Le trou dans les recettes de TVA en France atteindrait 30 milliards d'euros par an selon une étude de la Commission, qu'EURACTIV a consultée. Un chiffre que la France a contesté cet été, retardant la publication du rapport.
Première ressource des États européens, la TVA est un sujet sensible. Quand la Commission s'en mêle, les États grincent des dents. La dernière évaluation de la TVA non collectée par les 28 pays de l'Union européenne, ou “trou de TVA” (VAT gap en anglais) fait frémir l'administration fiscale française. Le rapport, consulté par EURACTIV et effectué par le cabinet polonais CASE durant le premier semestre 2013, révèle que la France laisse partir chaque année 30 milliards d'euros de TVA dans la nature.
Une information développée par nos confrères du Monde 24h plus tard.
>> Lire : TVA : 32 milliards perdus par la France chaque année
Soit quasiment un quart des recettes : l'impôt devrait rapporter 137 milliards d'euros cette année. À ce titre, il s'agit du premier poste de recette de l'État, loin devant les impôts sur les sociétés et l'impôt sur le revenu.
Le taux de recouvrement de la TVA chute
Lors de la dernière estimation, effectuée en 2009 par le cabinet britannique Reckon, le trou dans les recettes de TVA était estimé à 9 milliards. Entre temps, l'Insee s'est aussi penché sur la question. En 2011, l'organisme estimait les ratés de la TVA à 11 milliards d'euros. Mais selon une source à la Commission européenne, « les chiffres ont tout simplement explosé ces dernières années, et pas seulement en France, c’est un fait ». Une position qui diverge totalement des points de vue nationaux. L’Italie, l’Allemagne et l’Espagne ont également remis en cause les chiffres avancés par la Commission. Qui de son côté précise n’avoir pas d’explications à ces milliards d’euros envolés.
“La TVA non collectée représente à la fois la fraude organisée comme le carrousel de TVA, mais aussi les entreprises qui ne peuvent pas payer leur TVA pour cause de liquidation ou de difficultés financières, ou qui s’organisent pour ne pas la payer. La crise est passée par là : depuis 2008, le taux de recouvrement de la TVA est plus faible qu'avant” ajoute un fonctionnaire européen spécialiste des questions fiscales. Qui ajoute que les hausses de TVA, constatées dans les pays du Sud de l'Europe notamment, ont incité les sociétés à éluder la taxe plutôt que de la payer, notamment en ayant recours à l’optimisation ou à l’évasion fiscale. Une pratique décriée sur laquelle Bruxelles est d’ailleurs en train d’enquêter. Cette pratique consiste par exemple à délocaliser au Luxembourg le siège d’une société , où le taux de TVA est réduit. C’est ce que fait le site de commerce en ligne Amazon. Si le chiffre d’affaires d’Amazon progresse, les librairies n’en sont pas les seules victimes. Les livres continuent de se vendre, mais sans que les États collectent la moindre TVA dessus.
Point d'interrogation sur la baisse des recettes
En France, les taux de TVA n’ont pas bougé sensiblement. Les faillites d’entreprise ont certes progressé, mais la question de la fraude à la TVA reste un vrai point d’interrogation. Le retard constaté, depuis le début de l’année 2013, dans la collecte de la TVA a d’ailleurs entraîné la très sérieuse Cour des Comptes à s’interroger sur une éventuelle fraude lors de la présentation de son rapport annuel pour 2012, en juin dernier.
Les prévisions du ministère des Finances elles-mêmes font face tous les ans à des collectes de TVA inférieures aux prévisions. Ainsi, pour l’année 2012, la prévision de collecte effectuée en cours d’année était de 137,1 milliards d’euros. Au final, seulement 132,3 milliards d’euros ont atterri dans les caisses de l’État, laissant un trou officiel et inexpliqué de 5 milliards d’euros. Pour 2013, les finances publiques dérapent sur le même thème. A fin juillet, la collecte de TVA n’avait progressé que de 0,3 % par rapport à 2012, alors que le gouvernement compte sur un gain de 2,4 %. Si l’écart se maintient, le manque à gagner de TVA représentera 3 milliards d’euros cette année.
Le sujet est donc brûlant. Pourtant, à Bercy, on tente de minimiser la portée de ces nouveaux chiffres avancés par la Commission.
“Il s'agit de différences de traitement statistique entre l'Insee et Bruxelles. 30 milliards ou 11, il peut y avoir un débat ” estime un conseiller du ministre du Budget, Bernard Cazeneuve. Même son de cloche à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, où l’on assure que les chiffres publiés par CASE n’engagent pas la Commission, ni les États membres, puisqu’il n’a pas été fait en interne à la Commission, et qu’ils ne devraient pas faire l’objet d’une discussion formelle lors de leur publication. Comme Reckon, le centre de recherche économique Case a minutieusement étudié au cas par cas les données des 27 pays. L'étude a été suivie de près par la Commission. Et dans le discours, la Commission s’accroche à la méthodologie utilisée par Case, "qui a eu accès à énormément de données, beaucoup plus que Reckon lors de la précédente évaluation, ce qui lui permet de présenter des chiffres plus crédibles" assure-t-on à Bruxelles. Pour la Commission, c’est le précédent rapport qui ne proposait pas le bon ordre de grandeur, en raison d’un manque de données transmises à la Commission européenne.
Crainte d'une fraude organisée
L'hypothèse d'une envolée de la fraude organisée à la TVA n'est pas écartée, et c’est bien là que le bât blesse. En 2009, la fraude à la TVA sur les quotas de CO2 avait délesté les États de 5 à 10 milliards d'euros en quelques mois. Les fraudes à la TVA sur les voitures d'occasion sont particulièrement importantes entre la France et l'Allemagne. Les arnaques du secteur du bâtiment sont aussi sous surveillance. Selon nos informations, la prochaine loi de finances va d’ailleurs modifier le régime de TVA des sous-traitants du bâtiment, en le faisant passer au régime d'autoliquidation : la TVA est alors payée par l'acheteur de prestations, plutôt que par le vendeur, ce qui réduit les risques de fraude. Une solution rendue possible par la modification de la directive TVA en juillet dernier, qui laisse plus de souplesse aux États pour réagir en cas de fraude.