L’Islande se serait démenée auprès de l’UE pour protéger Alexander Moshensky, un oligarque biélorusse proche du président Alexandre Loukachenko, des sanctions européennes. La Hongrie a aussi fait usage de son droit de véto pour défendre les intérêts de M. Moshensky, comme le révèle une nouvelle enquête réalisée par un consortium de journalistes internationaux.
Alexander Moshensky, un homme d’affaires biélorusse, dont les actifs incluent les grands fabricants de produits alimentaires Santa Bremor et Savushkin Produkt, entretient depuis deux décennies des relations diplomatiques et commerciales importantes avec l’Islande.
Selon une enquête publiée vendredi dernier (4 août), Rejkyavik aurait fait pression sur Bruxelles pour que M. Moshensky échappe aux sanctions européennes, et ce malgré ses liens étroits avec le régime du président biélorusse Alexandre Loukachenko.
Alors que de nombreux autres riches hommes d’affaires proches de M. Loukachenko, comme Aliaksandr Shakutsin ou Siarhei Tsiatseryn, figurent sur la liste des sanctions de l’UE, M. Moshensky y a échappé jusqu’à présent.
« Le fait que Mashenski n’apparaisse pas comme un proche associé de Lukashenko a été considéré comme la raison pour laquelle il a échappé aux sanctions. Mais est-ce vraiment le cas ? », s’interroge l’enquête.
Le rapport du Centre d’investigation biélorusse (BIC), réalisé en collaboration avec LRT (Lituanie) et Heimildin (Islande) ainsi qu’avec le soutien de CyberPartisans et de l’Organised Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), illustre l’étendue des relations entre M. Moshensky et M. Lukashenko.
Liens avec l’Islande et la Hongrie
En 2006, M. Moshensky est devenu consul honoraire de l’Islande en Biélorussie, un poste qu’il occupe toujours, selon le site web du gouvernement islandais.
Selon le journal Heimildin, des représentants du ministère islandais des Affaires étrangères auraient passé plus de 30 appels à des décideurs politiques de l’Union européenne pour faire pression en faveur de M. Moshensky afin que les sanctions européennes ne s’appliquent pas à lui.
Le journal écrit que la Hongrie est également venue au secours de M. Moshensky après que dix États membres ont demandé qu’il soit inclus dans la liste des sanctions lors d’une réunion au début du mois de mai,.
Selon le Heimildin, le gouvernement hongrois, en plus d’être particulièrement opposé à toute mesure coercitive de l’UE à l’encontre de la Biélorussie, a son propre représentant dans les bureaux de l’entreprise Santa Bremor de M. Moshensky.
Le directeur général de Santa Bremor, Sergey Nyadbaylau, est consul honoraire de la Hongrie en Biélorussie. Le fait que deux consuls étrangers, l’un hongrois et l’autre islandais, se trouvent au siège de Santa Bremor a déjà été relevé par les médias auparavant.
Les liens de M. Moshenski avec les autorités biélorusses sont bien documentés : il a accompagné M. Loukachenko lors de voyages à l’étranger, l’a soutenu lors de campagnes électorales et a même reçu une médaille officielle de la part du gouvernement.
Le 20 juin dernier, la députée islandaise Thórhildur Sunna Ævarsdóttir du Parti Pirate de gauche a exprimé au Conseil de l’Europe son profond regret que le gouvernement islandais ait refusé de démettre M. Moshensky de ses fonctions de consul honoraire de l’Islande en Biélorussie.
« J’ai honte que nous maintenions encore ces liens pour des intérêts purement commerciaux. J’ai honte de lire que l’Islande a utilisé son pouvoir diplomatique au sein de l’Union européenne pour que M. Moshensky ne figure pas sur les listes de sanctions. J’espère que nous deviendrons bientôt un État pleinement solidaire du peuple biélorusse, que cela ait ou non un impact sur nos intérêts économiques », a déclaré Mme Ævarsdóttir.
L’empire commercial d’Alexander Moshensky
Le BIC décrit l’activité principale de M. Moshensky comme une « pieuvre » composée de structures offshore aux Seychelles, sur l’île britannique de Jersey et à Chypre, pays membre de l’Union européenne. Cela permet à l’entreprise biélorusse de masquer son origine et d’utiliser le port lituanien de Klaipeda, autre pays membre de l’UE, pour importer du poisson de Norvège, d’Islande, d’Amérique du Sud et d’Asie, selon l’enquête.
Comme l’explique le BIC, M. Moshensky possède une entreprise de pêche en Biélorussie, en partie directement et en partie par l’intermédiaire de sociétés offshore. Le poisson norvégien et islandais entre en Biélorussie par l’intermédiaire de sa société en Lituanie. Les transactions entre les sociétés agissent comme un carrousel de crédit pour échapper à l’impôt.
Selon le BIC, M. Moshensky a déjà pris des mesures pour protéger son entreprise au cas où il se retrouverait sur la liste des sanctions européennes. Sa société lituanienne Santa Trade a changé de propriétaire un mois et demi après le début de la guerre en Ukraine, et elle n’appartient donc plus au groupe Santa Bremor mais à Newride Services Limited de Chypre. Selon l’OCCRP, cette société appartient à la fille de l’homme d’affaires, Yana Mashenskaya.