Les eurodéputés se sont mis d’accord sur une position concernant la numérisation des données de santé de l’UE, mercredi (13 décembre), ouvrant la voie au début des négociations interinstitutionnelles sur l’espace européen des données de santé (EHDS) jeudi (14 décembre).
Durant une session plénière à Strasbourg, le Parlement européen a adopté à une large majorité son mandat de négociation pour les discussions (trilogues) avec le Conseil de l’UE qui permettront de finaliser le règlement établissant l’espace européen des données de santé (EHDS).
La proposition initiale de la Commission, présentée en mai 2022, vise à optimiser le potentiel des données de santé pour les patients et les professionnels de la santé, ainsi que pour les législateurs et les chercheurs.
Au Parlement européen, les commissions de la santé publique (ENVI) et des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) se sont chargées de l’élaboration de la position des eurodéputés du Parlement.
« Notre texte constitue une amélioration significative par rapport à la proposition de la Commission », a déclaré Annalisa Tardino (ID), rapporteure sur le texte, à ses collègues lors de la session plénière de mardi (12 décembre), avant le vote.
« L’espace européen des données de santé contribuera à fournir des soins de santé de pointe
aux patients partout dans l’UE », a déclaré l’eurodéputée italienne dans un communiqué.
Utilisation primaire des données
En ce qui concerne l’utilisation primaire des données de santé, c’est-à-dire l’utilisation par les citoyens et les professionnels de la santé au niveau national et européen, le Parlement a élargi la proposition relative aux droits des patients à restreindre l’accès à leurs données en incluant la possibilité de « restreindre l’accès à toute personne autre que le professionnel de la santé qui a inséré les données électroniques de santé ».
« Par exemple, si vous souffrez d’une maladie mentale, vous pourrez restreindre l’accès à ces parties des données de sorte que vos données de santé mentale ne soient vues que par votre psychiatre et non par d’autres médecins qui vous traitent », a expliqué Tomislav Sokol (PPE), autre rapporteur du dossier, à l’issue du vote.
En ce qui concerne les dossiers médicaux électroniques, le Parlement a ajouté plusieurs amendements à la proposition de la Commission, prévoyant notamment que les systèmes de gestion de ces dossiers devraient être soumis à une procédure d’évaluation de la conformité avant d’être mis sur le marché. Pour ce faire, la mise en place d’autorités de notification et d’un organisme d’évaluation de la conformité relèverait de la responsabilité des États membres.
Utilisation secondaire des données
L’utilisation secondaire des données concerne les données collectées par les hôpitaux, les universités et les instituts de recherche qui sont triées et mises à disposition pour les soins de santé, l’innovation, la recherche et l’élaboration de politiques après avoir été anonymisées ou pseudonymisées.
« Par exemple, un chercheur universitaire de Berlin pourra accéder à des ensembles de données sur le cancer du pancréas provenant de Paris, de Rome, de Madrid et ainsi de suite », a expliqué M. Sokol, ajoutant que l’idée est d’utiliser « beaucoup mieux » le potentiel des données.
C’est particulièrement important dans le domaine des maladies rares, où l’on manque de patients pour effectuer des essais cliniques.
Le Parlement a également demandé une option permettant au patient de faire savoir qu’il ne consent pas à l’utilisation de ses données : « Les personnes physiques ont le droit de refuser le traitement de leurs données électroniques de santé à des fins d’utilisation secondaire », peut-on lire dans l’amendement de l’article 33. Cela n’est pas conforme à la proposition de la Commission, qui s’appuyait sur le règlement général sur la protection des données (RGPD) en vigueur, dont la mise en œuvre varie considérablement d’un État membre à l’autre.
Les eurodéputés sont allés encore plus loin dans le cas de certaines données sensibles, telles que les informations génétiques et génomiques, en introduisant un système de consentement explicite qui signifie que chaque patient dont les données font partie de ce système devra donner son consentement explicite à chaque fois que ses données seront utilisées.
La commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides, qui a participé au débat mardi (12 décembre), s’est opposée à l’option de non-consentement.
Selon elle, avoir la possibilité de s’opposer au traitement des données peut « introduire un biais dans les données parce que les groupes minoritaires pourraient tout particulièrement être affectés négativement, et s’ils ne sont pas représentés dans l’ensemble des données […] leurs données ne seront pas prises en compte pour les nouveaux traitements ou les applications de santé dont ils ont besoin ».
M. Sokol a pour sa part appelé à la prudence. « Nous cherchons vraiment à trouver un équilibre entre le droit à la vie privée et à la protection des données d’une part, et la nécessité d’utiliser les données d’autre part », a-t-il déclaré, ajoutant que cette approche était soutenue par les organisations de patients.
L’option de non-consentement sera probablement un point de discorde lors des prochaines négociations en trilogue, qui devraient débuter jeudi, le Conseil ayant quant à lui défini sa position la semaine dernière, le 6 décembre.
Que peut-on attendre des trilogues ?
Dans sa version du texte, le Conseil a introduit la possibilité pour les États membres d’imposer des limitations supplémentaires à l’utilisation primaire des données dans des situations transfrontalières.
« Cela signifie essentiellement que certains États membres pourraient adopter un ensemble de règles pour l’échange de données et l’utilisation primaire des données à l’intérieur du pays, et imposer des limitations à l’utilisation des données lorsque les patients vont à l’étranger ou viennent de l’étranger », a expliqué M. Sokol. « Cela est contraire aux principes fondamentaux et traités de l’UE », a-t-il ajouté.
Le calendrier du processus législatif est également remis en question, le Conseil demandant cinq à sept ans pour enregistrer toutes les données dans les dossiers médicaux électroniques après la mise en œuvre. Avec deux ans pour la mise en œuvre et sept ans supplémentaires, l’espace européen des données de santé deviendrait pleinement opérationnel neuf ans après l’adoption du règlement.
« C’est vraiment trop long », a déclaré M. Sokol.
Une autre préoccupation est le financement de cette initiative, le Parlement et le Conseil souhaitant que le projet reçoive davantage de fonds provenant du budget de l’UE.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]