L’Union européenne commence à perdre patience avec la Serbie et a élaboré des mesures qui l’affecteront sur le plan politique et économique, ainsi que dans le cadre de son adhésion à l’Union, alors que de nouvelles preuves semblent indiquer l’implication d’un proche collaborateur du fils du président serbe Aleksandar Vučić dans l’attaque terroriste du 24 septembre dernier.
Le 24 septembre, un commando d’une trentaine de Serbes du Kosovo a tendu une embuscade à la police kosovare à Banjska, dans le nord du pays, où de nombreux Serbes de souche résident. Au terme des échanges de tirs, un policier kosovar albanais et trois Serbes du Kosovo ont été tués.
Le gouvernement kosovar et les Albanais du Kosovo rejettent la responsabilité des violences sur Belgrade, tandis que cette dernière dément les accusations.
Depuis, des dirigeants régionaux, des membres du Parlement européen et Pristina font de plus en plus pression pour que des mesures soient prises à l’encontre de la Serbie.
Il a ensuite été révélé que l’attaque impliquait Milan Radojičić, le vice-président du parti politique kosovar Liste serbe, qui a démissionné depuis, Bojan Mijailovic, le garde du corps personnel d’Aleksandar Vulin, le chef des services de renseignement serbes, et Milorad Jevtic, un proche collaborateur de Danillo, le fils de M. Vučić.
D’autres informations révélées par une enquête de Balkan Insight ont révélé que les armes utilisées dans l’attaque avaient été fabriquées en Serbie en 2022, tandis que certains obus de mortier et grenades avaient transité par des centres de maintenance de l’État serbe en 2018 et 2021.
Si la Serbie ne prend pas de mesures, l’UE le fera
Dans un entretien, l’eurodéputée allemande et rapporteure du Parlement européen pour le Kosovo, Viola von Cramon-Taubadel, a déclaré que les menaces pesant sur la stabilité des Balkans occidentaux « viennent principalement de la Serbie et du manque de volonté politique de trouver une solution. Il est clair cette fois que la patience avec le président [Aleksandar] Vučić s’épuise ».
Quant à l’attaque, elle a demandé comment des véhicules blindés transportant des armes et des équipements militaires avaient pu atteindre le nord, s’interrogeant sur les personnes derrière une telle organisation ainsi que sur la présence potentielle d’autres groupes criminels sur le territoire.
Elle a ajouté qu’étant donné que M. Vučić contrôle « beaucoup de choses » en Serbie, il est difficile de croire qu’il n’était pas au courant de ce qui se passait concernant l’achat d’armes ou l’organisation du groupe terroriste.
La police du Kosovo aurait saisi des armes, des munitions et des véhicules blindés, en quantité suffisante pour armer des centaines de personnes et estime que l’attaque était une tentative d’annexion du nord du Kosovo. Elle a également fourni des documents montrant que certaines des armes avaient été achetées à l’armée serbe.
« C’est maintenant [au président serbe] de veiller à ce qu’une enquête appropriée soit menée et à ce que la transparence soit assurée sur ce qui s’est passé », a-t-elle déclaré. Et si la Serbie ne prend pas de mesures, Mme von Cramon-Taubadel est convaincue que l’UE le fera.
« Nous parlons de mesures politiques et financières ou liées aux négociations d’adhésion. Nous avons de nombreux outils à notre disposition et nous savons qu’il n’est pas dans l’intérêt du président [Aleksandar] Vučić, surtout depuis qu’il a convoqué des élections en décembre, de perdre le contrôle de la situation », a-t-elle expliqué.
Les mesures, qui ne sont pas des sanctions, ces dernières devant être approuvées par le Conseil, ont déjà été préparées.
« Nous parlons de mesures politiques et financières, d’un accès limité aux fonds de l’IPA, qui nuiront sans aucun doute au gouvernement serbe », a déclaré Mme von Cramon-Taubadel.
Le Kosovo a fait l’objet de mesures de la part de l’UE cet été en raison de son incapacité à désamorcer les tensions dans le nord. Fin 2022, les Serbes du Kosovo ont démissionné en masse de toutes les institutions de l’État, entraînant des élections locales pour remplacer les maires dans le nord à majorité serbe.
Suite aux appels de Belgrade à boycotter les élections, aucun candidat serbe ne s’est présenté, les Serbes n’ont pas voté et des maires d’origine albanaise ont été élus, ce qui a entraîné de vives contestations.
Il a été demandé au Kosovo de retirer les maires, d’organiser de nouvelles élections, de retirer les unités de police spéciales du nord et de reprendre le dialogue, faute de quoi des mesures seraient prises. Alors que de nouvelles élections se profilent, l’UE a poursuivi sa répression face à la défiance du Premier ministre kosovar, Albin Kurti.
Toutefois, il ne peut y avoir de retour au dialogue facilité par l’UE tant que les évènements du 24 septembre ne seront pas clarifiés.
« La Commission [européenne] et les institutions exigent que la lumière soit faite sur ce qui s’est passé et que les organisateurs de l’attaque fassent l’objet d’une enquête en bonne et due forme. Nous espérons un comportement constructif », a déclaré Mme von Cramon-Taubadel.
Une fois que les parties auront repris le dialogue, l’eurodéputée espère que M. Vučić « signera l’accord d’Ohrid pour s’assurer qu’il ne se contente pas de parler, sinon il sera difficile pour nous, ici et au Kosovo, de croire qu’il est réellement intéressé ».
Elle a également déclaré qu’une nouvelle proposition de résolution des problèmes entre les deux pays était en cours d’élaboration, mais qu’elle « ne pouvait pas donner plus de détails à ce sujet pour le moment ».
« La Serbie a sans doute détruit tout ce qu’elle pouvait, donc pour l’instant, tout le monde attend que la Serbie fasse sa part. Ensuite, lorsque nous aurons vu comment l’attaque sera traitée, espérons-le de manière logique, nous pourrons parler de la bonne étape vers le dialogue », a-t-elle déclaré.
Pour l’eurodéputé social-démocrate Thijs Reuten, au vu de l’attaque « nous ne pouvons pas agir comme d’habitude ».
« Pour moi et pour de nombreux autres membres du Parlement européen, tout ce qui s’est passé, non seulement au cours de la semaine écoulée, mais aussi dans les mois qui ont suivi l’accord d’Ohrid, fait partie de la longue liste des provocations. L’attaque de soldats de la KFOR, l’enlèvement de policiers au Kosovo… il faut créer une atmosphère propice pour que les parties s’assoient à nouveau autour d’une table et travaillent à la normalisation. Après toutes ces provocations, nous ne pouvons pas revenir au statu quo », a ajouté l’eurodéputé néerlandais.
La Serbie et M. Vučić ont continué à nier toute implication ou connaissance préalable de l’attaque. M. Radojičić a été arrêté, puis relâché, et Président serbe a souligné qu’il n’était qu’un collaborateur politique, et non un ami.
« Il est toujours plus facile d’accuser Belgrade », a déclaré M. Vučić , ajoutant : « Il est facile de trouver des armes, et pas seulement sur le marché noir. La police du Kosovo qui a poursuivi les Serbes portait des armes AK fabriquées à Kragujevac [en Serbie] ».
Quant à l’implication de son fils, il a déclaré qu’il n’avait « rien à voir » avec l’attaque, ajoutant : « La première caractéristique d’un lâche est que quelqu’un s’en prend à la famille d’un autre, à ses enfants, parce qu’ils sont toujours la cible la plus facile ».
Parallèlement à cela, le premier contingent de 200 soldats britanniques est arrivé au Kosovo le vendredi dernier (6 octobre) pour renforcer la mission de maintien de la paix de l’OTAN, forte de 4500 hommes.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]