La première journée de la conférence sur la souveraineté numérique de l’UE s’est tenue lundi (7 février) à Paris — l’occasion pour la France, en sa qualité d’hôte dans le cadre de la PFUE, de réaffirmer son ambition de voir émerger des géants de la tech européens.
Cela doit être un des grands rendez-vous de la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE), qui a placé la régulation du numérique tout en haut de la liste de ses priorités.
Organisée à Bercy sur deux jours, cette conférence doit voir défiler commissaires et députés européens, organisations de la société civile, entreprises de la tech et experts pour échanger autour de la construction de la souveraineté numérique en Europe.
Le gouvernement français a fait de ce thème un cheval de bataille, aussi bien sur la scène européenne que sur le plan national — ce qui n’empêche pas ses détracteurs, dans l’opposition ou parmi l’écosystème français, de dénoncer la stratégie française du « en même temps » en la matière.
Mais le ministère de l’Économie, Bruno Le Maire, a tenu à se montrer ferme : « Il n’y a plus de souveraineté politique sans souveraineté technologique », a-t-il déclaré, appelant à « un réveil technologique européen » face à la Chine et aux États-Unis.
C’est justement un « troisième modèle », un qui serait « aux mains du peuple souverain », que la France souhaite voir émerger en Europe.
En parallèle de la puissance normative, de la capacité à innover et du volet résilience, la France défend une souveraineté « ouverte », qui promeut les standards libres et les « communs numériques » — ces ressources produites et gérées par une communauté, à l’instar de Wikipédia ou de Framasoft, qui propose notamment une suite de logiciels libres comme alternative à Microsoft 365.
Pour aider ces communs numériques, « souvent menacés » à « rester libres et ouverts », le ministre français délégué aux Affaires européennes, Clément Beaune, a dévoilé une nouvelle initiative, soutenue par la Commission européenne et à laquelle prendront part 16 États membres. Il s’agira notamment d’un « incubateur » et de la mise à disposition d’experts pour aider au développement de ces communs.
La deuxième journée de la conférence, mardi (8 février), doit être consacrée à l’initiative Scale-up Europe.
Il y sera question d’échanger sur les façons de permettre à l’écosystème de startups européennes de grandir et d’arriver aux 10 géants de la tech européens qu’Emmanuel Macron a appelés de ses vœux.
Un nouveau « fonds de fonds » chiffré en milliards d’euros y sera dévoilé, a fait savoir le ministre de l’Économie.
Cloud
Bruno Le Maire a également renouvelé l’ambition de la France d’abonder de 300 millions d’euros le projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) consacré au cloud — un plan massif d’investissements à hauteur de plusieurs milliards d’euros coordonnée à l’échelle européenne, auquel une douzaine d’États membres vont prendre part.
Les premières notifications de projet devraient arriver au plus tard au printemps, a-t-il précisé.
C’est spécialement grâce à ce type d’instruments que le ministre de l’Économie souhaite reconquérir la souveraineté numérique du continent. Il était grand temps, selon lui, que l’UE prenne le train du soutien public aux innovations de rupture, face aux États-Unis et à la Chine qui ne s’en sont pas privés pour développer leur champion.
Pour M. Le Maire, il s’agit d’une « révolution politique » qui va permettre de rompre avec la « stupidité », la « lâcheté » et l’« échec » auxquels ont conduit les stratégies précédentes.
Pas sûr que cette annonce réjouisse entièrement les acteurs français du cloud, alors qu’une partie reproche au gouvernement de faire la part belle aux géants américains, dans la commande publique notamment ou dans sa stratégie de « cloud de confiance ».
Celle-ci permet, grâce à un système de licence, des alliances entre entreprises nationales et technologies américaines afin de proposer des solutions qui seront, à termes, certifiées par un label.
Marie-Laure Denis, la présidente de la Commission nationale de l’information et des libertés (CNIL), le gendarme français de la vie privée, a par ailleurs fait savoir qu’elle voyait « d’un œil prometteur ces partenariats » au cours d’une des discussions.
Cette vision de la souveraineté numérique réussit par ailleurs l’exploit de cristalliser les critiques de tous les candidats à l’élection présidentielle, alors que l’esprit général de la campagne tourne autour de l’idée de la « reprise du contrôle », expliquait le président de Renaissance numérique à EURACTIV.
Preuve, s’il en fallait encore, que le sujet est politiquement sensible : la liste des intervenants de l’événement avait provoqué une levée de boucliers au sein d’une partie de l’écosystème français, face notamment à la présence de Brad Smith, président de Microsoft.
« La souveraineté numérique européenne ne se fait pas en se repliant sur soi-même ou en autarcie », avait alors expliqué le cabinet du secrétaire d’État au Numérique, précisant qu’il s’agit, au contraire, de permettre « d’avoir un dialogue exigeant ». YouTube devait également être de la partie mais n’a pas pu se joindre aux panels en raison du décalage horaire.