La tentative d’assassinat du Premier ministre slovaque Robert Fico mercredi (15 mai) a mis en lumière les profondes divisions de la société slovaque, que le gouvernement n’a fait que polariser davantage.
Mercredi après-midi, Robert Fico (SMER-SD, Socialistes et Démocrates européens) a été blessé par balle et transporté dans un hôpital où il a subi une longue opération.
De nombreux dirigeants européens ont rapidement condamné cet acte de violence et manifesté leur soutien au dirigeant, à maintes reprises critiqué pour ses prises de positions pro-russes, ses attaques contre les médias et les ONG, et les lois que son gouvernement tente de faire passer en dépit des critiques de la Commission européenne.
Il s’agit notamment de projets de loi qui réduiraient considérablement les peines d’emprisonnement pour corruption, de la désignation des ONG comme « organisations bénéficiant d’un soutien étranger » et du renforcement du contrôle gouvernemental sur le radiodiffuseur public RTVS.
Une climat politique tendu
Le climat politique en Slovaquie est particulièrement tendu depuis 2018, année du meurtre du journaliste d’investigation Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kušnírová, qui a donné lieu à l’une des plus grandes manifestations de l’histoire moderne du pays et a contraint Robert Fico à démissionner.
Lorsqu’il a été réélu pour un quatrième mandat en tant que Premier ministre en octobre dernier, les tensions se sont encore exacerbées, son gouvernement s’attaquant régulièrement aux médias et aux ONG et affichant des attitudes ouvertement pro-russes.
Les décisions et la rhétorique du nouveau gouvernement Fico ont conduit à de nombreuses manifestations et pétitions de l’opposition et de la société civile depuis décembre de l’année dernière.
Ces tensions ont été exacerbées après l’élection présidentielle d’avril. Robert Fico s’était alors moqué des électeurs du candidat deçu de l’opposition, le diplomate pro-occidental Ivan Korčok, affirmant qu’ils étaient puérils de ne pas avoir accepté les résultats, que son partenaire de coalition, Peter Pellegrini, a remportées.
Le sociologue slovaque Michal Vašečka avait alors expliqué au quotidien Denník N que les résultats des élections allaient accroître la polarisation de la société slovaque.
Robert Fico a lui-même reconnu cette tendance à la polarisation dans une vidéo où il exprimait ses craintes qu’un membre de son gouvernement ne soit tué, prévoyant que la frustration de ses opposants pourrait conduire à un triste dénouement.
« Ils maudissent de manière obscène les responsables politiques du gouvernement dans les rues et j’attends juste de voir quand cette frustration, si intensément approfondie par Denník N, Michal Šimečka [leader de l’opposition libérale] et Aktuality.sk [site d’information], se traduira par le meurtre de l’un des principaux responsables politiques du gouvernement », avait-t-il affirmé.
Selon des experts, la tentative d’assassinat de mercredi pourrait accentuer la « radicalisation » de la classe politique.
« Je crains que cette attaque ne soit pas la dernière et que des membres de l’opposition soient à leur tour visés dans un futur proche », a commenté pour l’AFP le politologue Miroslav Radek.
Réactions de l’opposition
La présidente sortante, la libérale Zuzana Čaputová, opposée à Robert Fico, a fermement condamné l’attaque « brutale et impitoyable » de mercredi, tandis que les partis d’opposition Liberté et solidarité (SaS) et Slovaquie progressiste (PS) ont annulé une manifestation qui était prévue mercredi pour protester contre la réforme controversée de RTVS.
Après avoir condamné l’attaque, Michal Šimečka, chef de la Slovaquie progressiste, a également appelé « tous les responsables politiques à s’abstenir de toute déclaration ou action susceptible de contribuer à l’escalade des tensions ».
Le président du SaS, Branislav Gröhling, a pour sa part appelé les députés à ne pas se rejeter la responsabilité de la situation, tandis que le Mouvement chrétien-démocrate (KDH), parti d’opposition conservateur, a lancé un appel à l’unité.
« Nous devons tous nous unir contre tout acte de violence. L’attaque contre le Premier ministre est une attaque contre l’État slovaque et sa souveraineté. En ce moment, il est nécessaire de tout faire pour calmer la société », a déclaré le KDH dans un communiqué.
Mais les appels de l’opposition, habituellement très critique à l’égard de M. Fico, semblent être restés lettre morte, le ton étant rapidement monté au sein de la coalition au pouvoir.
Réactions de la coalition au pouvoir
Lorsque le vice-président du parlement slovaque Ľuboš Blaha a appris la nouvelle de la tentative d’assassinat, il a immédiatement suspendu la session parlementaire et crié à l’opposition : « C’est de votre faute ».
Selon Andrej Danko, partenaire de coalition de Robert Fico et chef du Parti national slovaque (SNS) ultranationaliste, il est évident qu’il s’agit du résultat d’un conflit social.
« Je ne veux toujours pas croire que quelqu’un dans la société soit prêt à franchir de telles limites. Il est évident pour moi que c’est le résultat d’un conflit social, et qu’il doit cesser », a-t-il expliqué.
Il a ajouté que pour son parti, « une guerre politique commence », annonçant des changements dans les relations avec les médias et les responsables politiques de l’ancien gouvernement.
Le vainqueur des élections présidentielles, Peter Pellegrini, chef du parti HLAS-Social démocratie qui prêtera serment le 15 juin prochain, a décrit la tentative d’assassinat comme une menace sans précédent pour la démocratie slovaque.
« Si nous exprimons nos opinions politiques avec des armes sur les places plutôt que dans les bureaux de vote, nous mettons en danger tout ce que nous avons construit ensemble en 31 ans de souveraineté slovaque. »
Si Robert Fico devait rester incapable d’exercer ses fonctions pendant une période prolongée, il pourrait être remplacé par l’un des vice-premiers ministres.
L’absence du Premier ministre est partiellement couverte par la loi slovaque sur les compétences, qui prévoit que dans ce cas, il est représenté par un vice-premier ministre qu’il a nommé. Ce dernier convoque et préside ensuite les réunions du cabinet.
Le gouvernement slovaque compte actuellement quatre vice-premiers ministres : Robert Kaliňák (SMER), ministre de la Défense, Denisa Sakova (HLAS), ministre de l’Économie, Peter Kmec (HLAS), vice-président du plan de relance, et Tomas Taraba (SNS), ministre de l’Environnement.
Robert Kaliňák semble être l’option la plus probable pour assurer l’intérim.
Appel à suspendre la campagne électorale
Peter Pellegrini a appelé jeudi (16 mai) tous les partis slovaques à suspendre ou à ralentir leur campagne électorale en vue des élections européennes.
« J’appelle tous les partis politiques slovaques à suspendre temporairement ou à réduire considérablement [leurs activités de] campagne pour les élections européennes », a déclaré M. Pellegrini par voie de communiqué, ajoutant que la Slovaquie devrait éviter « toute nouvelle confrontation » et « accusations mutuelles ».
Il a également exhorté les formateurs d’opinion et aux médias, insistant sur le fait que les hommes politiques ne devraient pas utiliser la tentative d’assassinat pour marquer des points politiques et renforcer davantage la polarisation du pays.
« S’il est une chose dont le peuple slovaque a besoin de toute urgence aujourd’hui, c’est au moins d’un consensus de base de la représentation politique slovaque. Et si ce n’est un consensus, alors au moins une discussion civilisée », a-t-il insisté.
Le président élu et la présidente sortante Mme Čaputová ont convenu d’inviter conjointement tous les dirigeants des partis du parlement au palais présidentiel sous peu.
Cette dernière a par ailleurs qualifié l’assassinat de Robert Fico comme un acte individuel, mais a ajouté que la responsabilité de la haine dans la société incombait à tous les citoyens. Elle a aussi appelé à « sortir du cercle vicieux de la haine », rapporte l’AFP.
L’assaillant
Le tireur, écrivain, poète et membre de l’association des écrivains slovaques, a été inculpé pour tentative de meurtre avec préméditation et risque 25 ans de prison ou la réclusion à perpétuité s’il est reconnu coupable.
Le crime pourrait être motivé par des considérations politiques, selon une vidéo montrant l’agresseur au poste de police déclarant qu’il n’était pas d’accord avec la politique du gouvernement.
« Je ne suis pas d’accord avec la politique du gouvernement », peut-on entendre dire le tireur.
L’homme âge de 71 ans fait également allusion à la réforme très critiquée du radiodiffuseur public slovaque RTVS et au président du Conseil judiciaire de la République slovaque, Ján Mazák, qui a récemment été démis de ses fonctions.
« C’était un loup solitaire » qui a décidé de passer à l’acte « après les résultats du scrutin présidentiel, dont il était mécontent », a précisé le ministre de l’Intérieur Matus Sutaj Estok, cité par l’AFP.
À l’heure actuelle, Robert Fico serait toujours dans un état grave et se trouverait aux soins intensifs.
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[Édité par Anne-Sophie Gayet]