Des cendres. C’est presque tout ce qu’il reste du plus grand camp de réfugiés de Grèce, ravagé par un incendie le 9 septembre. Ce tragique événement a de nouveau mis sur le devant de la scène le manque criant de solidarité des États membres de l’Union européenne. Mais qu’en est-il de cette solidarité en France ?
Pour tenter de remédier à ce manque, la Commission européenne doit présenter son nouveau pacte migratoire ce mercredi 23 septembre. Avec l’Italie, la Grèce est devenue depuis plusieurs années une sorte de bouclier aux portes du Vieux continent, pour une Europe qui peine à s’entendre sur les modalités d’une solidarité en phase avec les valeurs d’humanisme qu’elle défend pourtant. « Nous adopterons une approche humaine, a indiqué sa présidente Ursula von der Leyen, lors de son discours sur l’état de l’Union devant le Parlement européen le 16 septembre. Les pays qui remplissent leurs devoirs légaux ou moraux ou les pays les plus exposés doivent pouvoir s’appuyer sur la solidarité de l’ensemble de notre Union européenne ».
« Les images du camp de Moria nous rappelle douloureusement que l’Europe doit travailler ensemble et la Commission va prendre ses responsabilités. Mais je veux être claire, si nous renforçons les choses je m’attends à ce que tous les Etats membres le fassent également », a-t-elle ajouté. Un discours d’appel à la solidarité que l’on entend aussi en France.
« Comme toujours depuis trois ans, la France est au rendez-vous de la solidarité européenne : avec l’Allemagne et ses partenaires, elle accueillera des migrants en difficulté de Lesbos, notamment des mineurs », déclarait le jour de l’incendie de Moria Clément Beaune, Secrétaire d’état français aux Affaires européennes. Mais la situation des réfugiés en France est loin d’être exemplaire, notamment si on la compare à celle de son alliée d’outre-Rhin.
Crise de l’accueil
En 2019, près de la moitié des demandeurs d’asile n’étaient pas hébergés en France. « Depuis 5 ans, j’ai vu à Paris ce que certains appellent la crise des migrants et que nous nous appelons la crise de l’accueil, explique à Euractiv France Louis Barda coordinateur général de Médecins du monde à Paris. Il y a un cycle continu, infernal, de campement-démantèlement-dispersion. Les personnes qui arrivent n’ont pas la prise en charge ni la protection qu’elles devraient avoir. Elles se retrouvent à la rue, avec tous les problèmes de santé et de violence que cela implique ».
La France a d’ailleurs été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour sa politique d’asile. Dernière en date, une condamnation en juillet, pour « conditions d’existence inhumaines et dégradantes » de demandeurs d’asile. « La Cour constate que les autorités françaises ont manqué à l’encontre des requérants à leurs obligations prévues par le droit interne, peut-on lire dans l’arrêt de la CEDH. En conséquence, elles doivent être tenues pour responsables des conditions dans lesquelles les requérants se sont trouvés pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant d’aucun moyen de subvenir à leurs besoins essentiels et dans l’angoisse permanente d’être attaqués et volés ».
Pour M. Barda, il y a « un échec évident de la politique de l’accueil mise en place en France ». Le règlement européen de Dublin est également pour lui, comme pour de nombreuses voix associatives, un échec. « Ce système a créé une errance incroyable en Europe. Nous rencontrons sur le terrain des personnes qui ont demandé l’asile dans 5 ou 6 pays ». Un constat partagé par Ursula von der Leyen, qui a d’ores et déjà annoncé que ce règlement serait aboli à l’occasion du nouveau Pacte migratoire.
Et il n’y a pas que les grandes structures humanitaires qui prennent cette crise de l’accueil française à bras le corps. Des structures citoyennes plus petites mais tout aussi actives sont nombreuses à pallier les manquements de l’État. Parmi elles, l’association La Gamelle de Jaurès distribue des repas chauds au nord de Paris depuis fin 2016. Une centaine de bénévoles agissent pour tenter de donner une vie décente à ces hommes, ces femmes, ces enfants. La structure organise et propose également des hébergements d’urgence. L’association a ainsi financé durant l’hiver 2019 1400 nuits d’hôtel, dont près de la moitié pour mettre à l’abri des mineurs non accompagnés. Car si l’administration française n’a pas validé la minorité de ces jeunes, ils n’ont pas droit à un hébergement au nom de la protection de l’enfance et se retrouvent donc à la rue.
« L’évaluation des mineurs est faite n’importe comment, à charge, explique Ghislain Benrais, trésorier de l’association. Pour preuve, les mineurs non accompagnés qui font un recours après leur évaluation négative sont pour 50 % d’entre eux finalement bien reconnus comme mineurs après leur passage devant un juge des enfants. Le problème c’est qu’entre-temps ils passent parfois 1 an, voire plus, sans avoir droit à rien, même pas à l’assistance du 115 (numéro d’urgence sociale, ndlr) car c’est réservé aux majeurs. Et leurs papiers étrangers montrent qu’ils sont mineurs ».
Le modèle allemand
En Allemagne, l’histoire est bien différente. En 2015, le pays ouvrait ses portes à environ 890 000 personnes en quête de protection, des réfugiés de guerre de Syrie et d’Irak. L’opinion publique y était favorable. « La crise financière et économique mondiale de 2008 n’a pratiquement pas touché l’Allemagne, le marché du travail s’est très bien développé et l’immigration semble avoir des effets positifs car la pénurie de main-d’œuvre peut être éliminée », analyse Jochen Oltmer, historien et chercheur en migration, de l’Institut de recherche sur les migrations et les études interculturelles (IMIS) de l’université d’Osnabrück.
Fin 2019, environ 1,8 million de requérants habitaient en Allemagne, dont 9,2 % d’enfants nés sur le territoire. Si le nombre de jeunes réfugiés qui fréquentent ou ont fréquenté une école allemande n’est pas enregistré par les Länder, une enquête de l’Office fédéral allemand de la migration et des réfugiés auprès des migrants qui sont entrés dans le pays entre 2013 et 2016 a montré qu’environ 90 % des enfants et adolescents d’âge scolaire sont allés à l’école. En outre, plus de la moitié des réfugiés qui sont arrivés en Allemagne après 2013 travaillent aujourd’hui.
Difficile de comparer avec les données disponibles en France, notamment parce que lorsqu’elles obtiennent le statut de réfugié, les personnes sont comptabilisées dans les statistiques dans la catégorie globale des immigrés, sans distinguo. En 2010, une enquête menée par le ministère de l’Intérieur montrait toutefois que 39 % des réfugiés avaient un emploi. En 2019, le dispositif gouvernemental Hébergement Orientation Parcours vers l’Emploi (HOPE) accompagnait 1 500 réfugiés dans l’intégration par le travail. Le parcours d’intégration des primo-arrivants prévoit également depuis l’année dernière le doublement des heures de français et d’éducation civique, et un accompagnement vers l’insertion professionnelle.
Pour Geratd Sadik, responsable asile de la Cimade, la situation de l’accueil en France a évolué, du moins en partie. « Au mois de mai 2020, le pays n’a jamais eu autant de demandeurs d’asile en instance : 165 000 personnes, mineurs compris, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Le dispositif d’accueil n’a jamais été aussi important. On compte maintenant 100 000 places d’hébergements. Il y a 10 ans on était plutôt autour de 40 000 », décrit-il.
« Pour autant, statistiquement, seul environ 45 % sont hébergés par l’Etat alors que lorsque que l’on demande l’asile en Allemagne, on est hébergé immédiatement. En France on commence par la procédure administrative. On doit d’abord être enregistré dans une préfecture pour pouvoir éventuellement bénéficier des conditions d’accueil ».
Il existe également de très grandes variations du taux d’hébergement par régions. Par exemple 71,5 % des demandeurs d’asiles n’étaient pas hébergés en Île-de-France en 2019, contre 12 % en Bourgogne-Franche-Comté. La France voudrait notamment suivre l’Allemagne sur ce point : « le système français est très différent car en Allemagne il y a une clé de répartition fixée par le parlement, claire, transparente, qui fait que quand quelqu’un arrive dans un centre d’enregistrement allemand, elle est orientée dans la foulée dans un Land avec une place d’hébergement », poursuit M. Sadik.
En France, le système est très centralisé, explique-t-il. « Ce sont de statistiques qui sont assez difficiles à avoir mais globalement, l’Île-de-France accueille environ 42 % des demandeurs d’asile en France métropolitaine. Sur les 100 000 places actuelles qui sont réparties sur le territoire, 20 % d’entre elles seulement se trouvent en Île-de-France. Le système est donc sous-dimensionné ». Le ministère de l’Intérieur devrait très prochainement remodeler le Schéma national d’accueil, qui pourrait s’inspirer de cette clé de répartition allemande. Reste également à répartir l’effort de solidarité au niveau européen.