Un an après la décision du Tribunal constitutionnel polonais qui a interdit de fait l’avortement, le Parlement européen a demandé au gouvernement de Varsovie, jeudi 11 novembre, de lever cette interdiction qui met en danger la vie des femmes.
Dans une résolution intitulée « Premier anniversaire de l’interdiction de fait de l’avortement en Pologne », adoptée par 373 voix pour, avec 124 voix contre et 55 abstentions, les députés ont demandé au gouvernement polonais de veiller à ce que plus aucune femme ne meure en Pologne à cause de cette loi restrictive.
Le vote fait suite au décès d’une femme polonaise enceinte au début du mois de novembre. Cet évènement a suscité un débat sur l’avortement dans le pays et au-delà. Selon sa famille, la jeune fille est décédée d’un choc septique après que les médecins ont attendu que le cœur de son futur bébé s’arrête de battre.
À la suite de ce décès, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté samedi 6 novembre à Varsovie et dans des dizaines d’autres villes polonaises pour dénoncer une loi sur l’avortement promulguée il y a neuf mois et accusée par les organisateurs d’avoir coûté la vie à une mère enceinte.
Le 22 octobre 2020, le Tribunal constitutionnel polonais a jugé que la disposition de la loi de 1993 sur les conditions d’interruption de grossesse était inconstitutionnelle.
Cette loi autorisait les avortements dans les cas où un test prénatal ou d’autres considérations médicales avaient indiqué une forte probabilité de malformation fœtale grave et irréversible ou une maladie incurable menaçant la vie du fœtus.
Il s’agissait d’une interdiction de fait de l’avortement, puisque la grande majorité des avortements légaux en Pologne étaient fondés sur ces motifs.
Au cours des 10 derniers mois, seules 300 femmes polonaises ont eu accès aux services d’avortement dans les hôpitaux en raison d’une menace pour leur vie et leur santé.
Au cours de l’année écoulée, Avortement sans frontières a aidé 34 000 femmes polonaises à accéder à l’avortement, ce qui ne représente qu’une fraction du nombre total de femmes polonaises ayant besoin d’aide pour accéder à ce service.
Le 20 octobre, lors du débat en plénière sur le premier anniversaire de l’interdiction de fait de l’avortement en Pologne, la commissaire à l’Egalité, Helena Dalli, a appelé les États membres à « veiller au respect de leurs obligations conformément au droit international des droits de l’homme ».
« Nous sommes solidaires des femmes en Pologne qui ont fait preuve de résistance et de résilience. Des droits des femmes forts sont un atout pour l’ensemble de l’Union européenne ».
La Cour européenne des droits de l’Homme a reconnu le manque d’accès aux services d’avortement comme une violation du droit à la vie familiale et privée.
Mme Dalli a également souligné que l’UE n’a aucune compétence en matière de droit à l’avortement dans un État membre, et a appelé les pays de l’UE à « respecter les droits fondamentaux, qui les lient en vertu de leurs constitutions nationales et des engagements pris en vertu du droit international ».
Samira Rafaela, une députée européenne néerlandaise du groupe Renew, a déclaré que « la loi anti-avortement en Pologne a été exceptionnellement néfaste et a changé la vie quotidienne des femmes et des filles polonaises ».
« Des milliers de femmes ont traversé les frontières pour se rendre en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas et en Belgique — au milieu d’une pandémie, je le rappelle. Le gouvernement polonais n’a aucun respect pour les droits fondamentaux. Il néglige les femmes, il ne tient pas compte de nos corps et il met la vie des femmes en danger », a-t-elle déclaré.
Sirpa Pietikäinen, une députée finlandaise démocrate-chrétienne, a qualifié la loi polonaise d’« offense flagrante et aggravée aux droits des femmes » et a averti que « nous devons également suivre de très près ce qui se passe dans les autres États membres, par exemple en Slovaquie ».
Les députés ont donc exhorté le gouvernement polonais à garantir rapidement et pleinement l’accès à des services d’avortement sûrs, légaux et gratuits pour toutes les femmes.
Les législateurs de l’UE se sont inquiétés du fait qu’en raison de cette législation restrictive, les femmes doivent recourir à des avortements non sécurisés, se rendre à l’étranger pour se faire avorter ou mener leur grossesse à terme contre leur gré, y compris en cas de malformation fœtale fatale.
Le Parlement a donc appelé les États membres à coopérer plus efficacement pour faciliter l’accès transfrontalier à l’avortement, en permettant par exemple aux femmes polonaises d’accéder à un avortement gratuit et sûr dans d’autres systèmes de santé nationaux.
En outre, les députés ont condamné l’environnement de plus en plus hostile et violent pour les femmes et les défenseurs des droits de l’homme en Pologne et ont appelé les autorités polonaises à garantir leur droit à s’exprimer publiquement sans crainte de répercussions ou de menaces.
Ils ont également vivement critiqué le recours disproportionné à la violence contre les manifestants par les forces de l’ordre et ont exhorté les autorités polonaises à veiller à ce que ceux qui attaquent les manifestants soient tenus responsables de leurs actes.
Soulignant que cette décision sur l’avortement est un autre exemple de la prise de contrôle politique du système judiciaire et de l’effondrement systémique de l’État de droit en Pologne, les députés ont demandé au Conseil d’inclure cette question dans son enquête sur la situation de l’État de droit en Pologne en élargissant la portée de ses audiences.