapport a été adopté par tous les gouvernements lors d’une réunion à huis clos entre fonctionnaires et scientifiques à Incheon, en Corée du Sud, qui s’est terminée le 6 octobre. Les États-Unis ont demandé et obtenu diverses modifications du texte. Selon certaines sources, ces interventions ont surtout contribué à affiner le rapport, mais elles sont également conformes aux principaux intérêts américains. Washington a ainsi obtenu une mention de l’énergie nucléaire.
Selon des sources de Climate Home News, l’Arabie saoudite s’est battue durement pour amender un passage selon lequel les investissements dans l’extraction des combustibles fossiles devraient diminuer de 60 % entre 2015 et 2050. Avec succès, puisque cette clause n’apparaît pas dans le rapport final.
En outre, selon trois sources, le pays aurait déposé une déclaration de non-responsabilité par rapport au rapport, qui ne sera rendue publique que dans plusieurs mois. Un représentant a indiqué que cette déclaration rejetait « une très longue liste de paragraphes dans le rapport sous-jacent ».