Les eurodéputés ont tenté de renforcer la protection de la liberté d’information dans le texte européen sur le secret d’affaires, lors d’un vote en commission des affaires juridiques. Mais une pétition lancée en France contre cette nouvelle directive a obtenu 300.000 signatures.
La protection du droit à l’information et celle du secret des affaires ne font pas bon ménage. Le projet de directive « secret des affaires », fortement critiqué par la société civile et les organisations de journalistes, vient d’être amendé par la commission des affaires juridiques du Parlement européen pour tenter de concilier les deux objectifs.
Le rapport de l’eurodéputée française PPE Constance Le Grip sur le projet de loi, adopté le 16 juin par 19 voix pour, 2 contre et 3 abstentions, se veut une réponse aux critiques.
>>Lire : La protection du secret des affaires préoccupe aussi l’UE
Ses détracteurs accusaient le texte d’affaiblir la protection du droit à l’information en le champ libre aux entreprises pour poursuivre les journalistes ou les lanceurs d’alerte ayant révélé des informations couvertes par le secret d’affaire.
« Nous avons considérablement modifié et amélioré le texte initial, car il est d’autant plus crucial de protéger les libertés fondamentales et de garantir le plein exercice de la liberté d’expression et d’information » a expliqué Constance Le Grip à l’issue du vote.
#tradesecrets le rapport @constancelegrip renforce la protection des journalistes et des lanceurs d'alerte @EPPGroup pic.twitter.com/qKfE3e3Hr5
— Eurodéputés LR-PPE (@PPE_FR) June 16, 2015
Les modifications devraient apporter une protection juridique plus solide aux journalistes, lanceurs d’alertes ou simples salariés révélant au grand public les pratiques contestables ou illégales des entreprises.
Parmi les évolutions votées par la commission parlementaire figure l’ajout d’une mention explicite de la Charte des droits fondamentaux et de la liberté des médias. « Nous avons par ailleurs expressément mentionné dans l’article 1 que la directive ne doit en rien affecter la liberté des médias » détaille Constance le Grip
« Les gardes fous sont suffisamment fort pour qu’aucun avocat au monde ne pense à conseiller à son client d’attaquer un journaliste sur la base de cette directive secret d’affaires » affirme l’eurodéputée. « Nous pensons que ce projet de directive aurait par exemple permis de protéger le journaliste français Édouard Perrin qui a révélé le scandale LuxLeaks et a été inculpé au Luxembourg , ou le droit ne prévoit justement aucune exception au secret d’affaires » détaille-t-elle.
Charge de la preuve
Mais l’optimisme n’est pas partagé par tous. « Les quelques améliorations obtenues par la mobilisation, notamment en France, n’auront pas suffi à changer l’essence de cette proposition: faire du secret une règle générale et de la transparence une exception » dénonce l’eurodéputé Vert Pascal Durand, qui souligne notamment que la « responsabilité de la preuve » repose toujours sur les journalistes et lanceurs d’alerte. Un concept difficilement conciliable avec le secret des sources lié à la pratique du journalisme, et que la Cour européenne des droits de l’homme protège quasi systématiquement.
Le texte doit maintenant être discuté en trilogue entre les trois institutions européennes afin de trouver un compromis dès la première lecture au cours des prochain mois.
>>Lire : Les députés français veulent exclure les journalistes de la directive « secret d’affaires »
Une pétition de 300.000 signatures contre la directive
Le projet de directive mis sur la table par la commission européenne en 2013 visait à mieux protéger les entreprises européennes contre le vol ou le détournement de secrets commerciaux, comme des technologies, des procédés de fabrication. Un phénomène qui touche de plus en plus fréquemment les entreprises de l’UE, notamment les PME innovantes, selon la Commission européenne.
Mais l’ambition de Bruxelles de protéger les intérêts des entreprises européennes s’était rapidement heurtée aux craintes de voir la notion de secret d’affaires limiter considérablement le travail des journalistes d’investigation et autres lanceurs d’alerte.
La pression sur les eurodéputés a d’ailleurs monté d’un cran ces dernières semaines, après le lancement d’une pétition en France contre le projet de directive. Portée par la journaliste Elise Lucet, rédactrice en chef du magazine Cash investigation, la pétition a rassemblé plus de 300 000 signatures en quelques jours.