La décision d’acheter des avions américains F-35 sonne comme un désaveu pour les projets européens. Mais c’est aussi une rupture des engagements pris par Varsovie.
Depuis l’arrivée du gouvernement conservateur PiS (Droit et Justice) au pouvoir à Varsovie, la Pologne a souvent privilégié la voie transatlantique dans ses achats d’équipements de défense.
Le choix fait en 2016, de rompre de façon brutale les négociations engagées avec Airbus pour la fourniture de 50 hélicoptères de transport Caracal l’avait démontré de façon spectaculaire. Non seulement Varsovie avait fait un pied-de-nez aux Français, en position de négociateur, mais il avait aussi claqué la porte des Européens et renoncé ainsi à intégrer le projet industriel européen. Le choix d’acquérir 32 avions F-35 américains, annoncé en juin et confirmé hier par Washington, s’inscrit dans cette même logique. Engagé dans un vaste plan de modernisation de son armée, la Pologne préfère acheter US qu’Européen. Mais, entretemps, la donne a changé sur le continent. Ce qui était possible hier, sans aucune condition — l’achat d’équipement de défense —, intervient aujourd’hui dans un cadre européen plus resserré. 25 pays de l’UE, Pologne y compris, se sont en effet engagés à renforcer leurs relations en matière de défense. Inaugurée en grande pompe en décembre 2017 au niveau des chefs d’État et de gouvernement, ce qu’on nomme la « coopération structurée permanente », PESCO en abrégé, n’est pas juste un acte politique sans lendemain. Il comprend vingt engagements « contraignants » et vise à mener des projets en commun.
Une rupture des engagements au titre de la PESCO
Cet achat constitue ainsi une rupture magistrale d’un des vingt engagements signés. Plus précisément, il s’agit de l’engagement portant le n°16. Celui-ci prévoit en effet de « considérer comme une priorité l’approche collaborative européenne pour résoudre les lacunes de capacité identifiées au niveau national ». L’engagement n’est pas difficile à tenir. Il suffit de faire un examen des possibilités de coopération européenne avant d’adopter « une approche exclusivement nationale ». Les projets de coopération européenne ne manquent pas en la matière. Outre une version future de l’Eurofighter, les Européens ont deux programmes sur le feu : le SCAF, projet d’avion et drone du futur, mené en franco-allemand-espagnol et le Tempest mené par les Britanniques, Suédois rejoints par les Italiens. Les Polonais n’ont pas avoir procédé à cette phase d’étude préalable européenne. Et ils ne se sont pas vraiment concertés avec leurs collègues européens. Un diplomate d’un État membre confiait même qu’ils n’avaient pas été tenus au courant de l’investissement considéré.
La coopération avec Washington, les sous avec Bruxelles
Ce n’est un secret pour personne : à Varsovie, on a davantage le regard tourné vers Washington que vers Bruxelles dès qu’il s’agit de sécurité et de défense. Le ministère polonais de la Défense ne jure plus que par les équipements américains. Une posture très politique. Outre une certaine communauté de vues avec l’équipe Trump, l’objectif est très pragmatique pour les conservateurs polonais. Il s’agit de tisser un lien le plus étroit possible avec Washington pour obtenir du Pentagone l’investissement en hommes et en matériels, pour avoir une implantation américaine permanente, jugée stratégique face aux menaces russes. Ce n’est pas seulement un apport tactique militaire qui est recherché, c’est l’impact stratégique qui est visé : qu’un seul cheveu d’un Américain soit touché par une portée russe. Les Polonais pensent alors pouvoir faire jouer la fibre patriotique outre-Atlantique. Dans ce positionnement existent aussi des intérêts très terre-à-terre, d’ordre économique. Accroché au wagon américain, le secteur polonais de la défense espère ainsi se revivifier et trouver des débouchés, en tant que sous-traitant, de produits américains.
L’Europe : une tirelire plutôt qu’un espace de coopération
De fait, le gouvernement polonais du PiS joue double jeu, il ne dédaigne pas l’approche européenne surtout quand elle peut lui rapporter quelques subsides. L’adhésion à la coopération structurée permanente n’était pas un coup de coeur pour le gouvernement polonais. Varsovie a longtemps hésité. Mais la possibilité d’avoir un ‘bonus’ de 10% dans l’attribution de financements européens au titre du futur Fonds européen de la Défense (FEDef) a beaucoup joué. Pour Varsovie, aujourd’hui l’équation est simple : en matière de défense, on coopère avec les Américains et on finance avec les Européens. Une vision à courte vue et une erreur stratégique… La relation est déséquilibrée. Pour les États-Unis, le but final n’est pas vraiment une alliance militaire avec Varsovie, mais la vente d’équipements en surplus et le bon fonctionnement de son industrie. L’objectif politique, stratégique, est le rétablissement de bonnes relations avec la Russie. Les déclarations de Donald Trump lors du sommet du G7 fin août à Biarritz en témoignent. Cette vision est totalement contraire à la stratégie actuelle du gouvernement polonais. La déconvenue pourrait donc être grande, à terme, à Varsovie.