Le Kosovo a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises au sujet de la circulation d’armes et des problèmes de sécurité dans le Nord à majorité serbe, mais ces avertissements ont été interprétés comme une volonté de Pristina de se retirer du dialogue Kosovo-Serbie soutenu par l’UE. C’est ce qu’a déclaré la ministre kosovare des Affaires étrangères, Donika Gervalla-Schwartz, lors d’un entretien avec Euractiv.
Dimanche matin (1er octobre), une patrouille de police kosovare est tombée dans une embuscade tendue par une trentaine d’hommes armés dans des véhicules blindés, entraînant la mort d’un policier kosovar et en blessant un autre. Quatre Serbes ont également été tués au cours de l’échange de tirs qui a duré plusieurs heures.
Les enquêtes qui ont suivi ont permis de localiser un important arsenal d’armes, de munitions et de véhicules blindés. Le ministre de l’Intérieur, Xhelal Sveçla, a entre-temps publié des documents qui, selon lui, établissent un lien entre l’attentat et Belgrade, ce que la Serbie a tout de suite démenti.
« Depuis des mois, nous disons à nos partenaires et à nos alliés que la police [kosovare] a intercepté des véhicules chargés d’armes, mais nous sentions qu’ils n’étaient pas prêts à entendre nos préoccupations… Nous avions l’impression qu’ils voulaient les interpréter à leur façon, comme si nous voulions trouver un moyen de rompre le dialogue », a déploré Donika Gervalla-Schwartz.
Le Kosovo a abordé à de nombreuses reprises les questions de sécurité dans le Nord de son territoire, à majorité serbe, particulièrement en ce qui concerne le trafic de drogue et d’armes. Pristina a également maintes fois évoqué les tentatives de la Serbie de déstabiliser la région en mobilisant des groupes criminels.
Les arrestations de personnes impliquées dans ces activités ont toujours été suivies d’accusations d’épuration ethnique de la part de Belgrade, tandis que l’UE a demandé au Kosovo de réduire la présence d’agents de police spéciaux dans la région.
Mme Gervalla-Schwartz a ajouté qu’elle avait l’impression que Bruxelles ne croyait pas le Kosovo concernant la présence d’un nombre important d’armes dans le Nord, le rôle de Belgrade dans la déstabilisation du pays et les motivations de la Serbie derrière ses appels à la création de l’Association des municipalités serbes.
« Personne ne pensait que les institutions et la police du Kosovo étaient en mesure de faire face à ces problèmes efficacement. Nous n’avons pas peur, nous sommes préparés et nous sommes vigilants parce que nous savons que cela ne peut être ni la première ni la dernière fois », a-t-elle déclaré.
Elle a ajouté que tant que la Serbie ne recevrait pas de réaction claire de la part de la communauté internationale, elle continuerait de tenter de déstabiliser le Kosovo et d’autres pays de la région.
« J’espère et je suis convaincue que les évènements de dimanche ont clairement fait comprendre à tout le monde que ce type de dialogue, ce type de pression unilatérale exercée sur le Kosovo, et cette tolérance à l’égard de l’incapacité de la Serbie à adopter une attitude positive dans ce processus doivent et vont cesser. »
Elle a également déploré la première déclaration du chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, qui a qualifié l’incident d’« attaque » et d’« hostilités ».
« La première déclaration de M. Borrell était vraiment désastreuse. On ne peut pas ignorer les faits et se contenter d’une déclaration. Le problème est que ce n’est pas la première fois que M. Borrell et son équipe agissent de la sorte », a-t-elle ajouté.
Dans une deuxième déclaration de M. Borrell et dans les communications ultérieures de l’UE, l’attaque a systématiquement été qualifiée de terroriste.
Après l’attaque terroriste, il est clair qu’il n’est plus question de « deux côtés ». « Il s’agissait clairement d’une attaque contre notre État, contre notre pays, et c’est ainsi qu’il faut l’appeler. Dimanche a tout changé », a ajouté la ministre kosovare.
Que faisait donc la force de maintien de la paix au Kosovo ?
Lorsqu’on lui a demandé comment un arsenal d’armes aussi conséquent et comprenant des véhicules blindés avait pu passer sous le nez de la force de maintien de la paix au Kosovo (KFOR) et si cela signifiait que l’OTAN devait s’impliquer davantage dans le pays, Mme Gervalla-Schwartz a déclaré que la solution serait l’adhésion du pays à l’OTAN et à l’UE.
« L’adhésion du Kosovo à l’OTAN est l’une des étapes clés pour rendre notre région plus pacifique et plus stable », a-t-elle soutenu. Le Kosovo a déposé sa candidature à l’adhésion à l’UE en décembre 2022, mais cette candidature est bloquée par la non-reconnaissance de son indépendance par cinq États membres (l’Espagne, Chypre, la Slovaquie, la Roumanie et la Grèce).
En ce qui concerne l’adhésion à l’OTAN, qui requiert également l’unanimité pour l’adhésion de nouveaux membres, seuls 26 des 30 membres reconnaissent le Kosovo.
Durant le week-end, l’OTAN a envoyé des renforts au Kosovo après le déploiement et le retrait des troupes serbes à la frontière.
« Notre solution est la solution euroatlantique. Nous devons faire un pas vers l’OTAN, et […] l’OTAN doit faire un pas vers le Kosovo, afin que l’entièreté de la région ne s’engage pas dans une nouvelle guerre », a-t-elle ajouté.
En outre, maintenant que l’on sait ce qui se passe lorsque la Serbie est ménagée, « nous attendons de l’Union européenne qu’elle soit claire et qu’elle prenne des mesures… Les organisations terroristes doivent être étiquetées comme telles ».
Quant à la poursuite du dialogue Kosovo-Serbie, Donika Gervalla-Schwartz a insisté sur l’impossibilité de continuer à faire comme si de rien n’était après les récents évènements. En ce qui concerne les appels au retrait de l’envoyé spécial de l’UE pour le dialogue entre les deux pays, Miroslav Lajčák, Donika Gervalla-Schwartz a également déclaré que bien que ce ne soit pas son rôle de demander son retrait à l’UE ou aux États membres, ce n’était pas la première fois que M. Lajčák montrait « qu’il n’avait pas de stratégie ou de plan pour mener ce dialogue, ni pour le faciliter ».
« Je pense que les États membres y réfléchiront. Et j’espère que nous obtiendrons un processus de dialogue capable de générer du progrès », a-t-elle déclaré.
Concernant la prétendue réticence du Kosovo à poursuivre le dialogue, la ministre kosovare a déclaré qu’en dépit de ces doutes, Pristina acceptait le plan franco-allemand comme une étape entre la situation actuelle et la reconnaissance mutuelle.
« Je reste convaincue que seule la reconnaissance mutuelle, à savoir lorsque la Serbie reconnaîtra que les frontières des Balkans ne changeront plus, permettra à la Serbie et au Kosovo de cohabiter en tant que voisins », a-t-elle indiqué.
Association des municipalités serbes
Interrogée sur le sort de l’Association des municipalités serbes, une solution encouragée par l’UE, après l’attaque terroriste, que Pristina a dénoncée comme une tentative de prise de contrôle du Nord du Kosovo, Mme Gervalla-Schwartz a déclaré : « Les évènements de dimanche montrent que la Serbie ne veut pas d’une situation qui coordonne les besoins des Serbes au Kosovo, elle veut faire imploser la République du Kosovo de l’intérieur, et cela n’arrivera pas ».
Donika Gervalla-Schwartz a déclaré que les types d’associations proposés en 2013 et 2015 n’étaient pas conformes à la Constitution, mais que Pristina était prête à discuter avec ses citoyens s’il était nécessaire de procéder à des améliorations pour le respect de leurs droits.
« Si cela est nécessaire, il y a des conditions préalables que ce dispositif devrait remplir », a-t-elle déclaré, expliquant qu’un tel dispositif ne peut pas jouer plus qu’un rôle de coordination, qu’il ne peut pas violer la Constitution, et qu’il ne doit pas contrevenir au fonctionnement de la République du Kosovo, puisque cela entraînerait une situation similaire à celle de la République serbe (Republika Srpska) en Bosnie-Herzégovine.
« Nous ne répéterons pas les erreurs du passé », a-t-elle déclaré.
La ministre a souligné que le Kosovo dispose d’une Constitution progressiste qui respecte les droits des minorités plus que d’autres pays européens. Par conséquent, elle doute que l’association ait pour but d’améliorer les droits des Serbes du Kosovo.
En effet, les minorités du Kosovo jouissent de droits considérables en vertu de la constitution, notamment le fait que le serbe soit une langue officielle, que les Serbes du Kosovo disposent de sièges garantis au parlement quels que soient les résultats des élections, mais également d’une représentation au niveau municipal, du droit de nommer les principaux responsables de la police dans les zones à majorité serbe, de l’enseignement et l’étude de la langue serbe dans les écoles à majorité serbe au lieu de l’albanais, et d’au moins un ministre issu de la minorité serbe au sein du gouvernement.
Toutefois, fin 2022, les Serbes ont massivement démissionné de toutes les institutions et de tous les départements gouvernementaux du pays, et ne sont donc plus représentés. Ils n’ont pas voté aux élections locales organisées pour les remplacer et ont protesté lorsque des maires albanais les ont remplacés, entraînant des perturbations qui ont fait plus de 30 blessés parmi les officiers de la KFOR, les journalistes et les citoyens.
« Dans les discussions avec Belgrade, nous ne voyons pas qu’ils visent à améliorer la vie des citoyens serbes au Kosovo. Il s’agit toujours de renforcer l’influence de Belgrade sur les institutions et les citoyens du Kosovo », a expliqué la ministre des Affaires étrangères.
Elle a ajouté que les cinq pays des Balkans occidentaux issus de l’ex-Yougoslavie doivent tous composer avec la Serbie, « qui les traite comme des territoires qui doivent être rendus à la Serbie », une attitude qui n’est « pas positive » et qui ne « promet pas un bel avenir pour notre région ».
Conférence sur la paix
En ce qui concerne les récentes déclarations du Premier ministre albanais Edi Rama, qui s’oppose à la ligne politique de l’UE sur le conflit Kosovo-Serbie, et sa proposition d’une conférence sur la paix entre le Kosovo et la Serbie, Donika Gervalla-Schwartz a déclaré qu’il s’agissait d’une idée dangereuse.
« J’ai peur lorsque j’entends parler de conférences, car cela me rappelle ce qui s’est passé dans les années 90. Les conférences s’enchaînaient pendant que la population de Bosnie-Herzégovine périssait. Il s’agit donc d’une proposition très dangereuse », a-t-elle soutenu.
« Ce ne sont pas des conférences internationales qu’il nous faut : nous sommes des États souverains et nous avons besoin d’un processus intègre et sincère qui ouvre des possibilités réelles au Kosovo et à la Serbie pour normaliser leurs relations. »
[Édité par Anne-Sophie Gayet]