Les États membres seront bientôt obligés de fournir leurs voisins en électricité en cas de pénurie, au sein de 9 grandes régions européennes.
C’est une des premières conséquences très concrètes du projet d’Union de l’énergie appelée de ses voeux par la commission Juncker. Le « principe de solidarité », qualifié de « grand changement » par des sources au sein de l’UE, fera partie d’une proposition législative que la Commission entend présenter la semaine prochaine.
Le même texte veut aussi inciter les Etats membres à avoir recourir au gaz naturel liquéfié, qui présente l’avantage de pouvoir se transporter facilement, contrairement à l’électricité.
« Les politiques nationales ne sont pas suffisantes pour prévenir les crises d’approvisionnement en gaz », indique cette source.
Seul 20 % du potentiel des infrastructures pour le GNL déjà construites dans l’UE est utilisé. Un recours plus généralisé à cette source d’énergie donnerait à l’UE davantage d’indépendance vis-à-vis de fournisseurs peu fiables, comme la Russie. À deux reprises, en 2006 et 2009, l’entreprise d’État russe Gazprom, qui a le monopole du gaz, a en effet coupé les robinets de gaz dans le contexte d’une querelle avec l’Ukraine, pays par lequel transite le gaz acheminé vers l’UE.
Le paquet sur la sécurité énergétique, qui sera dévoilé le 10 février, s’appuie sur la stratégie d’Union de l’énergie, censée renforcer la résistance du bloc face aux pénuries et lutter contre le changement climatique.
Les nouvelles règles permettent également à la Commission d’avoir un droit de regard accru sur les accords intergouvernementaux et contrats commerciaux liés à l’énergie, afin d’assurer le respect des lois européennes et des objectifs de l’union de l’énergie. Ces mesures ont été inspirées par les polémiques autour de projets comme South Stream et Nord Stream 2. Le paquet législatif devra ensuite être accepté par les États membres avant d’entrer en vigueur.
Solidarité
Les nouvelles propositions divisent l’UE en neuf régions de pays voisins, dessinées en fonction de la géographie et de leur capacité à mettre certaines ressources en commun. Deux pays ne sont pas inclus : les îlots énergétiques de Chypre et de Malte. L’Irlande et le Royaume-Uni constituent une région. La Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et l’Espagne une deuxième. La République tchèque, l’Allemagne, la Pologne et la Slovaquie une troisième. La Bulgarie, la Grèce et la Roumanie la quatrième. Les pays baltes et scandinaves forment quant à eux deux régions.
Pour que cette mesure puisse être appliquée, l’interconnexion entre les pays, notoirement difficile à mettre en place, devra être sérieusement améliorée. La France s’est par exemple beaucoup opposée à l’ouverture de son marché énergétique, dominé par le nucléaire, aux renouvelables de la péninsule ibérique. Elle n’a donc pas atteint les objectifs d’interconnexion fixés par la Commission.
>> Lire : L’Union de l’énergie vise une interconnexion de 10 % pour l’électricité
La Commission lancera plus tard une autre initiative sur les différences de tarification de l’énergie pour les foyers et les entreprises entre les différents pays, qui deviennent pertinents si l’énergie est partagée.
L’achat commun d’énergie, soutenu par Donald Tusk, actuel président du Conseil, depuis longtemps, n’est pas compris dans le paquet.
Les pays qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront néanmoins le faire, à condition de respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce, indique une source européenne.
GNL et COP21
Une plus grande utilisation du GNL permettrait à l’UE de diversifier ses fournisseurs d’énergie et la sèvrerait de sa dépendance au gaz russe, ajoutent des sources bien placées. L’UE pourrait alors se fournir auprès de l’Australie, l’un des principaux exportateurs de GNL, mais aussi de l’Iran et de la Turquie, qui entreront bientôt sur le marché mondial.
Le prix du GNL, plus facilement transportable et principalement acheminé par bateau, commence à s’approcher de celui du gaz naturel transitant par des gazoducs. La chute des prix du pétrole rend également le GNL plus séduisant.
Lors de la conférence de l’ONU sur le climat à Paris (COP21) en décembre, il est apparu que la voie des énergies propres était inévitable. Les gouvernements y ont en effet décidé de limiter le réchauffement climatique à deux degrés de plus que le niveau pré-industriel.
>> Lire : L’accord de la COP21, un texte qui ne résout rien
L’accord de la COP21 sera pris en compte lors de l’élaboration d’un nouveau projet de loi sur les objectifs climat et énergie pour 2030, qui réduiront les émissions de gaz à effet de serre, encourageront l’efficacité énergétique et augmenteront la part des renouvelables.
Le soutien de la Commission au GNL pour assurer sa transition énergétique sera toutefois très probablement dénoncé par les militants écologistes. Le GNL est en effet moins polluant que le charbon ou le pétrole, mais il ne reste pas moins un combustible fossile.
« Le fait est que le gaz est une énergie fossile, et qu’il est donc incompatible avec l’accord de Paris. Si la Commission souhaite se montrer à la hauteur de ses victoires à la COP21, elle doit montrer clairement que la réduction de la demande et les renouvelables sont les éléments les plus importants de la stratégie européenne sur le GNL », assure Brook Riley, des Amis de la Terre Europe.
Selon l’analyse de la Commission, des améliorations modestes en termes d’efficacité énergétique pourraient à elles seules réduire de 25 % la consommation de gaz dans les 15 ans à venir.
L’exécutif a d’ailleurs promis de mettre l’efficacité énergétique au premier plan et de faire de l’UE « un pionnier mondial dans les renouvelables ». Si elle parvient à réaliser ses objectifs, la demande de gaz devrait chuter, ce qui augmente le risque d’actifs échoués.
Le paquet inclut une stratégie pour renforcer l’efficacité énergétique des systèmes de chauffage et de refroidissement, responsables de plus de la moitié de la consommation de gaz européenne.
Des objectifs climat et énergie revus à la hausse mèneraient à une baisse de la consommation de gaz, assure une source à Bruxelles. L’exécutif ne projette de construire que quelques infrastructures supplémentaires.
Les infrastructures sont là, assure cette source, on n’utilise juste pas leur plein potentiel. Une meilleure interconnexion rendrait le GNL plus compétitif, ce qui pourrait contribuer à rendre le secteur des transports moins polluant.
Le GNL est principalement acheminé par transport maritime, un secteur qui n’a pas été inclut à l’accord de la COP21. L’ONG Transport & Environment a toutefois averti que l’objectif de deux degrés n’était pas atteignable sans une diminution des émissions de ce secteur.
Plusieurs sources européennes ont admis qu’il était impossible d’évaluer l’impact d’une hausse du transport du GNL sur l’environnement sans un accord mondial qui permettrait le calcul des émissions des bateaux.
Plein feu sur les contrats
Autre mesure controversée : le souhait de la Commission d’avoir le droit de valider – ou non – les accords intergouvernementaux sur l’énergie et les contrats commerciaux, afin de confirmer leur conformité au droit européen et aux objectifs de l’union de l’énergie.
>> Lire : La Commission met son nez dans les accords bilatéraux sur l’énergie
Selon des sources, les contrats commerciaux actuels ne sont pas suffisamment transparents. L’exécutif pourrait donc demander des clarifications afin de mieux évaluer le risque pour la sécurité énergétique du bloc.
Selon la proposition législative, les gouvernements devraient dorénavant tenir compte sérieusement des vérifications obligatoires des accords intergouvernementaux sur l’énergie effectués par la Commission. Ceux-ci seraient menés avant la signature des accords.
L’expansion prévue du gazoduc Nord Stream vers la mer Baltique est ainsi actuellement examiné par la Commission. Ce projet de Gazprom est soutenu par l’Allemagne et l’Autriche. Il permettrait d’acheminer du gaz russe sans passer par l’Ukraine. « Ce projet n’est pas conforme à notre stratégie », estiment pourtant nos sources européennes.
Il ferait en effet grimper la part de marché de Gazprom de 40 à 60 %, rendant la région européenne encore plus dépendante du gaz naturel russe, selon elles. « Nous voulons que l’Ukraine reste un pays de transit », ajoutent-elles.
Il sera toutefois difficile d’annuler le projet. Pour ce faire, l’exécutif devrait en effet trouver un moyen légal de faire pression sur les procédures d’autorisation nationales.
Selon les informations d’EURACTIV, la Commission cherche pour l’instant à savoir si les règles du troisième paquet sur l’énergie s’appliquent aux gazoducs offshore.
>> Lire : L’Europe centrale fait bloc contre le projet Nord Stream 2