La Commission de Venise, un organe consultatif du Conseil de l’Europe, a appelé mardi (21 mai) la Géorgie à abroger la récente loi sur « l’influence étrangère », car elle pourrait être utilisée pour faire taire les voix critiques.
Les législateurs géorgiens ont adopté la semaine dernière cette loi controversée, calquée sur une loi russe, qui qualifierait des centaines d’ONG et de médias d’agents étrangers.
Les critiques craignent que le gouvernement, dirigé par le parti Rêve géorgien, n’utilise cette loi pour réprimer l’opposition, particulièrement en vue des élections législatives d’octobre.
La présidente géorgienne pro-UE, Salomé Zourabichvili, a entre-temps opposé son veto au projet de loi, mais le Rêve géorgien dispose d’un nombre suffisant de députés pour passer outre ce veto lors du vote final de la semaine prochaine.
Bruxelles a demandé au gouvernement géorgien de retirer la loi, déclarant qu’elle n’était pas compatible avec la candidature de la Géorgie à l’adhésion à l’UE.
Cependant, le parti insiste sur son engagement à rejoindre l’Union et présente la loi introduite comme visant à renforcer la transparence du financement des ONG.
Défauts fondamentaux
Dans son avis, la Commission de Venise a déclaré que le projet de loi présentait des « défauts fondamentaux » susceptibles d’entraver « les libertés d’association et d’expression, le droit au respect de la vie privée, le droit de participer aux affaires publiques ainsi que l’interdiction de la discrimination ».
Citant les nombreuses protestations contre la décision du parti au pouvoir, l’organe a déclaré que l’adoption de la loi par le gouvernement « n’a laissé aucun espace pour une véritable discussion ni consultation significative, au mépris des préoccupations d’une grande partie du peuple géorgien ».
« Cette façon de procéder ne répond pas aux exigences européennes en matière de législation démocratique », a ajouté l’organe consultatif, appelant le gouvernement géorgien à ne pas adopter le projet de loi sous sa forme actuelle.
Selon le rapport de la Commission de Venise, le cadre de la loi est trop « général et vague », et les exigences en matière de rapports financiers sont à la fois peu pratiques et susceptibles d’être utilisées pour « imposer des audits longs, harcelants et coûteux ».
La loi prévoit que les organisations recevant plus de 20 % de leur financement de l’étranger devront s’enregistrer en tant qu’« organisations servant les intérêts d’une puissance étrangère », une étiquette qui, selon l’organe composé d’experts en droit constitutionnel, pourrait être exploitée pour stigmatiser ces entités.
La Commission a également déclaré que les propositions « présentent de nombreuses similitudes » avec les lois en vigueur en Russie, en Hongrie et au Kirghizistan, où elles ont été utilisées pour réprimer la dissidence civile contre les gouvernements respectifs.
Il « regrette que le parlement géorgien n’ait pas attendu son avis avant d’adopter la loi, malgré les appels du président de l’Assemblée parlementaire et du secrétaire général du Conseil de l’Europe ».
En tant que membre du Conseil de l’Europe, la Géorgie est liée par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Que se passe-t-il ensuite ?
Le président du parlement géorgien, Shalva Papuashvili (Rêve géorgien), a annoncé que les législateurs devraient passer outre le veto du président la semaine prochaine, le parti au pouvoir rejetant l’avis de la Commission de Venise.
Salomé Kurasbediani, députée du Rêve géorgien, a déclaré aux journalistes lors d’un briefing officiel du parti que cet avis montrait « qu’il n’y avait pas d’arguments juridiques ou autres contre la loi géorgienne sur la transparence ».
Elle a également accusé l’organe de faire « des évaluations politiques biaisées au lieu d’une discussion professionnelle ».
Avant la publication de l’avis, Nikoloz Samkharadze, président de la commission des relations étrangères du parlement et membre du Rêve géorgien, avait confié à Euractiv que son gouvernement accueillerait favorablement tout avis juridique des partenaires européens.
« Nous attendrons l’avis juridique [de la Commission de Venise] et nous verrons s’il y a quelque chose dans l’avis juridique qui contredit les normes européennes », avait-il indiqué au cours du week-end.
« S’il y a quoi que ce soit dans l’avis juridique qui indique clairement qu’il est en contradiction avec les normes européennes, nous sommes prêts à changer ou à amender la législation », avait-il ajouté.
Reste à savoir si le gouvernement va désormais apporter des modifications au projet de loi ou s’il va tenter de l’adopter dans sa forme actuelle.
« La réaction du Rêve géorgien est très préoccupante, car il a déclaré que la Commission de Venise n’était pas objective, ni digne de confiance, était influencée par les ONG et dirigée par quelqu’un qui avait forcé la Commission de Venise à faire une déclaration en faveur de la société civile », a expliqué George Melashvili, directeur de l’Institut Europe-Géorgie, à Euractiv.
« Il est également inquiétant que même si le gouvernement et le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, ont pu commenter l’avis par écrit, ils ont décidé d’accuser publiquement la Commission de Venise de manquer d’objectivité », a-t-il conclu.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]