Les gouvernements des pays de Visegrád s’opposent encore et toujours à la relocalisation des réfugiés au sein de l’UE, soutenus par une opinion publique attisée par les discours anti-immigration.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La République tchèque aurait dû relocaliser 2 691 réfugiés depuis la Grèce et l’Italie, elle en a relocalisé 12. La Hongrie aurait dû accepter 1 294 personnes, mais le pays n’en a accueilli aucun. Idem pour la Pologne, qui était censée accueillir 7 082 personnes, mais qui n’a laissé aucun réfugié franchir ses frontières. Quant à la Slovaquie, le pays a relocalisé 16 personnes – des mères célibataires avec des enfants – alors qu’elle aurait dû accueillir un total de 902 demandeurs d’asile.
Le gouvernement de Viktor Orbán à Budapest a été encore plus loin, en construisant un mur de barbelés de 175 km de longueur à la frontière avec la Serbie au début de la crise des réfugiés en 2015 puis en organisant (et en remportant) un référendum anti quota en 2016.
Quelles que soient leurs raisons, les pays de Visegrád ont fait bloc contre les quotas européens. La République tchèque, la Hongrie, la Pologne ont ainsi été déférées devant la Cour de justice de l’UE (CJUE) pour « non-respect de leur obligation légale » sur la relocalisation. La Slovaquie a été acquittée grâce aux 16 personnes accueillies.
Solidarité volontaire
Ces pays soulignent tous la nécessité de protéger leur souveraineté nationale, mise à mal par les quotas obligatoires. Trois des quatre nations – exception faite de la République tchèque – ont démontré qu’elles pouvaient faire preuve de solidarité en accueillant des demandeurs d’asiles hors du système de quota.
En effet, si la Hongrie n’a pas accueilli une seule personne dans le cas du mécanisme de relocalisation de l’UE, le gouvernement a accordé une protection internationale à environ 1 300 demandeurs d’asile l’année dernière, dont la plupart sont ensuite partis vers l’ouest. Au cours des quatre premiers mois de 2018, 267 demandeurs d’asile ont bénéficié d’une protection, tandis que 326 demandes ont été rejetées.
Selon l’ancien Premier ministre polonais Beata Szydło et son successeur Mateusz Morawiecki, la Pologne a admis plus d’un million de réfugiés ukrainiens qui ont fui la guerre du Donbass et l’annexion de la Crimée. Les données de l’Office des étrangers (UDSC) ne confirment toutefois pas cette affirmation.
« Actuellement, 3 400 étrangers ont un permis de séjour valide en raison de la protection internationale accordée. Environ 2 300 autres personnes ont des permis de séjour grâce à une protection nationale », a déclaré le porte-parole de l’Office, Jakub Dudziak.
Plus de 90 % des demandes sont déposées par des citoyens de l’ex-Union soviétique, en particulier de Russie (principalement tchétchène et ingouche), d’Ukraine, du Tadjikistan, d’Arménie et de Géorgie.
Peu de demandes sont acceptées – environ 300-500 par an – tandis que jusqu’à 3 000 sont rejetées et les trois quarts sont abandonnées parce que les demandeurs ont quitté la Pologne avant qu’une décision ne soit rendue. La plupart se dirigent vers l’Europe de l’Ouest.
La Slovaquie a toujours prétendu qu’elle avait accepté ses 16 réfugiés non pas en raison du régime obligatoire, mais sur une base volontaire. Le pays a réinstallé 145 chrétiens assyriens d’Irak en décembre 2015. Volontairement bien sûr – et cette fois pas dans le cadre du mécanisme européen.
En décembre 2015, Bratislava et Budapest ont intenté une action en justice contre le mécanisme provisoire de relocalisation obligatoire des demandeurs d’asile. La Cour de justice l’a rejetée en septembre 2017. Les Tchèques et les Polonais n’ont pas formellement adhéré à cette poursuite, mais y ont apporté leur soutien politique.
Pas de place pour les réfugiés
Dans les quatre États, la majorité s’oppose à l’admission des réfugiés. 58 % des Tchèques pensent que leur pays ne devrait pas accepter de réfugiés. En Hongrie, ils sont 48 % à être opposé à une politique d’accueil, selon une étude menée par la Friedrich Ebert Stiftung en mars.
63 % des Polonais interrogés ne veulent pas admettre « des gens qui ont fui des pays impliqués dans des conflits militaires ». 33 % des personnes sont favorables à cet accueil.
Se nourrissant de ce sentiment, le gouvernement hongrois a proposé en janvier le paquet législatif Stop Soros qui limiterait les activités des organisations de la société civile financées par l’étranger et travaillant sur le dossier migratoire, ou comme cet article du Code pénal récemment approuvé l’exprime, « l’organisation de la migration illégale ».
Les électeurs polonais ne se sont toutefois pas toujours opposés à l’accueil de réfugiés. En mai 2015, quelques mois avant l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice (PiS) avec une campagne anti-réfugiés, seulement 21 % des Polonais étaient contre l’accueil des réfugiés, 62 % étaient en faveur.
À la fin de l’année, les sentiments des Polonais avaient déjà été bouleversés. Les réfugiés pourraient apporter en Europe « divers parasites, des protozoaires qui ne sont pas une menace pour le corps de ces personnes, mais qui pourraient représenter une menace ici », affirmait le chef de file du PiS Jarosław Kaczyński deux semaines avant les élections.
Ce qui a changé, c’est la perception qu’ont les gens d’un « réfugié ». Les sondages montrent que les gens ignorent déjà ce qu’est un demandeur d’asile. Le pays d’origine d’un réfugié est très important pour l’opinion publique. Par exemple, 75 % des Polonais interrogés sont contre l’accueil de réfugiés du Moyen-Orient ou d’Afrique, alors que seulement 32 % ne veulent pas de réfugiés de l’Est de l’Ukraine.
Définition de la solidarité
Quelles sont les solutions du groupe de Visegrád pour la crise migratoire et les solutions potentielles pour l’avenir ? Tous parlent de la nécessité de s’attaquer aux causes profondes de la migration.
Les pays du V4 ont promu un concept de « souplesse » ou « solidarité effective » pendant la présidence slovaque du Conseil de l’UE au second semestre 2016. Ce concept a trouvé peu de soutien, la rapporteure du Parlement européen sur le dossier de la migration et de l’asile, Cecilia Wikström, le qualifiant de « stupidité au-delà de toute imagination » en juin 2017.
Le même mois, le ministre polonais des Affaires européennes, Konrad Szymański, a déclaré que « les États membres devraient être libres de choisir les instruments de solidarité européenne ».
« Sur la base de la pratique et de l’expérience, nous les considérons [les quotas obligatoires] comme un outil inefficace qui incite les mouvements secondaires et agit comme un facteur d’attraction », déclare le ministère de l’Intérieur de la République slovaque. Tout mécanisme de redistribution obligatoire est donc inenvisageable pour pays du V4.
Les quatre gouvernements disent qu’ils soutiennent les réformes du système d’asile actuel, tout en s’opposant à l’automatisme et à toute nouvelle solution supranationale. Ils estiment que les décisions concernant la réforme de l’asile de l’UE doivent être prises au niveau du Conseil européen afin que les gouvernements aient le droit de veto.
En juin dernier, Konrad Szymański a rappelé que la Pologne s’opposait invariablement à « tout projet de gestion supranationale des migrations », mais a insisté sur le fait que « dans le contexte de la crise des réfugiés, la Pologne offre sa participation à presque toutes les activités européennes ».
« Nous avons renforcé Frontex, soutenu l’accord UE-Turquie, nous nous engageons financièrement et techniquement aux frontières extérieures. Nous sommes prêts à développer ce type d’engagement », a déclaré le ministre polonais.