La Commission européenne, désireuse de rendre l’UE plus attractive pour les migrants qualifiés non européens, propose de promouvoir le statut de résident à long terme de l’UE pour les citoyens non européens. Certains s’interrogent toutefois sur l’impact de cette mesure, dans la mesure où de nombreuses questions liées à l’immigration relèvent de la compétence des États membres.
Face à une pénurie croissante de travailleurs qualifiés dans l’ensemble de l’Union, la Commission propose un paquet législatif révisant la législation européenne existante sur les permis de séjour de longue durée et le « permis unique » permettant de vivre et de travailler dans l’UE.
La commission des Affaires intérieures du Parlement européen, ainsi que certains experts en migration tels que Beate Gminder, directrice générale adjointe de la Politique migratoire à la Commission européenne, ont discuté de la proposition de la Commission mardi (25 octobre).
Vingt-trois millions de citoyens non européens résident actuellement dans l’UE. Or, sur les 10 millions titulaires d’un permis de séjour de longue durée ou permanent, « seuls trois millions détiennent un permis de séjour de longue durée de l’UE », a déclaré Mme Gminder aux eurodéputés.
« Il y a donc sept millions de personnes qui ne détiennent qu’un permis national », a-t-elle ajouté.
Si elle est adoptée dans sa forme actuelle, la proposition de la Commission, examinée par la commission du Parlement mardi, garantira que les titulaires de permis de séjour de l’UE ont les mêmes droits que ceux qui détiennent un permis national.
Un impact mis en doute
Selon la proposition, il serait également plus facile de se déplacer entre les États membres de l’UE pour les personnes titulaires d’un permis de séjour de longue durée.
En outre, l’obtention d’un tel permis sera également facilitée pour les ressortissants de pays tiers qui se déplacent entre les États membres de l’UE au cours de la période de cinq ans nécessaire pour obtenir le statut de résident permanent, ajoute la proposition.
Certains experts doutent toutefois de l’impact de ces nouvelles règles.
En effet, les ressortissants de pays tiers qui vivent dans l’Union européenne avec un permis de séjour de longue durée seraient moins susceptibles de s’installer dans un autre pays de l’UE que les citoyens européens, a déclaré Jonathan Chaloff, expert en migration de l’OCDE, invité au débat parlementaire.
En effet, ils ont « investi dans leur capital humain », par exemple en apprenant une nouvelle langue, ce qui ne serait pas rentable s’ils partaient dans un autre pays de l’UE.
Il estime que les règles relatives aux permis de séjour de longue durée doivent également coïncider avec les règles nationales en matière de citoyenneté, d’autant plus que « l’objectif de nombreux migrants est la naturalisation. »
L’eurodéputé Volt Damian Boeselager est toutefois plus optimiste, considérant que les citoyens non européens vivant dans l’UE n’ont pas encore bénéficié de la possibilité de résider dans différents États membres de l’UE. « Peut-être que nous devons leur permettre », a-t-il déclaré à M. Chaloff.
Renew veut aller plus loin
La Commission demande également que les demandes de permis de travail et de séjour « unique » soient simplifiées et que les délais de délivrance soient raccourcis.
Ce permis, actuellement subordonné à un emploi fixe, permettrait également aux travailleurs de changer d’emploi au cours de leur séjour afin de lutter contre l’exploitation par les employeurs.
Le groupe libéral Renew Europe estime toutefois que les propositions de la Commission ne vont pas assez loin.
Ils affirment qu’il devrait être possible de passer du statut de réfugié ou de demandeur d’asile à celui d’immigrant grâce au permis « unique ».
« Nous ne devrions pas seulement regarder quelles sont les personnes qui veulent venir dans l’Union, mais nous devons aussi nous occuper de ceux qui vivent déjà dans l’Union mais n’ont pas de permis de travail », a déclaré l’eurodéputé du groupe Renew, Jan-Christoph Oetjen. Ce dernier a également promis qu’il proposerait un amendement à la proposition de la Commission à cet effet.
Mais selon M. Gminder, ce débat « doit être mené dans les Etats membres » car il ne relève pas de la compétence de la Commission.
Le Bundestag (Assenblée nationale allemande) a en effet discuté la semaine dernière d’un projet de loi qui permettrait un tel changement de statut juridique, car celui-ci figure dans l’accord de la coalition.
L’UE en concurrence pour les travailleurs hautement qualifiés
M. Chaloff a également souligné que l’UE accusait un retard dans ses efforts pour attirer les travailleurs hautement qualifiés, en comparaison avec les États-Unis, par exemple.
Bien qu’il existe certains obstacles juridiques, la carte bleue européenne dont bénéficient les migrants hautement qualifiés s’accompagne de peu d’obstacles formels, voire moins que ceux auxquels sont confrontés les travailleurs étrangers qualifiés dans d’autres pays de l’OCDE, a-t-il ajouté.
Selon lui, le processus de recrutement dépend avant tout des employeurs.
Pour remédier à cette situation, la Commission propose « Talent Pool » (« réserve de talents » en anglais), une plateforme en ligne destinée à aider les employeurs à recruter des travailleurs qualifiés à l’étranger. M. Chaloff estime toutefois que, pour fonctionner, cette plateforme doit offrir un avantage par rapport aux plateformes privées déjà existantes.
Il suggère, notamment, que la plateforme ne permette qu’à ceux qui remplissent les conditions légales d’immigration dans l’UE de s’y inscrire.
Cela garantirait aux employeurs qu’une fois le candidat trouvé sur la plateforme, la procédure ultérieure serait simplifiée.
Le recrutement de travailleurs qualifiés étrangers devrait en particulier être facilité pour les petites et moyennes entreprises (PME), selon l’eurodéputée allemande conservatrice Lena Düpont. « Les grandes [entreprises] peuvent le faire plus facilement », a-t-elle ajouté.
M. Boeselager, qui partage l’avis de Mme Chaloff, a déclaré qu’une telle proposition nécessiterait une coordination étroite avec les offices nationaux du travail.
Pour M. Gminder, la réserve de talents a également besoin d’une base juridique appropriée.
Une plateforme similaire a été mise en place pour les Ukrainiens qui ont fui vers l’UE après la guerre sous la forme d’un « petit projet pilote », bien que la plateforme en ligne pour les travailleurs qualifiés s’adresserait aux citoyens non européens vivant encore en dehors de l’UE.