Alors que la campagne des européennes commence, le chiffre est dans toutes les bouches. Du Front National au Front de gauche, en passant par l’UMP et le PS, tous prétendent que 80% des lois votées en France proviendraient directement de Bruxelles. Qu’en est-il réellement?
« 80% des lois votées en France sont d’origine communautaire », déclarait le 18 avril le candidat du Front de gauche dans le Nord-Ouest, Jacky Henin. La semaine d’avant c’était l’UMP, avec le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Bruno Le Maire (EURACTIV.fr 17/4/2009). Quelques jours avant, il s’agissait de la candidate PS dans l’Ouest Bernadette Vergnault.
Après la signature du Traité de Maastricht en 1992, le président de la Commission européenne de l’époque, Jacques Delors, avait déclaré : « en 1998, plus de 80% des textes nationaux seront communautaires ». Un message repris par l’essentiel des partis politiques aujourd’hui.
Libertas, le rassemblement politique du Mouvement pour le France (MPF) de Philippe De Villiers et de Chasse, pêche, nature et tradition (CNPT) de Frédéric Nihous, en fait même l’un des thèmes majeur de sa campagne. « Les lois votées à l’Assemblée nationale et au Sénat proviennent à 80% de directives émises par des bureaucrates bruxellois, déconnectés des spécificités de chaque pays, et qui ne sont pas élus démocratiquement », accuse-t-on au sein du rassemblement.
« C’est un fait, ce chiffre ne fait pas débat ! », assène le service de presse de Libertas. Au sénat, l’administrateur chargé de la documentation pour le service des affaires européennes, David Mahé estime pourtant « qu’il n’y a jamais eu d’étude sérieuse » sur le sujet. Interrogé à nouveau, Libertas se défend : ce chiffre provient « de la Fondation Robert Schuman ».
Côté Fondation Robert Schuman on rétorque : « nous n’avons jamais fait de rapport sur le sujet et aucune étude aujourd’hui ne fait état d’un inventaire précis sur ce point ». « Personne ne sait d’où vient ce chiffre », indique-t-on. Une statistique qui n’est d’ailleurs pas très précise. « Certains parlent de 60%, d’autres de 70, 80 ou 90% », rappelle la Fondation.
Ce chiffre, une réalité ?
En 2002, le vice-président du Conseil d’État, Renaud Denoix de Saint-Marc était auditionné sur le sujet devant la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale. « En réponse à une question d’Edouard Balladur sur le pourcentage de la législation nationale d’origine communautaire, il avait alors précisé qu’environ la moitié de la législation nationale française était d’origine communautaire », précise M. Mahé. Aujourd’hui l’administrateur du Sénat estime « la proportion entre 50 et 60 % et non 80 % comme il est régulièrement dit ».
Le Conseil d’État a étudié la question à deux reprises, en 1992 et 2007. Le premier rapport correspond en fait à la date de mise en œuvre du « paquet Delors » en France, un ensemble de plus de 300 directives visant à instaurer le marché intérieur. «Ce contexte peut expliquer qu’à l’époque le chiffre de 80% ait été une réalité», indique un analyste politique.
Aujourd’hui, le conseiller d’État Jean-Luc Sauron estime que c’est probablement « un peu moins ». « Et cela varie beaucoup selon les secteurs », indique le directeur du Bureau d’information pour la France du Parlement européen, Alain Barrau. « Dans le domaine agricole, jusqu’à 100% » de nos lois ont une origine communautaire, et la politique des équipements « est aussi très influencée » par l’UE, estime M. Sauron. « En matière d’environnement il est très probable que 80% de la législation française soit d’origine européenne, mais pas en matière de santé ou d’éducation », estime-t-on à la Fondation Robert Schuman.
Il est donc « très difficile » de se prononcer sur un chiffre et de réaliser une étude, estime David Mahé. «Les directives communautaires sont parfois transposées sous la forme d’une loi, mais peuvent aussi l’être par décret», explique-t-il.
Mais notre droit national est-il seulement influencé par l’UE? « Quelle est la part du droit national qui est vraiment national? », lance Jean-Luc Sauron. La France signe aussi des conventions avec des États qui ne sont pas membres de l’UE, tels les États-Unis ou d’autres, et qui influencent le droit français, rappelle-t-il. Si, pour certains, « 80% est un signe de non-démocratie », c’est au contraire pour le Maître des requêtes, « la découverte que nous ne sommes plus seul ! ».