Alors que la France a interdit le composant dans les emballages alimentaires depuis le 1er janvier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments vient de démultiplier la dose journalière autorisée. La ministre de l’Ecologie française s’interroge sur le poids des lobbys dans ce dossier.
C’est un camouflet pour la France, peut-être aussi pour la santé publique. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), vient d’estimer que l’exposition des Européens au bisphénol A par l’alimentation ou par d’autres sources est inférieure au niveau auquel la substance devient dangereuse, aussi appelé « dose journalière tolérable » (DJT).
Le bisphénol A est un composant chimique utilisé dans la production de matériaux destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires, comme les couverts en plastique réutilisables, ou les revêtements intérieurs des boîtes de conserve. Le bisphénol A est aussi très couramment utilisé dans la fabrication du papier thermosensible (les tickets de caisse, par exemple). La France vient de décider de l’interdire totalement dans les emballages alimentaires, au grand dam de l’industrie.
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Les experts de l’EFSA estiment que la DJT à quatre mg par kg par jour dans leur dernière analyse, soit 160 fois plus que les recommandations de l’agence française, l’ANSES.
Le docteur Trine Husøy, présidente du groupe de travail sur le bisphénol A, estime que la décision de réévaluer la dangerosité du bisphénol A fait suite à la publication d’un grand nombre de nouvelles recherches scientifiques ces dernières années.
Cela a conduit l’EFSA à lancer une consultation publique au début de l’année 2014 puis. Après l’analyse de nouvelles données scientifiques, le CEF a conclu que l’absorption de très grandes quantités de bisphénol A (des centaines de fois la DJT) peut être dangereuse pour le foie et les reins. Le perturbateur endocrinien pourrait également affecter les glandes mammaires de certains animaux.
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« Nous partons du principe qu’il est improbable que le bisphénol A ait des effets sur les systèmes reproductif, nerveux, immunitaire, métabolique et cardiovasculaire, ainsi que sur le développement du cancer. Cela n’a cependant pas été prouvé avec certitude, et les incertitudes qui persistent quant à la dangerosité du bisphénol A ont donc été prises en compte dans l’évaluation », assure Trine Husøy.
La dernière évaluation de l’exposition alimentaire au bisphénol A par l’EFSA datait de 2006 ; le volume de recherches était alors nettement inférieur.
« Avec ces nouvelles informations, plus fournies et plus pointues, nous avons mis à jour et estimé plus précisément l’exposition au bisphénol A de tous les groupes de la population. Nous savons donc à présent que l’exposition alimentaire est entre quatre et quinze fois moins élevée que ce que l’on pensait, en fonction de l’âge des personnes », précise-t-elle.
L’EFSA a mis en place des méthodes nouvelles afin de tenir compte des incertitudes qui persistent sur les effets potentiels sur la santé, l’évaluation de l’exposition et l’évaluation des risques pour les humains. Les spécialistes ont par exemple analysé chacune de ces incertitudes afin de pouvoir les quantifier.
Les États membres n’ont pas attendu le verdict de l’EFSA
Le danger potentiel du bisphénol A a été débattu dans plusieurs États membres, comme la Suède, le Danemark et la France. Le 1er janvier 2010, la France a interdit son utilisation dans les produits qui entrent en contact direct avec la nourriture destinée aux bébés et aux jeunes enfants, comme les biberons. Cette interdiction a été généralisée à l’ensemble de l’UE en janvier 2011. Depuis le 1er janvier 2015, la France a introduit une nouvelle loi interdisant son utilisation dans tous les emballages alimentaires.
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Suite à la publication des conclusions de l’EFSA, PlasticsEurope a publié un communiqué déclarant que l’interdiction française était disproportionnée et devrait être supprimée. « Le fait que toute exposition réaliste au bisphénol A soit bien en deçà du seuil de sécurité établi par l’EFSA montre que les restrictions imposées au niveau national, en particulier en France, sont injustifiées et devraient être supprimées », estime Jasmin Bird, membre du groupe bisphénol A de PlasticsEurope.
« Ces conclusions de l’EFSA sur le bisphénol A devraient être utilisées comme fondement d’une législation cohérente et harmonisée en matière de sécurité alimentaire en Europe, et devraient être reconnues par tous les États membres », ajoute-t-elle.
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L’EFSA réévaluera à nouveau la DJT dans deux ou trois ans, après la publication des résultats d’une étude sur le long terme réalisée par le programme national de toxicologue des États-Unis.