L’adoption en 2015 d’un salaire minimum en Allemagne et les tensions récurrentes sur les travailleurs détachés ont ouvert la voie au salaire minimum européen. Problème: il risque de faire baisser le SMIC français.
Les astres semblent s’être alignés en Europe pour la création d’un salaire minimum. Depuis la création d’un salaire minimum en Allemagne en janvier 2015, les signes favorables à ce projet de longue date se sont multipliés.
Le problème posé par le détachement des travailleurs et la concurrence sociale qu’il entraine au sein de l’UE a remis un coup de projecteur sur le besoin d’une convergence des droits sociaux entre les 28. Et les discussions sur la révision de la directive « travailleurs détachés » doivent prochainement commencer à Bruxelles.
Dumping social
Préfiguration de ces discussions, le rapport sur le dumping social de l’eurodéputé français Guillaume Balas recommande la mise en œuvre progressive d’un salaire minimum européen. Ce dernier devrait être fixé dans chaque pays et représenter 60 % du salaire moyen national.
Adoptée à une large majorité, la proposition pourrait se faire un chemin dans la directive sur les travailleurs détachés. Mise sur la table en mars 2016, la proposition de Bruxelles ne comprend aujourd’hui aucune référence à ce projet de salaire minimum.
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Mais l’idée d’avancer sur la question de l’équité salariale a récemment obtenu un soutien de taille, celui du président de la commission européenne. « Les travailleurs doivent recevoir le même salaire pour le même travail au même endroit. C’est une question de justice sociale », a affirmé Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’Etat de l’Union.
Consensus épineux
Pour autant, la question peine à avancer à Bruxelles. Si nombre d’élus européens tentent de lier le sujet du détachement des travailleurs à celui du salaire minimum européen, dans les faits, les blocages demeurent nombreux. « Il n’y a pas aujourd’hui de consensus sur cette question au sein de la famille du PPE au Parlement européen » a affirmé à EURACTIV un eurodéputé.
« Malgré les divergences, la mise en place d’un mécanisme de salaire minimum […] est une ambition de moyen terme envisageable, et je dirais même incontournable » affirme de son côté le député français Philip Cordery, auteur d’un rapport sur le salaire minimum européen.
Aujourd’hui, six pays européens (l’Italie, Chypre, l’Autriche, le Danemark, la Finlande et la Suède) – n’ont pas de salaire minimum légal. Mais les pays disposant d’un salaire minimum affichent également des disparités allant presque de 1 à 10. Le salaire minimum bulgare s’élevait en effet à 215 euros en janvier 2016, contre et 1 923 pour le Luxembourg.
« Même si on les exprime en standard de pouvoir d’achat, les écarts sont certes plus faibles, mais demeurent de 1 à 4 », a également expliqué Philip Cordery devant la commission des Affaires sociales cette semaine à l’Assemblée nationale.
Lors de la présentation de son rapport, le socialiste a aussi reconnu que « du point de vue politique les difficultés sont réelles. Il faudra notamment convaincre un certain nombre de nos partenaires ».
Mais aussi trouver une base légale solide, car les compétences de l’UE sur le sujet sont limitées. En effet, l’article 153 du traité de Lisbonne prévoit que l’UE « soutient et complète l’action des États membres » en matière de salaire.
Vent contraire à l’Est
Parmi lesquels les pays de l’Est de l’Europe, déjà vent debout contre le projet de révision de la directive travailleurs détachés. Pour ces pays, dont les salaires minimum figurent parmi les plus bas du continent, l’instauration d’un salaire minimum pourrait entamer un avantage compétitif précieux.
En l’absence de plancher minimum de rémunération au sein de l’UE, « les États membres se livrent à une forme de course à la dévaluation des salaires pour attirer les capitaux et les entreprises » souligne le rapport d’information de Philip Cordery.
Pression à la baisse sur le SMIC français ?
La création d’un salaire minimum pourrait se heurter à un autre problème de taille : quels critères de convergence appliquer pour un salaire minimum sans déséquilibrer les politiques salariales des pays européens ?
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Selon le rapport, le salaire minimum dans les pays européens représente entre 40 et 60 % de leur salaire médian. Ainsi, le SMIC français atteignait déjà le seuil assez largement recommandé de 60 %.
Une législation européenne en la matière ne modifierait de fait pas la politique salariale en France, ni dans certains pays tels que le Portugal (60 %) ou le Luxembourg (57 %). « Mais si jamais le seuil fixé était inférieur à 60 %, cela pourrait créer une pression à la baisse sur le SMIC français » s’est alarmé la députée Isabelle Le Callennec. La question de l’harmonisation suppose inévitablement que certains salaires montent, et que d’autres baissent.
De fait, certaines analyses préconisent de placer le salaire minimum européen en utilisant un seuil inférieur à 60 %, comme celle du Trésor qui envisage un plancher allant de 45 et 50 % du salaire médian, de l’augmenter progressivement à 55 % du salaire médian. Un projet qui ferait potentiellement baisser le SMIC français de 8,3 %.
En revanche, l’impact serait bénéfique sur les salaires minimums de pays comme l’Estonie ou de la République tchèque, qui ne représentent que 40 % du salaire médian, mais aussi de l’Espagne ou de la Roumaine (41 %).